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Trafic de drogue, cyberattaque, malveillance : ces menaces qui pèsent sur le port de Nantes Saint-Nazaire
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Trafic de drogue, cyberattaque, malveillance : ces menaces qui pèsent sur le port de Nantes Saint-Nazaire

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Le grand port maritime Nantes Saint-Nazaire est l’objet de risques et de menaces grandissantes. Terrorisme, malveillance, intrusions, trafics illicites, risques industriels, sont autant d’enjeux de sûreté et de sécurité qui obligent tous les acteurs portuaires à assurer la protection des personnes et des biens. Son attractivité, son image et sa crédibilité internationales sont à ce prix.

Le port de Nantes Saint-Nazaire fait l'objet de surveillance jour et nuit de la part de la gendarmerie — Photo : David Pouilloux

La vie du Grand Port Maritime Nantes Saint-Nazaire n’est pas un long fleuve tranquille. C’est le moins qu’on puisse écrire. Dans les derniers mois, deux affaires ont jeté une lumière crue sur les menaces qui pèsent sur le quatrième port français, le plus important de la façade maritime, avec 30 millions de tonnes de marchandises ayant transité par ses quais en 2021. Quelles menaces ? La plus récente, le trafic de drogue. Les services des douanes ont saisi lundi 30 mai une livraison de 364 kg de cocaïne dissimulée dans des conteneurs au port de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique). Quelques mois auparavant, une dizaine de personnes, dont quatre dockers de ce même port, ont été condamnées à des peines de quatre à dix ans d’emprisonnement pour avoir participé à l’importation de cocaïne dans des conteneurs en provenance des Antilles. Une cargaison de 336 kg de cocaïne avait été saisie au port de Montoir lors de quatre importations impliquant des dockers entre juin 2017 et avril 2020.

Mais que se passe-t-il sur les rives de l’estuaire de la Loire ? "Les ports de Rotterdam, Anvers et Le Havre ont renforcé leur sécurité, explique Jean-François Ecobichon, directeur des Douanes régionales Pays de la Loire. Les trafiquants évitent ces ports et ont choisi des ports secondaires, qui leur semblent moins surveillés. C’est une tendance de fond, et la situation s’aggrave." En mai dernier également, un colis avec 124 kg de cocaïne a été découvert sous la coque d’un navire dans le port de commerce de La Rochelle…

Sécurité et sûreté maritimes

En fait, le trafic de stupéfiants n’est qu’une partie des menaces qui pèsent sur un port comme celui de Nantes Saint-Nazaire. "Nous sommes dans une période de diversification, d’intensification et de conjugaison des menaces, résume Frédéric Renaudeau, expert en stratégie et économie maritime au sein du Pôle Mer Bretagne. Aujourd’hui, un drone acheté dans le commerce est capable d’emporter une charge explosive. Au moment où vous avez une attaque physique comme celle-ci, vous pouvez devoir faire face à une cyberattaque. Ces menaces se conjuguent. Il faut pouvoir traiter de façon globale toutes ces menaces dont le spectre s’est élargi avec la technologie."

Afin d’avoir une idée de l’étendue du problème et balayer l’éventail des solutions, le Pôle Mer Bretagne a ainsi rassemblé le ban et l’arrière-ban de la sécurité et de la sûreté maritime lors d’une conférence, en mai dernier, du côté de Montoir-de-Bretagne. Sécurité ? Sûreté ? Deux mots qu’il convient de bien comprendre pour saisir les enjeux. "La sécurité se rapporte aux personnes et aux biens sur leur lieu de travail, explique Pascal Fréneau, directeur général adjoint de Grand Port Maritime Nantes Saint-Nazaire. La sûreté concerne la prévention des actes de malveillance."

