
Pas de crash brutal à l’horizon, mais un atterrissage en douceur vers une possible récession. Au diapason du reste de l’économie, les artisans du bâtiment s’attendent à vivre une année 2023 de plus en plus agitée. La croissance du secteur devrait ainsi tomber autour de +0,5 % sur un an au premier semestre, selon la Capeb, avant de s’inverser complètement au second, à -0,5 %.
Le renversement de tendance paraît inéluctable, tant il s’inscrit dans la lignée du ralentissement progressif, constaté par l’organisation patronale tout au long de 2022.
Après un solide démarrage, l’activité n’a ainsi eu de cesse de s’essouffler par la suite. Elle est ainsi passée de +3,5 % au premier trimestre à +1 % au dernier. Résultat : une progression de +2,4 % en moyenne, sur l’ensemble de l’année. Une performance satisfaisante, mais au goût amer, pour Jean-Christophe Repon.
Des artisans en fin de cycle
L’année a en effet laissé des traces. Les difficultés d’approvisionnement, les hausses de prix des matériaux et la flambée de ceux de l’énergie n’ont pas seulement compliqué la tâche des patrons, elles ont semé "inquiétudes", "incompréhension", "fatigue", et même "burn-out", énumère le président de la confédération.
Surtout, 2022 signe, d’après lui, la fin d’un "cycle d’agilité : nos artisans ont passé la crise grâce à leur adaptation permanente, leur résilience. Mais ces qualités ne suffisent plus, car nous ne sommes plus dans la même dynamique qu’il y a un an", prévient-il. Un changement de vent que de plus en plus d’entreprises commencent à craindre : 26 % anticipent une baisse de leur activité sur le premier semestre, 11 points de plus qu’au troisième trimestre.
Des tensions à tous les étages
De fait, tous les voyants suivis par la Capeb trahissent une montée des inquiétudes. Sur la situation financière d’abord : 26 % des dirigeants font état d’une détérioration de leur trésorerie (+15 points en un an), et 46 % d’une baisse de leurs marges (+24 points). Une nette dégradation à mettre au débit de l’inflation : selon une étude complémentaire du cabinet Xerfi, les artisans disent avoir encaissé, en 2022, une hausse moyenne des prix des matériaux de +26,8 % sur un an. Et ce n’est pas fini, prédit Jean-Christophe Repon : "On reprendra, dès le premier trimestre, encore au minimum +15 %".
Signe supplémentaire des difficultés du bâtiment : le coup de froid sur l’emploi. Déjà en repli sur le semestre écoulé (-5 points en un an), les intentions d’embauche pour les six mois à venir marquent encore un peu plus le pas : seules 13 % des entreprises envisagent de recruter sur la période (-6 points). Et pourtant, les carnets de commandes restent bien fournis, avec 96 jours de travail en stock (+5 sur un an). Mais eux aussi s’érodent (-3 jours en trois mois) et le pessimisme s’impose : pour la première fois depuis fin 2020, les artisans sont plus nombreux à anticiper une baisse de leur volume. Le responsable de cette morosité est tout trouvé : l’inflation, encore elle, qui "menace d’impacter la demande de travaux" à mesure qu’elle se propage à l’ensemble des ménages.
L’inaction des pouvoirs publics dans le viseur
Dans ces conditions, Jean-Christophe Repon n’a qu’un seul mot d’ordre : "Passer à l’action et cesser de tergiverser !". Une pique adressée directement aux pouvoirs publics. C’est que la liste des griefs de la Capeb s’allonge et son président s’impatiente.
Au rang de ces irritants qui l'"énervent" : la demande de simplification des certificats d’économie d’énergie (C2E) et de MaPrimeRenov'. Un rapport existe depuis 2021, "mais la ministre actuelle de la Transition écologique [Agnès Pannier-Runacher] ne sait pas où il est !", assure le patron de la confédération. Même irritation sur le label de qualité RGE pour les travaux de performance énergétique. "On essaie d’amener nos adhérents vers ces chantiers-là, mais on voit bien que la complexification du système, et les délais de paiement qui en découlent, produisent l’effet inverse."
Or, tous ces dispositifs publics seraient autant de relais d’activité utiles aux petites entreprises du bâtiment. "Nous sommes à un tournant. Il est très difficile de relancer l’activité, quand elle décélère, comme en ce moment, met en garde Jean-Christophe Repon. Il est donc urgent de lancer des actions fortes en 2023." Un appel sous forme d’avertissement, car "la grogne monte sur l’ensemble du territoire".