Le Québec, une terre de conquête bretonne
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Le Québec, une terre de conquête bretonne

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Elles s’appellent Le Duff, Ubisoft, Roullier ou Diana. Ces multinationales bretonnes ont toutes fait le choix de miser sur le Québec pour leur développement à l’international. Pour son 20e voyage d’affaires, auquel ont pris part 180 dirigeants bretons, l’Union des Entreprises 35 a mis en lumière ce petit bout d’Amérique, culturellement plus éloigné de la France qu’il n’y paraît, mais où il fait bon entreprendre. Que l’on soit gros ou petit.

La délégation d’entrepreneurs bretons chez Bridor Canada pour les 35 ans de l'implantation de la filiale du groupe Le Duff au Québec. Au premier plan : Hervé Kermarrec, président de l'UE35 et Louis Le Duff, PDG fondateur du groupe de restauration Le Duff — Photo : © Baptiste Coupin

« Avec la baguette santé de Bridor, nous allons conquérir l’Amérique ! » Dans un cri du cœur, baguette suspendue, telle l’épée d’Excalibur, le « chevalier » Louis Le Duff achevait, lors d’un moment truculent, une matinée riche en annonces, le 30 septembre dernier, dans la région de Montréal.

À l’occasion des 35 ans de Bridor au Canada, le PDG du groupe Le Duff (33 000 salariés, 2 Mds€ de CA), en plus de mettre l’accent sur un produit d’avenir, a en effet dévoilé un investissement majeur de 200 millions d’euros visant à redimensionner ses deux usines Bridor outre-Atlantique. À Boucherville, près de Montréal, et Vineland, dans le New Jersey (USA). Son usine du Québec recevra les deux tiers de ces montants et doublera sa superficie de production. Pour le fabricant de pains et viennoiseries de tradition européenne, la plus grosse filiale du groupe (2 500 salariés, 750 M€ de CA), l’objectif est de doubler ses ventes dans les hôtels-restaurants d’Amérique du Nord et de dépasser le milliard d’euros de revenus au niveau mondial d’ici à deux ans.

Le capitaine d’industrie breton Le Duff, d’origine finistérienne, qui a développé son groupe depuis Rennes, a, on le sait moins, également construit sa réussite depuis le Canada. « On a tout démarré de Montréal (Bridor, mais aussi les enseignes de restauration Au Pain Doré, Brioche Dorée, La Madeleine et Mimi’s Café, NDLR), explique le dirigeant, qui a fait ses études universitaires là-bas et a de la famille installée au Québec. C’est une plateforme exceptionnelle pour quiconque veut s’implanter en Amérique. D’ici, vous êtes à 3 heures en avion d’un marché de 250 millions d’habitants, avec un pouvoir d’achat exceptionnel. »

Pourquoi emmener 180 entrepreneurs au Québec ?

La success story de l’un des géants français de la restauration au pays de la feuille d'érable a captivé son auditoire : 180 entrepreneurs bretons venus participer au 20e voyage d’affaires de l’UE35 à Montréal et Québec, en vue d’y développer « des liens commerciaux, amicaux et familiaux », présente Hervé Kermarrec, président de l’organisation patronale d’Ille-et-Vilaine.

Un public tout trouvé pour Pierre Fitzgibbon, le ministre québécois de l’Économie et de l’Innovation, sur son 36 (son 31, en « parlure » québécoise) pour présenter les opportunités de ce territoire grand comme trois fois la France (mais avec 8,3 millions d’habitants seulement), très majoritairement francophone (à 78 %) et qui compte sur les investissements directs étrangers (la France est le 2e pays investisseur derrière les États-Unis) pour nourrir sa croissance.

« Le Québec est un endroit privilégié pour investir et y faire des affaires. »

« Le Québec est un endroit privilégié pour investir et y faire des affaires, a d’emblée souligné Pierre Fitzgibbon. Le contexte actuel offre de belles occasions de hausser la productivité et de faire croître l’économie davantage. » Le contexte ? Avec une hausse de son PIB de 2,8 %, l’économie québécoise file deux fois plus vite que celle du Canada. Le taux de chômage, lui, est au plus bas depuis 40 ans : 4,7 %, ce qui correspond presque au plein-emploi. « On manque de main-d’œuvre. Le rapport de force est plus du côté des travailleurs que des employeurs », souligne d’ailleurs Yves-Thomas Dorval, président et chef de la direction conseil du Patronat québécois.

