La roue tourne pour le carrossier Gruau. L'entreprise lavalloise sort d'une période difficile, commencée en 2019 avec la perte brutale d'un contrat à 40 millions d'euros au Royaume-Uni. Puis, il y a eu le Covid et surtout les difficultés de livraison liées à la pénurie de semi-conducteurs chez les constructeurs automobiles. Alors que " le marché est encore en baisse de 5 %, nous allons connaître une progression de 20 % ", expose Jean Margerie, directeur des grands projets du groupe aux 1 400 salariés. " Notre chiffre d'affaires devrait atteindre 270 millions d'euros cette année ", annonce le président Patrick Gruau ; un niveau proche de celui de 2019 (alors de 279 M€). Celui de 2022 s'était établi à 222 millions d'euros.
Des contrats clé sur plusieurs années
Plusieurs contrats ont permis ce rebond. Celui obtenu auprès de l'État, d'abord, pour la livraison de nouveaux fourgons d'intervention de la gendarmerie mobile. Le nouveau modèle neuf places mais aussi un modèle six places, " une nouveauté " pour ces forces de l'ordre commandée pour gagner en mobilité. " Il a représenté 30 000 heures de développement, avec deux injonctions contradictoires : du confort et l'efficacité opérationnelle ", expose le directeur général Xavier Aumonier. De novembre 2022 à 2025, un millier de ces véhicules sortiront du site de Laval.
Deux autres contrats ont ramené de la sérénité dans l'activité de Gruau. " Nous avons décroché un appel d'offres européen lancé par Renault, pour adapter le prochain Master, poursuit Xavier Aumonier. Cela représente plus de 1 500 utilitaires par an et 5 000 bennes par an. Et si tout va bien, c'est un contrat sur plusieurs années, voire sur la vie du produit, c'est-à-dire une dizaine d'années. " Les kits seront assemblés sur le site de Gruau Lorraine, près de Metz (Moselle). Ils seront ensuite livrés en bout de chaîne et montés directement sur les châssis du Master chez Renault Batilly, situé à quelques kilomètres. "
Et puis, Toyota a choisi Gruau pour adapter des véhicules électriques au transport de personnes à mobilité réduite (TPMR). Une manière de s'implanter sur le marché européen pour le constructeur japonais. " Cela va représenter 300 à 400 véhicules par an ", précise le DG. Un dossier qualifié de " structurant " dans la stratégie de pérennité du groupe.
Spécialisés sur la petite et moyenne série
Alors que l'industrie automobile patine encore — une baisse de 2,8 millions de véhicules est annoncée pour cette année par rapport aux 90 millions produits en 2019 —, Patrick Gruau peut se féliciter d'avoir pris des longueurs d'avance sur les concurrents. Sa recette ? Chacune de ses onze usines en France et cinq à l'étranger est spécialisée pour répondre à un type de marché en particulier : ambulances, fourgons grand volume, bennes, TPMR, véhicules isothermes, voitures de société, deux roues, etc.
" Cela nous permet de flécher notre activité sur des lignes de production, en fonction des marchés, explique Patrick Gruau. Rendre mobiles et efficients des services de sécurité et de santé (gendarmerie, hôpitaux, pompiers, etc.), c'est plus que jamais utile. Nous nous sommes ainsi concentrés sur l'ambulance, qui reste le fer de lance du groupe, en particulier pour l'export (20 % en chiffres). Et nous avons obtenu ce contrat pour des fourgons de maintien de l'ordre destinés aux gendarmes mobiles. Aujourd'hui, plus de 600 motos sortent de notre site de Paris (à Taverny, dans le Val-d'Oise, NDLR), à destination de la police, mais aussi de la gendarmerie. Ce sont de nouveaux contrats pour nous. Mais cela n'empêche pas d'avoir une capacité d'adaptation des sites en fonction des baisses d'activité ponctuelles. En attendant le Master, par exemple, Gruau Lorraine transforme des ambulances. " L'arrivée de Xavier Aumonier coïncide avec une plus grande transversalité entre sites.
