Coronavirus : dans les Hauts-de-France, l'impression 3D monte au front
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Coronavirus : dans les Hauts-de-France, l'impression 3D monte au front

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Dans les Hauts-de-France, les entrepreneurs qui disposent d'imprimantes 3D se mobilisent pour la lutte contre l'épidémie de coronavirus. Entre la fabrication d'équipements de protection ou de pièces pour les respirateurs, les initiatives ne cessent de fleurir en région.

A Valenciennes, l'entrepreneur Antoine Motte imprime des diviseurs de flux en 3D pour doubler la capacité des respirateurs — Photo : Machines 3D

Aux côtés des filières mobilisées dans la lutte contre l'épidémie de coronavirus Covid-19, l’impression 3D monte à son tour au front. À l’image des entreprises des Hauts-de-France qui se reconvertissent dans la production de masques ou de gel hydroalcoolique, les entrepreneurs qui disposent d’imprimantes 3D jouent eux aussi la carte de la solidarité. Les uns après les autres, ils se lancent dans la production de visières de protection pour les personnes exposées, ou même dans des pièces destinées aux respirateurs.

La solidarité imprimée en 3D

À Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), Stéphane Watré compte parmi ces entrepreneurs solidaires. Dirigeant de la société Accante, il fabrique en temps normal des accessoires destinés aux imprimantes 3D. « Comme beaucoup d’entreprises, j’ai subi une baisse des commandes ces dernières semaines et une partie de mes six salariés se retrouvent au chômage partiel ou en télétravail », explique-t-il. Il a donc décidé de mettre à profit son parc machines, après avoir vu des initiatives de ce type fleurir sur les réseaux sociaux. Il fabrique désormais des visières de protection en plexiglass et leur bandeau d’attache. « J’ai démarré la fabrication avec mes imprimantes 3D, mais mes machines étant semi-industrielles, c’est assez lent. Je me sers désormais de la découpeuse laser », explique-t-il. Ces visières, l’entrepreneur compte les offrir aux soignants et les vendre à prix coûtant aux administrations et aux entreprises, pour financer la matière première.

« Nous faisons ce que nous pouvons pour aider, afin que ça dure le moins possible », explique de son côté Julien Payen, dirigeant de Lattice Medical, qui emploie une quinzaine de salariés. Cette start-up, basée à Eurasanté, développe une prothèse de nouvelle génération pour la reconstruction mammaire. Disposant d’imprimantes 3D et étant basée près du CHU de Lille, la jeune entreprise a mis au point des ventilateurs, une pièce destinée aux respirateurs. « Le CHU de Lille les teste actuellement. J’ai un doute sur cette validation, car nous avons imprimé ces ventilateurs avec du PLA (un bio-plastique issu d’amidon de maïs NDLR) : ils risquent donc de fondre dans les machines de décontamination. En attendant, nous nous servons de nos imprimantes 3D pour réaliser des systèmes d’attache frontale pour des visières en plexiglass. Nous recevons des demandes de médecins libéraux, d’agriculteurs, etc. » La jeune entreprise en réalise une trentaine par semaine, qu’elle donne. « Pour les personnes exposées, c’est mieux que rien. Nous allons continuer à en produire ces deux prochaines semaines. Nous réfléchissons à une reprise progressive du travail après le 13 avril, car aucun de nos salariés n’a déclaré le Covid-19 », indique le dirigeant.

Dagoma industrialise la production de visières

Chez Dagoma (17 salariés), à Roubaix, qui fabrique et commercialise des imprimantes 3D, Matthieu Régnier voit les choses en grand. Cofondateur et dirigeant de cette jeune entreprise, il a mis à profit l’ensemble de son parc de production, à l’arrêt depuis le début du confinement. « Nos locaux étant situés au sein de l’accélérateur Blanchemaille, nous avons dû demander des autorisations spéciales. La Mel et Euratechnologies ont joué le jeu et nous les avons obtenues très rapidement ». 100 % de la production est désormais dédiée aux systèmes d’attache frontale des visières en plexiglass. Les 300 imprimantes de la start-up sont en mesure d'imprimer 20 000 attaches de visières par semaine. Et pour toutes les demandes en dessous de 50 pièces, l'entreprise mobilise sa communauté de makers.

