Hauts-de-France
Eau : les Hauts-de-France en route vers la sobriété
Enquête Hauts-de-France # Industrie # RSE

Eau : les Hauts-de-France en route vers la sobriété

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Après le coup de semonce des restrictions de l’eau, tombées à l’été 2022, il est clair que la position septentrionale des Hauts-de-France ne protégera pas éternellement la région de la sécheresse induite par le réchauffement climatique. Déjà, les industriels et les territoires s’organisent pour anticiper des difficultés qui risquent d’aller croissant.

Dans les Hauts-de-France, le ressource en eau est déjà entièrement consommée — Photo : Sofie

C’est ce qu’on appelle, une inversion du stigmate. Ou comment la région des Hauts-de-France, éternelle victime de moqueries sur sa grisaille, ses étés frisquets et sa pluie perpétuelle, pourrait faire un atout de sa ressource en eau encore relativement préservée. Là où face à la sécheresse, certaines communes du sud de la France interdisent déjà constructions de nouveaux logements et implantations d’entreprises, le maintien de la ressource en eau pourrait permettre à la région de renforcer son attractivité. Oui, mais pour combien de temps encore ?

Car, malgré la réputation qui lui est faite, la région n’a pas forcément plus d’eau qu’une autre, au contraire. Contrairement aux idées reçues, ses départements ne sont pas ceux qui bénéficient des précipitations les plus abondantes en France : historiquement, le sud-Ouest, les régions montagneuses ou la Bretagne sont plus arrosés. Et sous l’effet du réchauffement, la répartition de ces précipitations tend à se modifier, avec des effets sur le remplissage des nappes, avertit Thierry Vatin, le président de l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. "Des hivers secs, même si les printemps sont pluvieux, c’est problématique pour les nappes. Elles se remplissent moins puisqu’au printemps, c’est la végétation qui profite de l’eau. Et dans la région, il n’y a pas d’eau magique. Pas de grand fleuve, pas de barrage, pas de glacier. Notre seule ressource, elle est sous nos pieds. Nous avons 530 millions de mètres cubes d’eau disponibles par an dans la région, point. Et cette ressource est déjà entièrement consommée, à 60 % par les citoyens, à 30 % par les entreprises, et à 10 % par l’agriculture. Il n’y a pas de marge. Si l’on veut pouvoir continuer à utiliser de l’eau, qu’elle soit disponible pour de nouveaux foyers comme de nouvelles entreprises, la seule solution, c’est la sobriété." C’est tout l’objet du Plan Eau annoncé ce printemps par le gouvernement, avec l’ambition de réduire de 10 % la consommation d’eau à 2030. Un objectif réaliste, selon Thierry Vatin, dès lors que chacun prend en main sa consommation. L’Agence de l’Eau régionale va voir son budget augmenter, pour pouvoir accompagner davantage d’entreprises dans leurs investissements.

L’eau, indispensable à l’industrie

Si la dépendance de l’industrie à l’énergie semble évidente, l’eau lui est tout aussi indispensable. Arcelor à Dunkerque, c’est ainsi "15 piscines olympiques par jour", rappelle Fabrice Mazouni, le DG du Syndicat de l’Eau du Dunkerquois. Tout proche, le site Lesieur consomme 300 000 m3 par an d’eau potable. Et quand on parle d’eau industrielle, de moindre qualité, c’est en millions de mètres cubes qu’elle se décompte : 2,5 millions pour SNF, 2 millions pour Clarebout Potatoes…

Face à cette dépendance, des industriels sont déjà dans une démarche de réduction de leur consommation d’eau, qui croise intérêts RSE et financiers. Tout en mesurant, à quel point il est difficile de réduire drastiquement l’utilisation de l’eau dans les process. C’est par exemple le cas sur le site de Roquette, à Lestrem, qui prélève 36 000 m3 par jour dans la Lys voisine : "Nous sommes utilisateurs, mais pas grands consommateurs d’eau : nous rejetons 88 % de l’eau que nous prélevons", précise Jean-Luc Gribot, Head of Manufacturing France & Country Coordinator France de Roquette. À l’issue du process, cette eau passe par l’énorme station d’épuration du site, qui pourrait convenir à une ville de 700 000 habitants. "Depuis 1995, nous avons un lac artificiel sur le site, qui nous assure une réserve d’eau propre de 5 à 7 jours, en cas de pollution de la rivière. Il nous a permis, à l’été 2022, de faire tampon au moment de l’arrêté sécheresse. Ce dernier ne nous a pas empêchés de travailler, mais l’alerte est bien réelle. Nous sommes en train d’avancer sur ces sujets, en lien avec notre objectif de réduire de 25 % nos émissions de CO2 d’ici 2030. Moins d’eau à chauffer et à retraiter, c’est moins de CO2, c’est la même bataille." Des investissements, encore confidentiels, sont en cours sur le site, pour améliorer la récupération de la vapeur sur certaines installations.