Le carrossier convainc les grands constructeurs de se concentrer sur les modèles standards. Leurs usines produisent des milliers de voitures identiques chaque semaine ? " Nous, nous sommes spécialisés sur les petites et moyennes séries. Nous sortons entre 300 et 800 véhicules, selon les commandes de nos clients ", présente Patrick Gruau. Son groupe en adapte quatre par jour en moyenne, selon le type d'adaptation à effectuer. " Adapter un châssis au TPMR nécessite de couper l'essieu et le châssis arrière pour repenser la structure et gagner en hauteur afin d'accueillir une personne en fauteuil roulant. C'est une opération qui nécessite du temps. À l'inverse, une berline est transformée en voiture de société en seulement une heure. "
Un avenir branché sur l'électrique
Externaliser pour se concentrer sur ses savoir-faire, cela a aussi été le choix de Patrick Gruau. " Il y a dix ans, on étudiait le potentiel des moteurs électriques. Mais j'ai voulu changer de modèle, ne plus être concepteur mais se recentrer sur notre métier d'adaptateur. " En 2006, le groupe a mis sur le marché les premiers minibus électriques, puis l'utilitaire Electron dont la production a été abandonnée en 2019. " On était trop en avance ", justifient les dirigeants du groupe: les investissements nécessaires à l'émergence d'un tel marché auraient été trop conséquents pour le carrossier.
Le véhicule électrique, poussé à marche forcée par les réglementations européennes, n'en reste pas moins un marché d'avenir pour le groupe. Le savoir-faire est resté dans l'entreprise, en particulier sur le site de Laval. La création de la marque " Utility-terre par nature " doit orienter à la hausse la part des nouvelles gammes électriques — les utilitaires électriques représentent 2 % des volumes produits par Gruau. Un nouveau partenariat avec Rev'Mobilities, une entreprise spécialisée dans le développement de solutions de retrofit, a commencé à prendre forme : des bus à moteur thermique seront adaptés en électrique sur le site Gruau du Mans (Sarthe). Puis des utilitaires.
Un second contrat suivra avec une autre entreprise française du retrofit, Qinomic, pour des modèles de fourgons. " Ces véhicules pourraient coûter deux fois moins cher à l'achat que du neuf électrique ", évalue Patrick Buchard, directeur adjoint en charge des mobilités urbaines.
" Nous sommes ouverts à toutes les solutions pour diminuer l'empreinte carbone : les véhicules électriques, à hydrogène demain, voire d'autres énergies ou autres solutions demain ", cadre Patrick Gruau. " Nous travaillons également à diminuer le poids de nos carrosseries, pour gagner en charge utile et optimiser chaque déplacement, tout comme l'aérodynamisme de chaque véhicule, en particulier les fourgons grand volume : on étudie les déflecteurs et capucines pour diminuer le Cx et réduire ainsi la consommation d'énergie. "
" On ne s'interdit rien "
Le groupe se positionne aussi sur les nouvelles tendances. Avec des petits véhicules électriques, par exemple, " pour des professionnels toujours, qui se déplacent dans l'enceinte d'un site industriel ou dans des ruelles étroites ", précise Patrick Gruau. Son groupe est ainsi distributeur exclusif en France de la marque Cenntro, des petits fourgons ou bennes d'une demi-tonne et 2 m3. Et Flex'moov a été créée début 2022 dans le but " de réunir toutes les idées pour pouvoir répondre à toutes les opportunités ". Cette start-up s'adresse pour l'heure aux professionnels en zone urbaine, en leur proposant à la vente ou à la location des véhicules. Sur le dernier kilomètre, Gruau imagine dans son laboratoire des caissons adaptables dans un même fourgon, qui ne se limiterait plus à un usage captif.
Le carrossier répond même à des demandes ponctuelles à partir de véhicules d'occasion, reconditionnés ou réaménagés en fourgons, TPMR, camion-benne, véhicules frigorifiques ou encore food-trucks. " Un livreur ou un petit transporteur, par exemple, a intérêt à revendre un fourgon neuf dans les deux ou trois ans, avant les 300 000 kilomètres. Mais le véhicule peut encore faire 40 000 ou 50 000 kilomètres sans problème. C'est une solution économique qui peut intéresser des artisans, qui en général, ne font pas beaucoup de longs déplacements ", décrit Patrick Gruau.
Si cette activité ne représente pas de gros volumes dans le résultat du groupe, il fait néanmoins partie d'une logique globale, la poursuite de la diversification de l'offre, avec l'objectif de réduire l'empreinte carbone du produit et du groupe. Désormais, le carrossier Gruau s'essaie même, par le biais d'un accord, aux remorques (électriques, avec le fabricant français K-Ryole) et aux vélos-cargos. " On ne s'interdit rien ", signe Patrick Gruau. " Tout ce qui roulera en ville intéresse Gruau. " La marque Ligier pourrait ainsi devenir le quarante-deuxième constructeur à faire confiance à l'entreprise mayennaise. Un record.