Pour comprendre l’importance de l’enjeu de la sécurité et de la sûreté, en particulier pour l’économie, Pascal Fréneau estime qu’il est essentiel de comprendre à quoi sert un port. "Nous sommes le quatrième ensemble industriel et portuaire de France avec un trafic moyen de 30 millions de tonnes. Le port est une grande infrastructure aux services des entreprises, avec une zone aménagée sur le plan industriel et logistique, de 1 300 hectares. Il permet aux acteurs du territoire (Pays de la Loire, Bretagne, Centre-Val de Loire et une partie de la Nouvelle-Aquitaine) de faire du commerce international, de pouvoir expédier des marchandises à l’étranger ou de recevoir des marchandises et des matières premières du monde entier (pétrole, gaz, conteneurs, etc.). Le port est un acteur essentiel d’une activité marchande. Il permet à un grand nombre d’entreprises de faire du business. Dans la chaîne marchande, à toutes les étapes, la confiance est importante. La sécurité et la sûreté sont des éléments cruciaux de cette confiance."

Attractivité, compétitivité, concurrence, crédibilité…

Pour l’attractivité et la compétitivité d’un port, pour son image, sa réputation, ces deux sujets sont en réalité des priorités à traiter face à la concurrence des ports entre eux. Le contexte général impose aux ports de se mettre à la page sur ses deux sujets sous peine de perdre leur crédibilité vis-à-vis des acteurs économiques internationaux qui, sinon, iraient voir ailleurs. "Une des missions du port consiste à assurer une partie de la sécurité et de la sûreté du site, en collaboration étroite avec d’autres acteurs du port, les entreprises, la gendarmerie, la police, la Préfecture, les douanes, explique Christian Ribé, en charge de la sécurité et de la sûreté pour le Grand Port Maritime. Un plan de sûreté est établi et des audits réguliers sont effectués par les inspecteurs des affaires maritimes et ceux de la commission européenne. Si tout est bon, on nous délivre un certificat international, valable 5 ans. Lors du dernier audit, certains points d’amélioration ont été relevés… Vous comprendrez que ces informations sont évidemment confidentielles… "

Ce contrôle est nécessaire, tant la liste des menaces pourrait donner le mal de mer : terrorisme, trafic de drogue, d’armes, d’être humains, cyberattaque… "Les risques dépendent de la spécificité des ports et de leur localisation, déclare Erwan Perchec, commandant en second de la compagnie de gendarmerie maritime et spécialiste de la sûreté maritime et portuaire. Est-ce un port passager ou un port industriel ? Est-ce un port à dominante conteneurs ou un port énergétique ? Le spectre des menaces est large. En haut du spectre, il y a la menace terroriste, et en bas, les intrusions de manifestants." Le commandant Perchec dirige une unité présente dans les principaux ports français. Elle assure des patrouilles en mer et terrestres, de jour comme de nuit, pour surveiller qui rentre dans l’espace portuaire… "Nous avons les équipements nécessaires pour interpeller et mettre hors d’état de nuire tout individu mal intentionné, précise l’officier. Notre embarcation peut filer jusqu’à 52 nœuds sur l’eau."

Nicolas Le Brun est lui chargé de mission à la préfecture de Loire-Atlantique. Il dresse un panorama très vaste des intrusions possibles qui peuvent mobiliser les forces de police. "Les intrusions dans un port peuvent être de différents types, et la première d’entre elles pouvait auparavant être celle d’un promeneur ou d’un pêcheur. Dorénavant, la réglementation impose des clôtures et des barrières, avec contrôle d’accès à l’aide de badge. Depuis le 1er janvier, un intrus s’expose à une amende de 3 750 euros, voire 7 500. Les intrusions peuvent être motivées par des actes de malveillance, pour détruire du matériel, ou des intrusions à titre revendicatif, des activistes. Il existe aussi des intrusions en liens avec des trafics illicites (drogue, armes, etc.). On lutte contre ses éléments en coordonnant nos forces." Une particularité de port Nantes Saint-Nazaire ? "Ici, il y a peu d’intrusions liées à des flux migratoires illégaux." Les frontières avec les autres pays, l’Angleterre en particulier, le rendent moins attractif.