Dagoma produit des attaches frontales de visières, destinées à protéger les personnes exposées au coronavirus Covid-19 — Photo : Dagoma

La start-up achète ces visières à prix coûtant, avant d’expédier le tout aux quatre coins de la France. L’assemblage reste à la charge de l’utilisateur final, pour des questions d’hygiène. « L’impression 3D et l’utilisation de PLA font que l’attache frontale est poreuse et donc difficile à décontaminer, contrairement à la visière. Elle doit donc être manipulée par une seule personne », explique l’entrepreneur. Sa solution a été validée avec plusieurs médecins du CHU de Lille.

Et depuis, les commandes affluent. Le 31 mars, Dagoma en avait déjà reçu 17 000. « On envoie tout ce qu’on peut », commente Matthieu Régnier. Dagoma vend l’ensemble à prix coûtant, pour pouvoir se réapprovisionner en matière première. « Nous avons une tonne de matière en stock, mais elle sera épuisée la semaine prochaine », indique le dirigeant, dont les fournisseurs continuent de travailler. Dagoma, par ailleurs en redressement judiciaire et en recherche de repreneurs, poursuivra cette activité « le temps qu’il faudra. Le but, c’est d’aider. »

Machines 3D double la capacité des respirateurs

À Valenciennes, l’entrepreneur Antoine Motte a de son côté été contacté par les médecins de l’hôpital d’Ath, en Belgique, pour concevoir en 3D un diviseur de flux. Cette pièce permet d’utiliser un respirateur pour deux patients et donc de doubler ses capacités. Installé dans les locaux de la Serre Numérique, Antoine Motte dirige les sociétés Machines 3D (13 salariés), qui commercialise des imprimantes 3D et Constructions 3D (4 salariés), qui vend des machines capables d’imprimer des bâtiments en 3D.

« Nous avons déjà imprimé en 3D douze diviseurs de flux. Ceux-ci sont d’ores et déjà en test réel pour répondre à l’urgence », indique le dirigeant, qui invite d’autres détenteurs d’imprimantes 3D à rejoindre cette démarche. « Nous partageons avec tous les professionnels du secteur le fichier à imprimer en 3D, compatible avec les respirateurs. »

Une opportunité pour l’impression 3D ?

« Nous sommes en train de démontrer à quoi peut servir l’impression 3D », lance Matthieu Régnier. Les différents entrepreneurs impliqués dans ces démarches, espèrent ainsi faire connaître, auprès d’un large public, les possibilités offertes par ce process de fabrication, dont l’usage reste encore restreint. « Nous sommes des ambassadeurs de l’impression 3D », souligne Santo Petranto, dirigeant de l’entreprise 3DFT Lab, qui ne compte pas de salariés. Installée à Bailleul, celle-ci propose aux industriels du conseil, du prototypage et des petites séries, via l’impression 3D. Disposant d’une imprimante 3D industrielle et de machines plus petites, il a lui aussi imprimé une cinquantaine de visières, qu’il a données. Les prochaines commandes seront vendues à prix coûtant.

L'entrepreneur Santo Petranto a mis ses imprimantes 3D au service de la lutte contre le coronavirus Covid-19, en fabriquant des attaches frontales pour visières — Photo : Santo Petranto

« À partir du moment où les gens n’ont rien pour se protéger, quand il se crée quelque chose, c’est forcément mieux que rien. Nous redorons le blason de l’impression 3D, qui reste une activité méconnue », insiste Santo Petranto. En apportant une protection supplémentaire à un large public (soignants, hôtesses de caisse, commerciaux, techniciens d’Ehpad, entreprises, agriculteurs etc.), ces entrepreneurs espèrent que l’impression 3D sera davantage présente dans les esprits au moment de la reprise. Et qu’elle aura changé d’image. Du gadget de geek à la technologie de rupture, il n’y a sans doute qu’un pas. Ou peut-être une crise sanitaire.

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