Bouches-du-Rhône
Agnès d'Angelo (Enit) : « Aucune autre décision que l'arrêt de tous les chantiers non urgents ne pouvait être prise »
Témoignage Bouches-du-Rhône # BTP

Agnès d'Angelo (Enit) : « Aucune autre décision que l'arrêt de tous les chantiers non urgents ne pouvait être prise »

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Une semaine après la mise en place des premières mesures visant à limiter la propagation du coronavirus Covid-19, Agnès d’Angelo, dirigeante de la PME familiale des travaux publics Enit à Meyreuil (Bouches-du-Rhône), livre son témoignage et ses interrogations quant aux injonctions du gouvernement visant notamment les entreprises du BTP.

Agnès d'Angelo, dirigeante du groupe Enit — Photo : DR

« Le gouvernement, les médecins et les médias le martèlent quotidiennement : "restez chez vous !" Le confinement est inévitable et s’impose à tous. C’est donc le cœur gros et avec beaucoup d’inquiétude et de doutes que dimanche 15 mars 2020 à 22 h 30, j’ai pris la décision de stopper tous les chantiers non urgents qui étaient confiés à notre entreprise, une PME familiale qui emploie 45 salariés et qui existe depuis cinquante ans.

Aujourd’hui, je suis inquiète car arrêter l’activité d’une entreprise cela veut dire que plus aucune recette ne va rentrer alors que les charges fixes, elles, vont continuer de courir. En effet, les personnes en télétravail seront payées normalement, les loyers, assurances et autres dépenses vont s’accumuler même avec un décalage dans le temps.

« Plus aucune recette ne va rentrer alors que les charges fixes, elles, vont continuer de courir. »

De plus, ces questions qui nous taraudent : Comment le chômage partiel fonctionne-t-il ? Jusqu’à quelle hauteur indemnise-t-il notre personnel ? L’entreprise va-t-elle devoir faire des compléments ? Malgré toutes ces interrogations, aucune autre décision ne pouvait être prise. »

Un attachement viscéral à son entreprise

« Le principe de précaution dont on parle tant, en toutes circonstances, les discours solennels et graves, les injonctions des politiques et des personnels soignants, l’obligation du chef d’entreprise de prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et protéger la santé de ses employés ont rapidement éliminé toute hésitation.

Quand on est dirigeant d’une PME familiale, on est très attaché à son entreprise. Elle fait partie de notre quotidien. Nous sommes aussi attachés à nos salariés, la dimension humaine est fortement présente. »

« Quand on est dirigeant d’une PME familiale, […] la dimension humaine est fortement présente. »

Des choix responsables

« Conscients de la gravité de la situation, nous avons pris nos responsabilités en faisant ce choix. Pour protéger nos salariés et tenter de freiner la propagation du Covid-19. Certains maîtres d’ouvrage ont aussi pris les leurs, ce que je salue au passage, nous délivrant des ordres de services d’arrêt de chantier. En revanche, d’autres jouent la montre, attendant un positionnement clair et ferme de l’État.

Et puis, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, nous a demandés la semaine dernière de reprendre nos chantiers. Selon elle, les entreprises du BTP sont « défaitistes », « voire tires au flan » et « souhaiteraient profiter du chômage partiel ». Il suffira de respecter un protocole rédigé par l’Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics, précisant la nécessité de respecter des mesures de sécurité renforcées.

Comment peut-on nous imposer cela, sachant qu’il est difficile, voire impossible de s’approvisionner en masques de protection et en gel hydroalcoolique, accessoires d’absolue nécessité dont les hôpitaux eux-mêmes craignent de bientôt manquer ?

Comment ne pas être triste et en colère face à de tels propos, si méprisants et honteux au regard des responsabilités qui nous incombent, au regard de notre engagement quotidien pour contribuer au dynamisme de notre économie ?

Aujourd’hui, j’ai compris que j’allais devoir demander à mes équipes d’aller sur le terrain. Sachant que les consignes de sécurité et les gestes barrières ne pourront pas être respectés sur les chantiers. Parce que l’État n’a pas les moyens de tout financer.

« Aujourd’hui, j’ai compris que j’allais devoir demander à mes équipes d’aller sur le terrain. »

Comment allons-nous expliquer à nos salariés qu’ils peuvent sortir travailler mais que le soir et le week-end, ils doivent rester confinés chez eux et ne pas aller ne serait-ce qu’à la plage où là, on leur dit que les gestes barrières ne peuvent pas être respectés ?

Pour une fois, ce serait sage et raisonnable que l’État prenne vraiment ses responsabilités, alors que nous vivons une catastrophe sanitaire inédite dans notre pays. Que vais-je répondre au premier salarié qui viendra m’annoncer qu’il est contaminé ? »

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