Un métier dangereux

Du côté des entreprises, la question de la sécurité et la sûreté sont évidemment cruciales. Il ne faut pas oublier que 18 000 personnes travaillent sur le port pour plus de 520 entreprises et que l’on compte 2 443 escales de navire en 2021. Arnaud Kuhn est le patron de Sogebras et TGO (Terminal du Grand Ouest). Ces deux entreprises de logistiques portuaires réalisent ensemble 37 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est l’un des gros acteurs du port. Ces sociétés ont pour clients Les Chantiers de l’Atlantique, Man ou General Electric. Sur un espace de 59 hectares, elles assurent par exemple la manutention de milliers de conteneurs, de voitures, de moteurs de 400 tonnes ou de pâles d’éolienne de 75 mètres de long. "La logistique sur un port est un métier particulièrement dangereux. Il y a beaucoup de mouvements de machines, de grues, de personnels. La sécurité de nos salariés est très importante. On met tout en œuvre pour qu’ils ne se blessent pas, dit-il. Pour la sûreté, l’autre grand volet de notre vigilance, il est important de savoir que depuis les attentats du 11 septembre 2001, les ports sont devenus des lieux davantage sécurisés, à l’image des aéroports. C’est une obligation réglementaire."

Le règlement ? Il est défini par le code International Ship and Port Facility Security (ISPS), ou Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires. C’est la bible de la sécurité et de la sûreté pour les installations portuaires et les acteurs qui y travaillent. "Nous devons contrôler les individus qui rentrent sur le port, mais aussi les biens, illustre Arnaud Kuhn. On trace les flux de marchandises, et lorsque l’on a un doute, on le signale aux autorités." Un doute ? "Lorsqu’un plomb de conteneurs n’est pas bien scellé, que le numéro n’est pas conforme, ou qu’une personne est sur le port à une heure où elle ne devrait pas être là, ces éléments attirent notre attention," révèle Arnaud Kuhn qui sait de quoi il parle. Cinq de ses salariés sont aujourd’hui en prison, emprisonnements liés au trafic de cocaïne évoqué précédemment.

Groupes mafieux

"Les groupes mafieux font pression sur nos salariés, d’une manière très insidieuse, opaque, avec des menaces physiques sur eux ou sur leur famille, afin qu’ils les obligent à récupérer pour eux des "colis" placés dans des conteneurs." Arnaud Kuhn ajoute : "Le libre accès au port, aux équipements, c’est fini. On a changé de monde. Pour nous, la sûreté est un nouveau métier que l’on doit apprendre, avec l’aide des services de l’État." Mais il reconnaît un problème : "Si on installe une caméra de surveillance sur le port, elle sera détruite dans l’heure. Les dockers n’aiment pas être filmés." Dans les grands ports du nord de l’Europe, cette question a été réglée : il y a des caméras, et les trafics illicites ont chuté et les ports secondaires européens ont "récupéré" une partie des trafics illicites…

Faute d’installer des caméras de surveillance, il est possible de survoler les installations portuaires depuis les airs, au moyen de drones. La société nantaise Pilgrim technology, basé à La Chevrolière (Loire-Atlantique) est spécialisée dans l’inspection industrielle de lieux critiques, notamment au moyen de robots et de drones. Elle offre ses services à Engie, Airbus ou Naval Group. Anne-Marie Haute, la co-dirigeante de cette start-up de 18 personnes explique : "Nous avons un projet mené en partenariat avec TGO et le Pasca (Pôle Achats Supply Chain Atlantique), un collectif d’acteurs économiques et d’institutions des Pays de la Loire spécialisé en achats et logistique. L’objectif est de fournir à TGO un drone autonome capable de faire l’inventaire des conteneurs présents sur le site, de les localiser, et des missions de sécurité et de sûreté, avec une caméra jour et une caméra thermique, pour détecter d’éventuelles intrusions, observer si les clôtures sont intactes…" Pour l’heure, le drone, de la taille d’une mouette, est en phase de test, à la Chevrolière, chez Armor, avant d’être déployé sur le port.

Des budgets très importants

L’un des sites les plus sécurisés du grand port est Elengy, le terminal méthanier, qui accueille des navires du monde entier et surtout stocke une matière éminemment dangereuse, le gaz naturel liquéfié, avant de le distribuer dans le réseau de GRDF. Un site hypersensible, et une cible potentielle pour les terroristes ou les activistes. "Nous travaillons en étroite collaboration avec les services de l’État et au plus haut niveau, confirme Christophe Toublanc, directeur de la sûreté du site Elengy et des deux autres sites méthaniers français situés à Fos-sur-Mer. Soyons clairs, le niveau de sécurité et de sûreté y est comparable à celui d’une centrale nucléaire. Chez chaque salarié, ces deux notions sont ancrées et font partie de l’activité quotidienne. Par ailleurs, une société de sécurité privée assure la protection du site. La protection se joue dans les trois dimensions, terre, mer, air. Et avant même que le navire n’accoste à quai… Ce sont des budgets très importants." S’ajoute l’investissement en matériel, clôtures, caméras, radars, sonars, drones, etc. Des budgets proportionnels à l’impact économique qu’aurait une attaque sur un site aussi stratégique pour l’alimentation en énergie de notre pays.

