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"Il y a encore beaucoup de PME à embarquer dans la transition écologique"
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Isabelle Albertalli directrice climat de Bpifrance "Il y a encore beaucoup de PME à embarquer dans la transition écologique"

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Après avoir présenté la suite de son plan climat, Bpifrance organisait le "Jour E" à Nantes le 4 avril pour échanger sur les solutions face aux défis climatiques. Si la plupart des start-up sont "nativement" sensibles à ces enjeux, les PME sont encore à mobiliser, selon Isabelle Albertalli. La directrice climat de Bpifrance revient sur les actions qui peuvent enclencher la transition environnementale en entreprise.

Isabelle Albertalli, directrice climat de Bpifrance — Photo : DR

Bpifrance a réuni 1 500 dirigeants d'entreprise à l’occasion du Jour E, une journée dédiée à la transition énergétique et écologique des entreprises à Nantes. En quoi une journée comme celle-ci est-elle encore nécessaire ?

L’idée est de créer un collectif, des cordées, pour que les dirigeants puissent se retrouver à un endroit et échanger sur les solutions trouvées face à un défi, ou trouver des experts qui vont donner de nouvelles idées. Le Jour E permet de faire cette mise en contact, pour aller plus vite. On veut leur donner le coup d’accélérateur car il y a beaucoup de solutions mais très peu de temps. Nous le faisons ici à Nantes car c’est important d’être ancré de façon territoriale, Bpifrance a 50 implantations partout en France, on ne veut pas d’un événement polarisé à Paris. L’idée est aussi de se dire que localement, il est possible de rencontrer des gens qui ont trouvé des solutions qui n’existent pas ailleurs.

Ce n’est pas un salon où on déambule et où on flâne. Cette journée est pensée comme une journée de travail. On vient avec un problème et on ressort avec de nouvelles idées, des contacts, des solutions qui peuvent être mises en œuvre rapidement.

La banque publique d’investissement a présenté la suite du plan climat pour la période 2024-2028 il y a quelques jours. Sur les 35 milliards d’euros dont est doté le plan et les nombreux dispositifs existants, quelles mesures peut-on retenir ?

Il y a plusieurs mesures intéressantes mais on peut retenir le Diag’adaptation, car c'est un sujet peu traité jusque-là. Ce dispositif, qui vise à accompagner les entreprises à l'adaptation au changement climatique, sortira d’ici la fin de l’année Le prêt industrie verte montre aussi le focus encore plus fort qu’on veut mettre sur l’industrie. C’est là qu’il y a le plus d’émissions, c’est aussi là que c’est le plus difficile et le plus intensif en dépense d’investissement. On passe de 5 à 10 millions d’euros par prêt, avec un allongement de la durée et un différé de remboursement, car il ne faut pas que la transition soit un poids pour les entreprises. Ce prêt est emblématique du fait qu’on a encore besoin d’une accélération dans le secteur industriel. Ce n’est pas parce que ce secteur ne serait pas suffisamment avancé mais parce que c’est plus difficile.

"La garantie verte peut être mobilisée pour les projets où il y a plus de risques"

On peut aussi retenir la garantie verte qui va permettre d’entraîner les capitaux privés des autres banques. Avec le discours autour de l’État qui apporte probablement moins de ressources, cette garantie permet de diriger les financements qui existent déjà. La garantie verte peut être mobilisée pour les projets où il y a plus de risques. Cette action de Bpifrance a pour objectif de faire un effet boule de neige sur des projets. Il y a plein de solutions qu’on connaît déjà dans la transition mais aussi d’autres, où on doit passer à l’échelle et où on est frileux. Nous essayons d’absorber le risque auprès des autres banques.

Quel est le degré de sensibilité des start-up et des PME aux enjeux climatiques et à la transition environnementale ?

Les start-up sont plus nativement vertes. 30 % de nos financements sont dirigés vers de l’innovation et dans les greentech où il y a plus de sensibilisation sur le climat. Côté PME, on a quand même 2 500 dirigeants dans la communauté du Coq vert, c’est déjà un premier pas. Chaque semaine, 20 nouveaux chefs d’entreprise nous rejoignent dans cette communauté qui vise à favoriser le partage d'expériences entre dirigeants engagés dans la transition écologique et énergétique. Il y a encore beaucoup de PME à embarquer. Nous avons fait une étude récemment, qui montre que plus de 80 % de dirigeants ont compris que les enjeux climatiques doivent être pris en compte dans la stratégie. Mais la difficulté est de savoir comment passer à l’action. C’est sur ce point qu’on essaie de faire la transformation.

