Coronavirus : à qui profitent les prêts garantis par l'État ?
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Coronavirus : à qui profitent les prêts garantis par l'État ?

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Lancé le 25 mars, le prêt garanti par l’État (PGE) devait ouvrir les vannes du crédit pour apporter de la trésorerie aux entreprises en proie avec l’épidémie de coronavirus. Un mois plus tard, la mission a-t-elle été remplie ? Apparemment oui, si l’on en croit le premier tableau de bord hebdomadaire publié par le ministère de l’Économie. Il en ressort que les TPE des secteurs les plus impactés par le confinement arrivent en tête des bénéficiaires du PGE.

En trois semaines, 162 000 entreprises ont obtenu plus de 24 milliards d’euros de prêts garantis par l'État, selon un premier bilan du ministère de l'Économie — Photo : Pixabay

En temps normal, l’adage veut que les banques ne prêtent qu’aux riches. Mais qu’en est-il en période de crise sanitaire, lorsque les crédits qu’elles octroient sont couverts jusqu’à 90 % par la puissance publique - autrement dit, quand leur prise de risque ne porte que sur 10 % de la somme débloquée ? Cette question trouve désormais sa réponse dans le nouveau tableau de bord hebdomadaire du prêt garanti par l’État (PGE), réalisé par le ministère de l’Économie.

Cette compilation statistique, publiée pour la première fois le 24 avril, permet de suivre le flot de liquidités qui a jailli de cette nouvelle source de financement - en trois semaines, entre le 25 mars et le 15 avril (date d’arrêté de ce premier bilan), ce sont plus de 24 milliards d’euros qui ont ainsi été distribués par les banques à plus de 162 000 entreprises.

Deux précisions toutefois : le document ne mentionne que des sommes pré-accordées, c’est-à-dire autorisées par les agences mais encore soumises à enregistrement auprès de Bpifrance. Et 2 337 entreprises (correspondant à 413 M€ de prêts) ont été sorties des calculs, en raison d’erreurs au niveau de l’enregistrement de leur Siren. La masse des données recueillies n’empêche pas pour autant de dresser un profil-type des premiers bénéficiaires du PGE.

Un PGE d’abord pour les TPE…

Le prêt garanti par l’État ressemble d’abord à une bulle d’oxygène pour les plus petites entreprises des secteurs les plus durement touchés par le confinement.

Neuf bénéficiaires du PGE sur dix sont ainsi des TPE. À elles seules, elles captent plus de la moitié des sommes accordées par les banques, soit un montant moyen de 90 000 euros. Du côté des PME, elles sont 7 500 à avoir récupéré 8,5 milliards d’euros de trésorerie (plus d’1 million d’euros par entreprise en moyenne). Enfin, 195 ETI ont emprunté plus de 2 milliards d’euros.

Rien, en revanche, sur les start-up, dont le modèle économique pourrait effrayer les banquiers. Mais c'est aussi pour cette raison qu'un guichet direct leur a été ouvert auprès de Bpifrance. Quant aux grandes entreprises, une seule a déjà obtenu un PGE de 500 millions d’euros, mais elle ne figure pas dans ce décompte : le groupe Fnac Darty n’a obtenu le feu vert de Bercy que le 18 avril. Il devrait être prochainement rejoint par Air France (à hauteur de 4 Md€) et Renault (en discussion pour 5 Md€), comme l'a annoncé le ministre de l'Économie Bruno Le Maire sur TF1, le 24 avril.

… et pour les secteurs sinistrés par le confinement

Quels secteurs le PGE a-t-il le plus irrigués ? Sans conteste, le commerce : il représente un quart des bénéficiaires et un tiers des montants prêtés (7,6 milliards d’euros). Suivent l’hébergement-restauration (16 % des bénéficiaires) et la construction (15 %). Un podium loin d’être surprenant : les deux premiers sont, dans leur grande majorité, soumis à fermeture administrative depuis la mi-mars, la troisième s’est arrêtée presque aussi net face à la difficulté de respecter des règles sanitaires suffisamment protectrices sur les chantiers.

En valeur, l’industrie se révèle toutefois parmi les plus gourmands en cash avec près de 3,8 milliards d’euros décrochés (16 % du total et deuxième montant le plus élevé, derrière le commerce).

Avantage aux entreprises solvables

Le PGE a beau être garanti par l’État, il est d’abord octroyé par les banques, sans automaticité. Leur analyse du risque conditionne donc le déblocage d’un prêt. Pas étonnant alors que 42 % des montants pré-accordés profitent aux entreprises les plus solvables (cote de crédit de "correcte" à "excellente" dans l’échelle fixée par la Banque de France).

Pour autant, les sociétés plus en difficulté ne sont pas complètement exclues, loin de là : plus de 13 700, dont la situation financière était jugée "assez faible" ou "faible", ont obtenu 4,75 milliards d’euros (près de 20 % du total distribué). Ceci étant, l’écrasante majorité des bénéficiaires (78 % représentant un tiers des montants accordés) n’entrent pas dans la cotation de la Banque de France - conséquence de la surreprésentation des TPE dans le dispositif.

Peu de PGE dans le Grand Ouest

Au niveau géographique, la carte de distribution du prêt garanti par l’État suit plus celle de l’économie que de l’épidémie. Derrière l’Ile-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes a drainé plus de 3 milliards d’euros (12,5 % du total) au profit de 21 104 entreprises (13 %). La Nouvelle-Aquitaine (2,5 Md€ pour 19 492 bénéficiaires) devance les deux régions du Sud, au coude-à-coude : si Paca compte un millier d’emprunteurs en plus que l’Occitanie (18 541 contre 17 501), les deux ont chacun décroché près de 2,25 milliards d’euros.

En queue de peloton, et à moins d’1 milliard d’euros chacune, la Bretagne, la Normandie, le Centre-Val de Loire, les Pays de la Loire et la Bourgogne Franche-Comté devancent toutefois largement la Corse, pourtant très dépendante du tourisme à l’arrêt (158 millions d’euros de PGE).

Et le taux de refus alors ?

Sur ce point, le tableau de bord de Bercy ne dit mot. Et pour cause, il ne s’intéresse qu’aux prêts validés. Mais le 22 avril, le directeur général de Bpifrance Nicolas Dufourcq évoquait un taux de refus de l’ordre de 2 à 3 %, sur la foi des informations en provenance des banques. Chiffre confirmé par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire le lendemain.

Interrogé sur RTL à propos des motifs de rejets des demandes de PGE, Nicolas Dufourcq avait bien voulu énumérer les situations les plus courantes : « Ce sont souvent soit des entreprises qui sont déjà bien fragilisées et qu’une dette abîmerait en réalité, ou elles sont déjà bien endettées et deviendraient surendettées. D'autres sont en procédure collective ou étaient en cessation de paiements à la fin de l’année dernière. Il y a également des refus [quand] les banques considèrent que les entreprises n’ont pas besoin du prêt garanti par l’État, parce qu’elles sont déjà assez fournies en trésorerie… » Comme quoi, avec le PGE, on peut aussi refusé de prêter aux riches.

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