Cyberattaque

L’une des menaces les plus contemporaines pour les ports est les cyberattaques. "Comme partout le numérique a pris beaucoup de place, que ce soit à bord des bateaux, et chez tous les acteurs du port, rapporte Olivier Jacq, directeur technique et scientifique chez France Cyber Maritime. Ce qui les rend vulnérables, évidemment. Par exemple, la cyberattaque sur l’armateur Maersk lui a coûté environ 300 millions de dollars." On dénombre 31 attaques (ayant fait l’objet d’une communication publique, les autres ayant été discrètement gérées) qui ont touché des infrastructures portuaires depuis 2001, avec une forte augmentation depuis 2017. "Cinq attaques rendues publiques visant le portuaire ont été recensées depuis le début de l’année 2022, relève Olivier Jacq. La demande de rançon moyenne est de deux millions de dollars."

France Cyber Maritime ? Une association loi 1901 et une structure innovante en Europe. "Elle comprend près de 60 adhérents du monde maritime et portuaire français, précise Olivier Jacq. Elle a été mise en place pour couvrir au mieux ces risques cyber maritime et favoriser le développement d’une réponse souveraine." En d’autres mots, la France s’est dotée d’un outil capable de défendre son économie portuaire, secteur hautement stratégique. "Le secteur maritime a un impact sur 14 % du PIB français, relate Olivier Jacq. Il génère 83 milliards d’euros en valeur de production pour notre économie et concerne 340 000 emplois. Environ 60 % du brut mondial et 90 % du brut français transitent par la mer…"

Capacités humaines vite dépassées

Le marché lucratif de la sûreté et de la sécurité maritime attise évidemment les appétits. Les fournisseurs de sécurité et de sûreté, hommes ou machines, investissent ce secteur. Des géants comme Thalès, Alcatel Lucent, Schneider Electric s’associent avec des partenaires aux savoir-faire technologiques avancés pour proposer des solutions "tous milieux", du sous-marin au drone, et "tous risques", du colis piégé au colis de coke. "L’idée, c’est d’augmenter les capacités de perception des dangers aux moyens de capteurs, et de proposer des effecteurs pour diminuer ce danger. Il s’agit d’avoir un système de protection multi-domaines, c’est-à-dire que l’on couvre aussi bien les dangers provenant de la mer, de la terre, de l’air que du cyber, propose Philippe Loviconi, de CS Group (2 000 salariés, 487 M€ de CA), spécialiste des systèmes informatiques, et partenaire d’Alcatel Lucent Entreprise sur une solution technologique "globale". En réalité, les capacités humaines sont très vite dépassées par les enjeux de sécurité et de sûreté d’un complexe industriel et portuaire de la taille du grand port maritime, qui s’étend sur plus de 1 200 hectares…"

Le coût de ses solutions technologiques n’est pas fourni. Il reste dans le continent silencieux et caché des informations que l’on cache pour éviter que la concurrence ne s’en empare au moment où ce marché gigantesque s’ouvre. Toutefois, l’ensemble des acteurs de la sûreté et de la sécurité maritime le reconnaissent, la technologie ne peut pas tout. "Le meilleur système informatique peut être piraté, rappelle Christophe Toublanc. Par ailleurs, un être humain par sa capacité d’analyse, son expérience, peut lever un doute sur un danger. Aucune caméra, aussi intelligente soit-elle, n’aura la capacité d’analyse du cerveau humain." Mais il le reconnaît : "Un être humain peut être corrompu." Les dernières affaires de trafic de cocaïne l’ont démontré encore récemment. Tout système a ses zones de fragilité, technologiques ou humaines.

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