Hauts-de-France
Y a-t-il un avenir pour une filière vin dans les Hauts-de-France ?
Enquête Hauts-de-France # Agriculture # Investissement

Y a-t-il un avenir pour une filière vin dans les Hauts-de-France ?

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Dans les Hauts-de-France, une culture d’un genre nouveau fait son apparition dans les champs, aux côtés des traditionnelles pommes de terre, betteraves ou endives. Il s’agit de pieds de vigne, plantés grâce à une évolution législative de 2016 et au réchauffement climatique. Encore peu commune sous ces latitudes, cette culture se professionnalise, au point d’envisager désormais la création d’une véritable filière vin. Mais quel avenir la région peut-elle vraiment offrir à ces jeunes pieds de vignes ? Enquête.

Agriculteur céréalier, basé à Terramesnil (Somme), Maximilien de Wazières a parié sur la culture de la vigne plus tôt que d’autres. Son vignoble, La Cour de Bérénice, commercialise désormais un vin régional — Photo : La Cour de Bérénice

Encore rares dans les vastes plaines qui jalonnent les Hauts-de-France, les vignes sortent de terre ces dernières années. Les premières ont été plantées ici et là, à l’initiative de quelques passionnés, sous forme associative. Hors de question, toutefois, de commercialiser des bouteilles : la réglementation le leur a interdit jusqu’au premier janvier 2016. À cette date, l’Union européenne a libéralisé le droit de plantation sur tout son territoire. Auparavant, il était impossible en France de planter des vignes en dehors des régions viticoles, en vue de commercialiser du vin.

Cette libéralisation a donc marqué un tournant, laissant plusieurs acteurs économiques rêveurs. Et si les Hauts-de-France, une région réputée pour son savoir-faire brassicole, pouvaient également développer une filière vin ? Ils sont en tout cas nombreux à y croire : collectivités locales, simples passionnés, vignerons déjà établis dans d’autres régions, agriculteurs indépendants ou même coopérative agricole… Le Journal des Entreprises est allé à leur rencontre.

Une terre propice

Mais où la vigne est-elle susceptible de pousser dans les Hauts-de-France ? À vrai dire, un peu partout : "C’est moins une question de départements que de type de sol", déclarait en janvier Cédric Cogniez, directeur général du groupe coopératif agricole Advitam (1,4 Md€ de CA, 2 800 salariés), auquel appartient la société de négoce Ternovéo (343 M€ de CA), qui aide les agriculteurs à se diversifier dans la vigne. Contrairement aux croyances, cette culture est d’ailleurs loin d’être nouvelle : la région a compté des vignes dès l’Antiquité et jusqu’à la fin du Moyen-Âge. "Elles ont disparu après la guerre de Cent Ans, quand le développement des routes a permis d’aller chercher facilement le vin dans le Sud, ou peut-être en raison d’un épisode de froid, selon certains historiens. Les vignes ont ensuite quitté la mémoire collective", explique Olivier Warzée, directeur de l’Esat Ateliers Watteau et de l’EA Watteau Espace Services, à Bruay-sur-l’Escaut (Nord). Depuis 2009, il gère pour le compte de la ville de Valenciennes (Nord) deux hectares de vignes Chardonnay et Pinot noir. Le raisin est transformé en vins blanc, rouge et rosé, commercialisés depuis 2019 auprès de restaurants locaux, avec un objectif de 8 000 bouteilles de 50 cl par an. "C’est suffisant pour le marché local, le surplus servira à faire du jus de raisin. La vigne se plaît bien dans les Hauts-de-France : pour compenser le manque de soleil, il suffit d’espacer les rangs plus que dans le Sud".