Pour autant, grâce à des collaborations étroites avec les grandes écoles et les universités locales, comme celle, prestigieuse, de Laval, les entreprises étrangères arrivent à parer au problème, lorsqu’il s’agit de recruter de nouveaux talents. Les migrants économiques - il en arrive 30 000 chaque année au Québec, dont de nombreux Français - peuvent aussi constituer un réservoir utile pour les emplois qualifiés.

500 filiales françaises… et un fort bataillon breton

Les conséquences de ce « miracle économique » ? « Mes clients qui sont venus ici sont tous restés, observe Denis Langelier, associé au cabinet PwC Montréal. Les entreprises qui arrivent de nos jours sont très bien informées, grâce au travail des agences gouvernementales qui facilitent leur installation. » « Il est possible ici de regrouper des aides financières pour lancer, démarrer et maximiser son activité », opine Thierry Champagne, de l’agence de développement économique Québec International. Ce n’est donc pas un hasard si près de 500 filiales françaises (sur 2 300 étrangères) sont aujourd’hui présentes au Québec. Avec un fort bataillon breton en première ligne. La première filiale française, en termes de dimensionnement, est d’ailleurs une entreprise made in Breizh : Ubisoft, le géant français du jeu vidéo (17 000 salariés, 2 Md€ de CA).

• Ubisoft : un studio pionnier devenu géant mondial

Photo : CC BY-SA 3.0

La multinationale, fondée par les frères Guillemot à Carentoir (Morbihan), a également fait du Québec le point névralgique de son expansion à l’international. « Yves Guillemot (le PDG du groupe, NDLR) est venu ici à 18 ans et il est tombé en amour avec le Québec. Il y a des valeurs et des attitudes communes avec la Bretagne », raconte Francis Baillet, le vice-président affaires corporatives d’Ubisoft à Montréal.

Fondé en 1997, le studio montréalais fut la toute première implantation internationale du groupe. Avec 3 700 collaborateurs aujourd’hui, il est l’un des plus grands studios de jeux vidéo au monde. C’est au sein de cette ancienne usine de textile que ses ingénieurs (développeurs, infographistes, programmateurs…) testent les futurs best-sellers. À l’image de Assassin’s Creed (95 millions de joueurs), Prince of Persia ou Tom Clancy’s.

« En 1997, Ubisoft faisait un peu figure de pionnier. Ils ont osé et ça leur a été profitable. »

Avec l’aide du gouvernement canadien, qui lui aurait de permis de bénéficier de plusieurs centaines de millions d’euros en crédits d’impôts et autres subventions depuis 2005 contre des embauches (d'après Le Journal de Montréal, qui évoque le chiffre de 1,1 milliard de dollars canadiens), Ubisoft a fait de Montréal et du Québec la plaque tournante de son industrie. Depuis 2005, le vaisseau amiral d’Ubisoft a ainsi plus que doublé ses effectifs. Parallèlement, quatre autres implantations de studios ont vu le jour au Canada, dont celui de Québec (500 salariés). « En 1997, Ubisoft faisait un peu figure de pionnier. Ils ont osé et ça leur a été profitable », analyse Denis Langelier, qui conseille la pépite bretonne.

• Timac Agro (Groupe Roullier) : des fertilisants sur les traces de Jacques Cartier

De Saint-Malo au Saint-Laurent, qui dessert Québec et Montréal, il n’y a qu’un océan. Qu’a déjà franchi, presque cinq siècles en arrière, l’explorateur malouin Jacques Cartier, pour révéler le Canada. Et qu’emprunte également le groupe bretillien Roullier (8 000 salariés, 1,9 Md€ de CA) pour ravitailler en ingrédients d’origine marine William Houde, la franchise québécoise de Timac Agro Canada (elle-même propriété de Roullier), installée à l’est de Montréal.

