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Ces entreprises des Hauts-de-France qui font le choix d’employer des seniors
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Ces entreprises des Hauts-de-France qui font le choix d’employer des seniors

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En marge du débat sur la réforme des retraites a émergé la question de l’emploi des seniors. Malgré la baisse généralisée du chômage, les plus de 55 ans restent une catégorie sous-employée, pour un coût social et sociétal important. Travailler plus longtemps, pourquoi pas, mais où donc, quand toutes les portes se ferment ? Dans les Hauts-de-France, certaines entreprises résistent à l’âgisme.

Le taux d’emploi des seniors dans les Hauts-de-France culmine à un petit 44 %. Soit, en deçà de la moyenne nationale, déjà basse comparée aux autres pays d’Europe — Photo : Halfpoint - stock.adobe.com

Expérience et CV bien garni ne vont pas forcément de pair avec grand succès sur le marché du travail. Au contraire même, nombreux sont les "seniors", quinquas voire quadras, qui sentent les rouages de leurs carrières se gripper. Les difficultés commencent parfois dès 45 ans, en particulier pour les femmes, qu’il s’agisse de progresser dans son entreprise ou de trouver un nouveau poste. Les entretiens se font moins nombreux, les recruteurs plus réticents. Et ce, alors que ces salariés, encore dans la force de l’âge, cumulent forte expérience et disponibilité puisqu’ils sont, souvent, dégagés des contraintes familiales.

Mais de fait, selon l’Insee, en 2019 dans les Hauts-de-France, le taux d’emploi des 55-64 ans culminait à 43,98 %. Un taux plus bas que la moyenne nationale : 56 % des 55-64 ans en emploi (contre 81,8 % des 25-49 ans) en 2021, selon la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (Dares). Et ce, alors que la France fait déjà figure de mauvaise élève en Europe, où le taux d’emploi moyen des seniors dépasse les 60 % - sans parler de la Suède où il atteint 76,9 %. Selon une étude publiée par l’Apec et Pôle emploi, 90 % des cadres de plus de 55 ans en recherche d’emploi ressentent leur âge comme "facteur discriminant" pour les recruteurs. Dans 83 % des cas, ils ont perdu leur emploi à l’initiative de leur employeur. Enfin, 62 % des cadres seniors ne se retrouvent pas dans les offres d’emploi publiées et estiment qu’il y a trop peu d’offres qui leur correspondent.

Dates couperet

Réputés trop chers, peu adaptables, à la santé fragile, voire tout bonnement "has been", les seniors n’ont pas vraiment la cote en entreprise. Dans tous les secteurs, la pratique perdure d’inciter les plus anciens à partir, grâce à des plans de départs volontaires parfois avantageux ou, au contraire, en jouant le pourrissement au travers de la redoutée "placardisation".

"Les chefs d’entreprise sont parfois un peu schizophrènes. Ils disent vouloir augmenter la moyenne d’âge dans leurs entreprises mais, en même temps, ils sont tentés de faire partir les salariés les plus âgés dès qu’ils le peuvent", regrette Patrice Pennel, le président du Medef Hauts-de-France. "Certaines méthodes des grands groupes ont pu infuser dans beaucoup d’entreprises, avec un système de dates couperet : après 50 ans plus de promotion, après 55 ans la mise au placard, et après 58 ans on négocie le départ. Mais dans les petites entreprises, en général, on cherche plutôt à garder les savoir-faire, et à faire rester les salariés."

De fait, avec l’abandon du système de préretraite et les allongements successifs de la durée de cotisation, les fins de carrière se sont décalées depuis le début des années 2000. Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2004, les salariés, hommes et femmes confondus, partaient à la retraite en moyenne à 60,7 ans. En 2019, ils partent à 62,2 ans en moyenne. Mécaniquement, l’allongement de la durée du travail pourrait bien augmenter le nombre de seniors en poste. Mais sans une sérieuse acculturation des entreprises françaises, repousser la date de départ en retraite risque fort, finalement, de n’augmenter que la durée du chômage pour les seniors.

Choisir d’embaucher des seniors

Comment faire, alors, pour que les salariés puissent réellement aller au bout de leurs 43 annuités de cotisation ? État et entreprises se renvoient la balle, entre menaces de mesures contraignantes, et demandes d’accompagnement fiscal (lire ci-contre). Mais certaines s’engagent aussi contre l’âgisme, la discrimination liée à l’âge, pour ouvrir leurs recrutements à des profils considérés comme "atypiques". À Tourcoing, le dispositif Pep’s (Plein Emploi pour les Seniors), porté par le club Tourcoing Entreprendre, œuvre ainsi au rapprochement entre des chômeurs seniors et des entreprises, avec un certain succès. "Les préjugés à l’encontre des salariés seniors sont nombreux. Mais quand les recruteurs rencontrent nos candidats, en général ils changent d’avis", se félicite Olivier Candelier, à l’initiative de Pep’s, qui accompagne autant des ouvriers non-qualifiés que des cadres supérieurs. Depuis 2018, 250 candidats de plus de 45 ans ont ainsi pu être suivis, avec 80 % de retour à l’emploi. "Avec les tensions sur le marché de l’emploi, qui a penché un peu plus en faveur des candidats ces derniers temps, on a senti que ça s’assouplissait un peu. Les recruteurs ont enlevé leurs œillères", glisse Olivier Candelier.