La région a même son lot de terroirs d’exception : c’est ce qu’est venu chercher Olivier Pucek, un vigneron établi en Charente et natif du Pas-de-Calais. D’abord présent sous forme associative, il a été le premier à commercialiser un vin des Hauts-de-France, quand la législation l’a permis. Le vigneron a investi le versant sud d’un des terrils d’Haillicourt, dans le Pas-de-Calais, avec près de 4 500 pieds de vigne, sur un demi-hectare. Sur le sol de ces collines constituées de résidus miniers, Olivier Pucek produit du vin blanc sur "un segment de qualité, pour les grands restaurants, avec une bouteille vendue 100 à 150 euros à la carte".

Quelques grammes d’investissements, un zeste de patience

Si la qualité de la terre est au rendez-vous, pour qu’une filière vin puisse se développer dans la région, il reste une question cruciale : est-il intéressant, d’un point de vue économique, de produire du vin dans les Hauts-de-France ? Pour se lancer, il faut prévoir d’investir quelques milliers d’euros puis, faire preuve de patience. "Un hectare de vignes, cela vaut dans les 40 000 euros. Après la plantation, il faut attendre trois ans pour récolter les premiers raisins. Sans compter les investissements dans le chai", souligne Olivier Pucek.

S’il commercialise aujourd’hui son vin, il privilégie la qualité à la quantité, avec un objectif de 1 500 à 2 000 bouteilles par an, contre un maximum de 900 jusqu’à présent. "Cette année, nous serons sur un chiffre d’affaires de 20 000 euros et nous sommes rentables depuis deux ans". Des bénéfices qui lui permettent d’investir dans un autre vignoble, là encore "sur un terroir d’exception. Nous venons d’investir un coteau calcaire, sur le parc d’Ohlain (Pas-de-Calais), avec un hectare de vignes Chardonnay et Pinot noir". Confiant, le vigneron charentais reste à l’affût d’autres terroirs de ce type dans la région.

Une filière investie par l’agriculture traditionnelle

Olivier Pucek accompagne aussi un couple d’agriculteurs installés à Fresnicourt-le-Dolmen (Pas-de-Calais), qui se diversifient dans la vigne, avec de premiers pieds de Chardonnay plantés en mars 2021. Une initiative loin d’être anodine, car l’émergence d’une filière vin ne pourra pas se faire sans que l’agriculture traditionnelle ne s’y intéresse. Là aussi, une envie se fait sentir depuis quelques années, avec des acteurs qui ont déjà une longueur d’avance. Maximilien de Wazières compte parmi eux. L’agriculteur picard, installé à Terramesnil (Somme) avec 200 hectares de cultures céréalières, a investi "plusieurs dizaines de milliers d’euros" dans un vignoble de trois hectares et demi, dès 2017, baptisé "La Cour de Bérénice". Une décision liée à sa passion pour le vin et prise grâce à la nouvelle législation, mais aussi à une rencontre déterminante avec un vigneron bourguignon, qui a accepté de l’accompagner. "J’avais envie de faire évoluer la ferme et de pouvoir aller de la culture jusqu’au produit fini", explique-t-il.

La première vendange a eu lieu en 2020, générant près de 7 000 bouteilles de 75 cl, commercialisées cette année en direct, ainsi qu’auprès de restaurateurs et de cavistes, "ravis d’avoir un vin local". L’objectif est de produire 15 000 bouteilles en rythme de croisière, pour "faire un vin de qualité, avec une bouteille à 14,5 euros en moyenne. Le jour où nous serons à l’aise sur cette culture, nous ferons peut-être plus. La vigne représente déjà 50 % du temps consacré à l’exploitation, mais dans des créneaux laissés assez libres par les autres cultures. Si nous faisons les choses bien, dans quelques années le vin pourrait représenter 50 % de notre chiffre d’affaires".