Que pourrait faire une entreprise pour passer à l’action demain et engager rapidement sa transition climatique et environnementale ?

Pour passer à l’action, que cela ait un impact sans perdre d’argent, je commencerai par un bilan carbone qui permet de savoir où on en est. En discutant avec des dirigeants, on se rend compte qu’ils ont fait plein de choses mais qu’ils ne le savent pas, car ce n’est pas mesuré. C’est donc la première chose à faire et c’est ce qu’on fait avec le diagnostic Decarbon’action. Un bureau d’études réalise le bilan carbone et le plan d’actions pour décarboner, puis priorise.

"C’est passer d’une économie du produit à une économie de la fonctionnalité"

Un autre diagnostic existe côté industriel, le diag éco-flux. Il permet de passer en revue les matières, l’énergie, l’eau et les déchets pour voir où sont les pertes et les fuites. Cela génère des économies sur la facture et permet de dégager de la trésorerie pour la suite du plan. Avoir de l’énergie décarbonée, repenser ses procédés, avoir des machines plus électriques, utiliser le moins de matière possible, cela permet d’avoir moins de déchets, de payer moins cher. Trouver des matières sur lesquelles on a le plus d’emprise, où nous sommes moins dépendants des matières internationales et des marchés associés. C’est une démarche à la fois de sobriété, d’économie, de stratégie et une très bonne façon de se lancer dans la transition climatique.

Pour les plus ambitieux, qui veulent aller plus vite, la voie la plus rapide mais la plus dure, c’est de se dire comment s’assurer ou changer un modèle d’affaires pour qu’il soit compatible avec un monde bas carbone. Cela veut dire très probablement faire des arbitrages sur les types de produits vendus, à qui ils sont vendus, pour quels usages. Parfois, c’est passer d’une économie du produit à une économie de la fonctionnalité. Ça suppose de repenser son stock, la durabilité des produits et d’inciter ses clients à faire ce changement. C’est ce qui permettra d’avancer plus vite et d’avoir des écosystèmes de l’usage qui vont s’auto-alimenter et remettre en marche des filières. Ce n’est pas le plus simple et ce n’est pas à la portée de tout le monde.

Quelles entreprises ont réalisé cette bascule ?

Il y a l’exemple assez connu de Mustela et de sa dirigeante Sophie Robert-Velut qui a abandonné la partie jetable des couches. Elle a stoppé cette activité qui représentait pourtant 20 % de son chiffre d’affaires pour la reporter sur autre chose, ce qui a nécessité une innovation. Il y a aussi l’exemple de Michelin, qui facture au kilomètre et non plus au pneu pour les transporteurs routiers. Cela oblige à avoir un produit qui tienne le plus longtemps possible. C’est d’ailleurs plus simple de penser en B to B, car les entreprises ont un moins grand nombre de clients.

Bpifrance a lancé un porte à porte à destination de 20 000 PME autour de la stratégie environnementale de ces entreprises. Quels sont les premiers retours ?

2 500 entreprises sont déjà embarquées. Tous nos chargés d’affaires sont formés et établissent un dialogue avec les dirigeants sur les enjeux environnementaux et climatiques dans leur secteur. Concrètement, c’est un dialogue d’une heure, autour de cette stratégie qui permet d’estimer leur maturité climatique, de suggérer un bilan carbone. Bpifrance propose un continuum de dispositifs assez large qui permet d’être présent à toutes les étapes. Les chargés d’investissement agissent de la même façon, font un suivi en étant au conseil d’administration des entreprises dans lesquelles Bpifrance a investi. Les premiers retours sont bons, notamment grâce à la personnalisation par secteur. Les dirigeants nous disent aussi que ce que nous proposons est concret et offre une solution. Aussi, certains se rendent compte qu’ils ne pensaient pas avoir fait autant de choses.

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