Le circuitfermé, la bonne réponse

Travailler en circuit fermé, avec une récupération maximale de l’eau et de la vapeur tout au long du process, c’est ce qui a sauvé Les Cartonneries de Gondardennes, (200 M€ de CA 2021, 700 collaborateurs) en août 2022. Le site de Wardrecques (62), qui consomme 600 000 m3 d’eau à l’année, est passé près de la suspension d’activité, au plus fort de la sécheresse. "C’était limite, mais on a pu continuer à prélever dans le canal, parce que nous ne sommes pas trop gourmands. Si nous n’avions pas investi, ces dernières années, nous n’aurions pas pu tourner," décrit Bertrand Legrand, responsable Energie & Environnement des Cartonneries de Gondardennes. En fermant tous ses circuits d’eau et de vapeur, la Cartonnerie, qui produit 18 000 tonnes de papier par an, a baissé drastiquement sa consommation, alors même que la pâte à papier est constituée, au départ, de 94 % d’eau. Elle recycle quasiment 100 % de son eau de process, le pompage ne venant plus que compenser l’évaporation. "Notre coefficient est passé à 3,66 tonnes d’eau par tonne de papier produite. C’est énorme : dans le métier, la moyenne est plutôt à 10 tonnes d’eau par tonne de produit fini. Si on en avait été là l’été dernier, on aurait dû fermer", poursuit Bertrand Legrand.

Pour autant, les alertes sur l’eau qui s’accélèrent, comme l’envie de limiter son impact, poussent la cartonnerie à aller plus loin. Depuis quasiment deux ans, elle met au point un système de récupération des eaux de pluie, qui devrait être opérationnel cet automne. L’investissement est d’1,4 million d’euros au total, incluant un soutien de l’Agence de l’Eau. "L’enjeu est de taille, puisqu’il devrait nous permettre de passer à 2,66 tonnes d’eau prélevées par tonne de produit fini. Nous allons récupérer l’eau sur les toitures et les voiries, sur une surface de 18 hectares. Le gain environnemental sera supérieur au gain financier, l’ensemble devrait être à l’équilibre. Le but premier est de diminuer nos prélèvements en milieu naturel." Les investissements à venir porteront sur l’amélioration continue du réseau, pour limiter encore toute déperdition d’eau ou de vapeur.

Piloter efficacement les territoires

Si les évolutions sur les sites existants sont lourdes à mettre en place, comment gérer de front, développement économique d’un territoire et préservation de sa ressource en eau ? Dans l’Audomarois, dont le marais est classé à l’Unesco, la préservation de l’eau guide déjà les arbitrages économiques. "L’Audomarois est le château d’eau de la région. Préserver la ressource est une préoccupation de longue date. Nous limitons les autorisations de forage pour les entreprises, et nous ne nous positionnons pas sur certains dossiers d’implantation, trop consommateurs en eau. En particulier, les dossiers agroalimentaires, impliquant du lavage de légumes ou de la découpe de viande", décrit Bénedicte Brienne, la directrice de Sofie, l’agence locale de développement économique. En parallèle, entreprises et particuliers sont accompagnés pour réduire leur consommation en eau potable, et pour récupérer l’eau de pluie. "Nous avons des champions sur le territoire en la matière, comme la Brasserie Goudale, qui a réussi à diviser par trois la quantité d’eau utilisée par litre de bière produit. Ou nos maraîchers, qui depuis 2018 irriguent leurs tomates à l’eau de pluie, et au goutte-à-goutte…"

Dans le Dunkerquois, qui connaît une forte dynamique industrielle, des arbitrages sont également de mise. L’implantation de vastes usines, comme celles de Prologium ou de Verkor, ou du futur Hub Hydrogène, va gonfler les besoins industriels mais aussi, des foyers, toujours plus nombreux sur le territoire. La sobriété est donc de mise depuis longtemps : la tarification progressive de l’eau, instaurée il y a une dizaine d’années, a permis de faire baisser d’environ 10 % la consommation des ménages. "On a atteint les objectifs du Plan Eau, 10 ans avant", se félicite Bertrand Ringot. En parallèle, des investissements sur le réseau ont permis d’améliorer le taux de rendement, à 93 %, quand les fuites peuvent représenter jusqu’à 25 % de l’eau pompée sur des réseaux vétustes.

Sur le versant grande industrie, les canaux, nombreux sur le polder, assurent l'approvisionnement en eau industrielle. Depuis les années 1960, ils sont utilisés pour le refroidissement des installations, mais pas seulement. Nécessité faisant loi, les usages de cette eau se diversifient : la nouvelle usine de Clarebout Potatoes à Dunkerque, d’où vont bientôt sortir, 1 400 tonnes de frites surgelées à l’année, va utiliser 2 millions de mètres cubes d’eau du canal pour le premier lavage de ses pommes de terre. "Les industriels arrivent toujours en annonçant des besoins énormes en eau et en énergie. C’est à nous de travailler avec eux pour ajuster ces estimations, et en général on arrive à des consommations réelles bien inférieures", assure Bertrand Ringot. "Cela passe par l’instauration de circuits fermés, mais aussi, par l’économie circulaire qui permet de mutualiser les usages : l’eau du process de l’un peut alimenter le site d’un autre, etc." Car l'eau, même dans les canaux, n'est pas inépuisable...

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