Une accélération portée par Ternovéo

Si Maximilien de Wazières s’est lancé seul, Ternovéo à Saint-Quentin (Aisne), pourrait jouer le rôle de locomotive. Cette société de négoce agricole annonçait en 2020 vouloir relever "le défi de la création d’un vignoble dans la région Hauts-de-France", tout en ambitionnant "de produire un vin de qualité". Une cinquantaine d’agriculteurs sont actuellement accompagnés, avec 80 hectares de plantations prévues à ce jour et une toute première vendange qui aura lieu en septembre. L’objectif est de "créer de nouveaux débouchés pour nos agriculteurs, d’autant que nous souhaitons également à terme, proposer notre production aux restaurateurs et cavistes de la région", soulignait alors Xavier Harlé, DG de Ternovéo. Une initiative encouragée par un contexte de réchauffement climatique : si ce phénomène est encore peu marqué, selon les différents acteurs interrogés, ils s’accordent tous à dire que ses effets se feront vraiment sentir d’ici dix ans, ce qu’il faut anticiper.

Julien Dhaine fait partie de ces agriculteurs accompagnés par Ternovéo. À la tête de l’EARL Dhaine, à Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais), il réalise de la culture céréalière sur près de 165 hectares. En avril 2021, il a planté 5 000 pieds de vignes sur un hectare, pour un investissement de 30 000 euros, "sur des parcelles où les récoltes sont compliquées quand les années sont très sèches". La première récolte est prévue en 2023, avec un rendement à 80 %. "Ternovéo va ouvrir un chai et s’occuper de récupérer le raisin avec sa flotte de camions, avant de le transformer en vin HVE (haute valeur environnementale, NDLR), qui sera vendu dans son réseau de magasins en circuit court (Prise Direct' et Gamm Vert, NDLR)", explique l’agriculteur, qui bénéficie d’un accompagnement administratif mais aussi technique, à toutes les étapes. "Nous avons tout à apprendre, car nous ne connaissons pas du tout la vigne". Julien Dhaine s’est lancé dans cette aventure, motivé par le défi d’apprendre une nouvelle culture, tout en se diversifiant dans la perspective d’années plus sèches, "qui diminuent le rendement des cultures habituelles", et enfin pour s’agrandir, en songeant à la transmission à terme de l’exploitation à son fils.

Une absence de réseau professionnel

D’ici cinq ans, Ternovéo ambitionne de créer "un vignoble de 200 hectares", avec une production d’un million de bouteilles par an. De quoi mettre un véritable coup d’accélérateur à la filière. Et surtout, de l’inciter à se structurer car à ce stade, certains acteurs clé manquent à l’appel. "Il n’existe pas de réseau professionnel régional… Pour les pressoirs par exemple, en cas de problèmes durant les vendanges, il faut compter un délai de livraison, sans oublier le coût du transport", regrette Olivier Warzée. Un constat que partage Maximilien de Warzières : "Le laboratoire d’analyses le plus proche est en Champagne…" Pas de start-up non plus, positionnées sur le développement d’outils intelligents, comme elles le font déjà pour l’agriculture traditionnelle. Ce n’est pas d’actualité en raison de la taille encore limitée des vignobles, qui rend le matériel moins amortissable, d’un démarrage en mode apprentissage et de parcelles parfois difficiles à mécaniser, comme dans le cas du HVE. L’équipement reste donc limité "entre neuf et occasion, voire du modifié" souligne Maximilien de Wazières.

Il faut dire que dans les Hauts-de-France, la vigne est encore une culture pour le moins originale. Mais après tout, si certains ont réussi plus au Nord, comme en Belgique ou en Angleterre (lire par ailleurs), pourquoi pas dans la région ? Leur réussite ouvre le champ des possibles. Entre la mobilisation d’acteurs d’envergure comme Ternovéo, des terres qui s’y prêtent, le réchauffement climatique et des vignerons aguerris qui apportent leur savoir-faire, tous les éléments semblent réunis pour permettre à la filière d’émerger. Pour l’heure, il n’est pas question de produire en grande quantité, mais de miser sur la qualité, le tout étant "d’avoir une histoire à raconter", conclut Olivier Pucek. Pour y parvenir, les positionnements ne manquent pas : depuis le vin de terroir jusqu’au vin HVE, en passant par le vin engagé du Valenciennois, qui emploie des travailleurs en situation de handicap et veut redorer un patrimoine trop souvent réduit à la sidérurgie.

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