Réforme des retraites : "Les seniors peuvent apporter beaucoup à l’entreprise"
Interview # Ressources humaines

Hervé Sauzay président de l’Institut français des seniors "Les seniors peuvent apporter beaucoup à l’entreprise"

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Avec la réforme des retraites, les entreprises vont devoir se préparer à composer avec des salariés plus vieux. Ce qui suppose de changer le regard et les pratiques RH vis-à-vis des seniors. Explications d’Hervé Sauzay, président de l’Institut français des seniors, une SAS qui réalise études, formations et accompagnement auprès des plus de 50 ans.

Hervé Sauzay, président de l’Institut Français des Seniors — Photo : DR

Où en est-on en matière d’emploi des seniors en France ?

Le taux d’emploi des seniors a progressé sous l’effet des différentes réformes qui ont reculé l’âge de la retraite. Quand la retraite était encore à 60 ans, en 1981, le taux d’emploi des seniors, c’est-à-dire des plus de 55 ans, était de 33 %. Aujourd’hui, ce taux est monté à 54 %. Pour autant, dans les entreprises privées, les salariés sortent en moyenne de l’emploi quatre ans avant l’âge de leur retraite.

Si le taux d’emploi des seniors a progressé, nous restons toutefois en retard par rapport aux autres pays européens. Principalement pour les plus de 60 ans. En France, 73 % des 55-59 ans sont en emploi. Sur ce segment, nous ne sommes pas très éloignés de nos voisins européens. La Suède est à 85 %, l’Allemagne à 82 %, l’Angleterre à 75 %, l’Italie et l’Espagne sont en dessous. L’écart est en revanche catastrophique sur les plus de 60 ans : nous sommes à 33 %, la Suède est à 70 %, l’Allemagne à 62 %, l’Angleterre à 55 %.

Qu’est ce qui freine les entreprises à recruter ou maintenir à leur poste les seniors ?

Plusieurs éléments entrent en jeu. Il y a d’abord des raisons psychologiques : la discrimination par l’âge, ce que les sociologues appellent l’âgisme. L’employeur peut avoir un a priori négatif sur un salarié senior, considérant qu’il va être lent, qu’il ne va pas s’intégrer, ne pas comprendre une nouvelle technologie, coûter cher… Cette vision évolue d’un secteur à l’autre. Dans les start-up, il y a très peu de seniors et on met souvent en avant le fait d’avoir une équipe jeune. Dans un secteur industriel comme l’automobile, le regard n’est pas le même. Le senior est davantage considéré comme une personne expérimentée, qui maîtrise un savoir-faire technique, et capable de résoudre des problèmes.

"Le système pousse les entreprises à proposer des ruptures conventionnelles au senior, trois ou quatre ans avant son départ à la retraite"

Deuxième frein à l’emploi des seniors et qui, là encore, n’aura pas la même importance en fonction des métiers : la fatigue. Troisième raison : l’absence de formation, qui favorise pourtant l’employabilité. On voit très clairement dans les statistiques que les seniors sont les derniers appelés en formation par les DRH, et même par Pôle emploi.

La dernière explication, c’est le salaire. En France, on a une culture de l’ancienneté. Plus le salarié avance en âge, plus il est payé. Certaines entreprises ont donc tendance à faire appel à un salarié plus jeune pour faire le même job. Tous les pays ne sont pas dans cette logique. Au Danemark par exemple, des accords passés entre les entreprises et les syndicats permettent de maintenir l’emploi des seniors, en cessant d’augmenter leurs salaires, car on considère qu’ils sont assez élevés. Cela permet de conserver les seniors à un coût acceptable pour l’entreprise. Maintenant, si vous faites cela en France, vous avez deux millions de personnes dans la rue…

Vous dites aussi que l’État incite les seniors à arrêter plus tôt…

Le chômage des seniors est très bien indemnisé en France. Même s’il a été un peu raboté, le système pousse les entreprises à proposer des ruptures conventionnelles au senior, trois ou quatre ans avant son départ à la retraite. En France, un tiers des ruptures conventionnelles sont faites pour des personnes de plus de 50 ans. Le salarié touche au chômage 57 % de son salaire brut, pendant deux ou trois ans, en fonction de son âge. L’entreprise lui propose parfois un complément financier, maintient la mutuelle, etc. Les conditions financières sont telles que les salariés ne peuvent pas refuser.

Les seniors n’ont-ils pas aussi leur part de responsabilité ? L'opposition à la réforme des retraites ne montre-t-elle pas qu’une partie de la population a la volonté de quitter tôt le monde du travail ?

Effectivement, il y a des personnes qui veulent partir tôt, en particulier dans des métiers répétitifs, peu reconnus. Ceux-là demandent des ruptures conventionnelles. Cette attente, cette impatience parfois, de la retraite, est liée à une insatisfaction au travail.

"Beaucoup de personnes veulent continuer à travailler. Plus de 480 000 personnes sont en cumul emploi retraite, c’est deux fois plus qu’il y a cinq ans"

Cela dépend vraiment des métiers et des personnes. Un boulot, ce n’est pas juste un salaire, c’est aussi de la reconnaissance, de l’utilité, du lien social, le sentiment de réaliser quelque chose… Tout le monde ne partage pas une vision négative du travail. Beaucoup de personnes veulent continuer à travailler. Plus de 480 000 personnes sont en cumul emploi retraite, c’est deux fois plus qu’il y a cinq ans. Ce sont plutôt des cadres et des travailleurs non salariés – artisans et professions libérales – qui continuent de travailler. Cela ne représente que 5 % des salariés, mais cela progresse beaucoup.