Parmi les entreprises partenaire de Pep’s, figure notamment la PME tourquennoise Ciuch (18 M€ de chiffre d’affaires, 130 salariés), qui fabrique des convoyeurs pour la logistique. "Moi j’ai 61 ans, forcément la discrimination liée à l’âge, ça me touche. Il faut vraiment protéger les salariés contre ça", pose le dirigeant Francis Ciuch, qui ces derniers temps a embauché huit salariés seniors, certains au travers de Pep’s, d’autres directement. "À 55 ans, on a encore plein de choses à faire dans une entreprise, et ce même en partant à 62 ans. On peut très bien embaucher un jeune sans avoir la garantie qu’il restera si longtemps. Ce qu’on observe, c’est que les seniors, grâce à leur expérience, sont très adaptables, ils s’installent très vite dans leur poste, dans l’entreprise. Mais il n’est pas question pour nous d’opposer les générations. Ce que l’on veut, c’est être une entreprise ouverte, dans laquelle tout le monde se sente bien, jeune ou vieux. Le bien-être au travail et le bien vieillir en entreprise sont tout à fait liés. L’emploi des seniors fait partie de notre démarche RSE, au même titre que notre bilan carbone", appuie Francis Ciuch.

L’entreprise, reflet de la société

"Dans une PME familiale comme la nôtre, le devenir des salariés est une préoccupation", abonde Ludovic Dewavrin, le dirigeant de la jardinerie en ligne Willemse (50 salariés, environ 30 M€ de chiffre d’affaires), basée à Neuville-en-Ferrain (Nord). Partie prenante de Pep’s, il veille de près à l’équilibre de la pyramide des âges au sein de son entreprise. "Il faut favoriser les échanges entre les générations, faire attention à ce que les jeunes ne se laissent pas intimider par les plus âgés, ou que les plus vieux ne soient pas ringardisés… Mais globalement ça se passe très bien, assure le dirigeant, et j’assiste parfois à des échanges étonnants entre les jeunes et les anciens. C’est essentiel pour moi que l’entreprise accueille toutes les générations, et se fasse le reflet de la société tout entière… ne serait-ce que parce que nos clients aussi appartiennent à différentes générations, et qu’il faut leur parler à tous."

Ainsi, Willemse compte un certain nombre de sexagénaires parmi ses saisonniers, qui viennent aider à la préparation des commandes, lors du pic du printemps. "Ce sont des gens très compétents, qui connaissent parfaitement le métier et qui reviennent chaque année, depuis très longtemps parfois. Nous reconduisons leurs contrats", se félicite Ludovic Dewavrin. En parallèle, la PME qui a recours à l’apprentissage n’a pas hésité à prendre une cinquantenaire en alternance. "On parle alors de contrat de professionnalisation. C’est certes un peu moins avantageux pour l’entreprise mais cela reste très subventionné. Cette personne avait déjà une expertise forte mais le besoin de se former sur de nouveaux outils, notamment web. Nous avons décidé de jouer le jeu pour l’accompagner dans sa reconversion, et elle est déjà très opérationnelle. C’est notre politique, de mesurer la motivation d’une personne avant de regarder son âge", plaide Ludovic Dewavrin.

Garder ses salariés seniors

Garder les talents, à un moment où la main-d’œuvre disponible se fait plus rare, peut aussi être une stratégie gagnante pour les entreprises. Chez le fabricant de luminaires et de dispositifs hospitaliers Trato TLV (260 salariés, 63 M€ de chiffre d’affaires), à Roubaix, c’est ainsi la progressivité qui est pratiquée. "Nous proposons à ceux qui le souhaitent de continuer au-delà des 62 ou 63 ans, souvent à mi-temps. C’est plus avantageux pour le salarié d’un point de vue financier, et ça nous convient puisque ça lui donne le temps de former son successeur. C’est aussi un plaisir pour les collaborateurs de prendre ce nouveau rôle de passeur", décrit Francis Picha, le président de Trato TLV.

Le maintien dans l’emploi des plus âgés peut aussi passer par des formations, voire par des aménagements de postes. "Aujourd’hui, dans l’industrie, avec l’automatisation, les tâches sont de moins en moins pénibles. Il peut bien sûr rester le bruit et le stress de manipuler une machine coûteuse, mais le port de charges lourdes est globalement réduit", assure pour sa part Patrice Pennel, le président du Medef Hauts-de-France. "Les aménagements peuvent représenter un coût, mais l’État subventionne largement ce type d’investissements, qui permettent de garder les salariés plus longtemps."

Sous sa casquette de dirigeant du groupe d’équipements industriels Reg (20 M€ de chiffre d’affaires, 140 collaborateurs en 2019), à Haubourdin (Nord), Patrice Pennel aime à rappeler que, dans son entreprise, les salariés restent longtemps. "L’an dernier, une personne est partie à la retraite à 75 ans. Et ce n’est pas nous qui l’avons mis dehors. Il était à mi-temps les deux dernières années, et se rendait tout à fait utile à l’entreprise. Et j’en ai un autre, qui est revenu travailler à 65 ans après deux ans à la retraite - et pas pour un motif financier. Il a une grande expertise sur une gamme de produits très anciens chez nous, il accompagne leur sortie progressive du marché."

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