Chef de file mondial dans les domaines de la nutrition végétale et animale, Timac Agro opère dans plus de 40 pays, dont le Canada, terrain de jeu idéal avec ses grands espaces et ses 193 000 fermes agricoles. Sa mission est d’accompagner les producteurs canadiens dans l’atteinte de leurs objectifs de productivité et dans une démarche d’agriculture performante et durable. Ses formules d’engrais, propres au sol canadien, sont conçues sur place. « Chez nous, il neige d’octobre à avril. On s’adapte à ces contraintes climatiques avec des solutions spécifiques », explique Simon Jolette-Riopel, directeur de Timac Agro Canada.

Au Québec, 450 000 tonnes d’engrais sont consommées annuellement. L’entreprise y capte 20 % de parts de marché, sur des fertilisants adaptés aux cultures de maïs, soja, blé, canola… Timac Agro Canada, qui fournit des solutions pour 3 000 clients-producteurs au Québec, est positionné sur un marché porteur. La filiale de Roullier va d’ailleurs connaître un nouveau bond en avant, en s’ouvrant au marché canadien. Une équipe va ainsi être prochainement déployée dans la province voisine de l'Ontario, ce qui va lui permettre de faire entrer 8 000 nouvelles fermes dans sa zone de chalandise.

• Diana Food : le Québec pour innover

Photo : © Baptiste Coupin

Spécialiste des arômes naturels, Diana (2 300 salariés, 639 M€ de CA), né à Saint-Nolff (Morbihan), près de Vannes (aujourd’hui propriété du groupe allemand Symrise) a également fait du Québec un accélérateur de croissance. Pour ce qui est de sa division santé et nutrition en tout cas, une activité « à haute valeur ajoutée ».

À Champlain, entre Montréal et Québec, Diana Food Canada (29 salariés) s’est spécialisée dans la réduction en poudre de petits fruits frais ou congelés (canneberges, bleuets et fraises). Ses produits finis sont destinés aux fabricants de produits alimentaires et de santé. Mais c’est au CRIQ, le Centre de recherche industrielle du Québec, une société d’État du Québec, que l’entreprise a choisi de positionner son pôle R&D. Une collaboration qui lui permet d’accéder à de meilleurs équipements et technologies et de bénéficier de l’expertise d’équipes. En l’espace de deux ans, Diana Food Canada a doublé son chiffre d’affaires (tenu secret).

L’entreprise, qui a industrialisé quatre solutions dédiées à la santé et au bien-être des consommateurs, travaille en ce moment sur un produit axé sur le microbiote intestinal. Avec toujours un travail sur des matières premières végétales. En cas de succès, il pourrait être déployé sur un marché mondial.

Au Québec, une culture « vraiment » différente

Le Québec, dont l’attrait est renforcé par l’accord de libre-échange CETA signé entre le Canada et l’Union européenne, apparaît donc propice au développement de nos firmes. Pour autant, il ne faut pas s’y tromper : « Le Québec, ce n’est pas l’eldorado », prévient Hervé Kermarrec, au terme du voyage de l’UE35.

« Il faut d’abord être fort en France pour venir réussir ici. »

Si le coût social est bien moins élevé qu’en France, la fiscalité des sociétés, par exemple, n’est pas plus compétitive et la concurrence est féroce, comme peut en témoigner Bastien Poulain, fondateur de 1642, sur le marché des boissons. « Il faut d’abord être fort en France pour venir réussir ici », avertit, pour sa part, Louis Le Duff, en vieux loup de mer.

L’acclimatation chez nos cousins canadiens peut aussi s’avérer difficile. « Les Québécois fonctionnent comme des Nord-Américains. La culture est vraiment différente ici, convient Frédéric Burot, avocat international à Rennes et Montréal au sein du cabinet Strates. Il faut arriver avec beaucoup d’humilité, d’écoute et de patience. »

Enfin, dernier point et non des moindres : « L’hiver est long, très long ! », constatent les Français nouvellement installés. Avant de gagner beaucoup de bacon (de l’argent) et de pouvoir se tirer les bretelles (être fier de soi, se vanter) dans ce pays qui a pour religion le hockey, il va d’abord falloir apprendre à ne pas tomber. À bon entendeur.

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