Quelles actions mener pour améliorer l’employabilité des seniors ?

Le meilleur remède contre le chômage des seniors reste la croissance. Tout ce que l’État peut faire pour favoriser la croissance des entreprises concourt à l’emploi en général, et à celui des seniors en particulier. Mesure plus spécifique, l’exonération de charges sociales a du sens. Elle fonctionne bien avec d’autres catégories de la population, comme les jeunes. Après, il y a une troisième mesure qui n’a pas besoin d’être prise parce qu’elle existe déjà, mais qu’il faut populariser : le dispositif de retraite progressive. Sur les 14,5 millions de personnes à la retraite en 2020, seules 12 000 l’utilisent. C’est très peu, mais cela progresse : trois ans auparavant, elles n’étaient que 7 000. Et cela pourrait de nouveau évoluer favorablement : la réforme des retraites en discussion en ce moment pourrait ouvrir ce dispositif, aujourd’hui réservé au secteur privé, à la fonction publique.

Comment fonctionne la retraite progressive ?

C’est un dispositif qui permet au salarié de terminer sa carrière à temps partiel. Il n’est pas récent car créé en 1988, puis amélioré en 2014. Le salarié peut y accéder deux ans avant son départ à la retraite, s’il a cotisé 37,5 années et à la condition d’avoir l’accord de son employeur. Le salarié peut réduire entre 20 et 60 % son temps de travail. Il conserve une partie de son salaire – au prorata du temps travaillé - et touche une partie de sa retraite. Au final, il perd un peu de sa rémunération, mais gagne du temps pour une transition en douceur vers la retraite.

Pourquoi ce dispositif ne fonctionne pas ?

La plupart du temps, les DRH ne savent même pas qu’il existe. Les salariés encore moins ! Et puis, beaucoup d’entreprises estiment qu’il est trop compliqué à mettre en œuvre. Il leur faut en effet embaucher une nouvelle personne pour faire une partie du travail réalisé par le senior qui va se mettre à temps partiel. Il leur faudra de nouveau recruter quelqu’un lors du départ à la retraite du salarié. Il y a donc à la fois une forme de paresse des entreprises et une méconnaissance par tous de ce dispositif, qui reste pourtant un antidote majeur contre le chômage des seniors.

Que pensez-vous de la réforme des retraites ? L’index seniors par exemple, est-ce une bonne idée ?

Je ne crois pas beaucoup aux mesures nationales, qui s’adressent à tous les secteurs d’activité et qui sont coercitives. Comme l’index seniors qui vise à déterminer le taux de seniors dans les entreprises. Cela n’a pas de sens : le taux de seniors dans une start-up de jeux vidéo est évidemment plus bas que dans l’industrie automobile par exemple. Je trouve en plus que ce dispositif stigmatise les seniors qui n’ont pas envie d’être considérés comme une catégorie de gens nécessiteux.

"La gestion de la prévention de la part des pouvoirs publics devient extrêmement technocratique et déconnectée de la vie réelle des entreprises"

Enfin, ce genre de mesure complexifie encore le rôle des entreprises. Ce n’est pas parce qu’on va créer des emplois dans les DRH pour produire des statistiques pour la Direction du Travail que l’on va améliorer l’emploi des seniors ! On convainc mieux par la récompense - en jouant sur les charges sociales par exemple - que par la contrainte. L’intention derrière l'index seniors est peut-être sincère, mais cela va être une usine à gaz. C’est comme la pénibilité. Tous les pays qui ont essayé de paramétrer la pénibilité pour faire varier les droits à la retraite se sont pris les pieds dans le tapis technique. La gestion de la prévention de la part des pouvoirs publics devient extrêmement technocratique et déconnectée de la vie réelle des entreprises.

Que diriez-vous à un DRH pour le sensibiliser à la problématique de l’emploi des seniors ?

Je lui dirais : commencez par faire le tri entre vos salariés seniors, entre ceux qui veulent partir et ceux qui veulent rester. Puis, voyez avec ceux qui veulent rester comment il est possible d’aménager leur travail. Car les seniors peuvent apporter beaucoup à l’entreprise : savoir-être, qualité de vie au travail, goût du travail bien fait, expérience, capacités relationnelles… Sans compter leur capacité à transmettre des savoirs. Beaucoup d’entreprises montent des programmes de tutorat. J’observe que ceux qui fonctionnent sont réciproques : ce n’est pas juste un senior qui apprend à un jeune, c’est aussi un jeune qui apprend au senior autre chose, à être plus à l’aise sur un ordinateur par exemple.

Avec l’allongement de la durée de vie au travail qui se profile, pensez-vous que les entreprises vont devoir davantage se soucier de leurs pratiques RH vis-à-vis des seniors ?

Les entreprises vont être obligées de garder leurs seniors plus tard à cause de la place de la retraite qui va reculer. Elles auront une main-d’œuvre en bonne santé - les hommes sont en moyenne en bonne santé jusqu’à 74 ans, les femmes 78 ans. Si elles attendent que leurs salariés partent au compte-gouttes les uns après les autres, c’est idiot ! Maintenant, je ne sais pas dire si beaucoup de DRH sont sensibles aux problématiques des seniors. Je n’en ai pas l’impression. Pour que le couple senior/entreprise soit le plus heureux et le plus efficace, il y a encore des marges de progression.

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