Coronavirus : pourquoi les entreprises ont un rôle à jouer dans la production de masques
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Coronavirus : pourquoi les entreprises ont un rôle à jouer dans la production de masques

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Pour pallier la pénurie criante de masques et compenser les difficultés actuelles à l'importation, l'État a appelé les entreprises françaises à la rescousse. Et pour cause : cet équipement de protection devrait bientôt se généraliser pour faire barrière au coronavirus. De quoi faire (ré)émerger un nouveau filon du made in France.

De nombreuses filières régionales du textile (comme ici, en Alsace) se sont mobilisées pour fabriquer des masques, aux premières heures du confinement. Depuis, le gouvernement a proposé un cadre pour mieux accompagner ce genre d'initiatives — Photo : ©Pôle textile Alsace

Le temps d’une épidémie, les masques sont devenus au gouvernement Philippe ce que le sparadrap était au capitaine Haddock : un bout de tissu bien embarrassant qui lui colle à la peau. Et dont il peine à se défaire, tant la pénurie de cet équipement de protection, en pleine crise sanitaire, paraît aussi vive que problématique.

Pour sortir de l’ornière, l’État s’est donc tourné, fin mars, vers les entreprises françaises. Or, ce qui pouvait sembler, à l’origine, comme un appel d’urgence pour une production d’appoint pourrait finir par se pérenniser en chaîne de valeur durable à court et moyen terme.

Pourquoi la production de masques est devenue un enjeu national

L’irruption soudaine de l'épidémie de coronavirus dans l’Hexagone a brutalement mis en lumière l’intérêt stratégique de maintenir aussi bien des stocks qu'une production de masques sur le territoire national, et dans des proportions conséquentes. Problème : quand le Covid-19 fut venu, les premiers avaient fondu et la seconde quasi disparu… à l’image de l’usine Spérian, qui pouvait produire 100 millions de masques par an dans les Côtes-d’Armor. Mais le vent a bel et bien tourné et un marché du masque fabriqué en France pourrait bien être en train de s’ouvrir, et ce pour au moins trois raisons.

• Sur le plan économique, une demande de masques à satisfaire

Pour le gouvernement, l’équation est simple : le stock de masques (120 millions au 28 mars, selon le ministre de la Santé Olivier Véran) et la production française (environ 4 millions par semaine avant la crise, d’après Bercy) ne suffisent pas à couvrir la consommation hebdomadaire de 40 millions d’unités (estimation au 28 mars) qu’en font, à eux seuls, soignants et malades, les deux populations jugées prioritaires pour l’accès à ces protections.

Un masque chirurgical — Photo : Europe Technologies

Comment combler ce déficit d’offre ? Par la voie de l’importation ? Le 4 avril, l’État affirmait avoir déjà passé commande de près de 2 milliards de masques. Mais la France n’est pas la seule à subir l’épidémie. La concurrence exacerbée entre pays, les délais de livraison excessifs qui en découlent et les surenchères, plus ou moins loyales, de dernière minute sur les tarmacs chinois, rendent l’approvisionnement à l’étranger trop incertain pour être fiable.

Même moins compétitive, la production nationale (re)devient donc une source sûre. Et l’assurance-vie d’un gouvernement, de plus en plus critiqué pour sa gestion des stocks de masques.

• Sur le plan politique, la mobilisation des pouvoirs publics

L’unité nationale contre le coronavirus s’est en effet rapidement fissurée sur cette question des masques. C’est que la demande n’est pas seulement économique. Elle est aussi sociale. Contre un virus qui se transmet par les postillons, le masque est naturellement apparu comme un équipement élémentaire de protection. Réclamé de tous, à commencer des professionnels, sommés, le 19 mars, de maintenir leur activité en dépit du confinement. Grande distribution, BTP, logistique… chaque branche y est allée de sa revendication pour obtenir sa part de masques, et garantir ainsi la sécurité sanitaire des salariés, condition sine qua non posée par l’État lui-même à la reprise du travail.

Autant dire que, pour le gouvernement, le sujet est rapidement devenu explosif et la pénurie, un angle d’attaque pour l’opposition. Mais comment satisfaire à l’addition de toutes ces demandes, quand les masques manquent déjà à ceux qui en ont le plus besoin, les soignants ?

Exemple de masques de protection réutilisables non-normés, produits par le breton Dolmen Manufacture dès mars — Photo : @DR

La réponse est venue en deux mots : « masques alternatifs ». Autrement dit, des protections moins performantes que les modèles à usage sanitaire jusque-là en vigueur (les masques FFP2 et chirurgicaux). Des équipements plus rapides à tester, plus simples à produire et, pour certains, déjà lancés, à la suite d’initiatives et de mobilisations locales, notamment en Auvergne Rhône-Alpes, à la suite d'un appel du CHU de Grenoble.

Le gouvernement n’avait plus qu’à donner un cadre et des moyens pour développer ce gisement naissant du made in France. Ce qu’il a fini par faire en deux temps : le 21 mars, avec un « appel à propositions » lancé aux entreprises françaises « pour augmenter la capacité de production nationale » et le 29 mars, avec la création officielle de deux modèles de masques non-sanitaires, définis par un cahier des charges de la Direction générale de l’armement (DGA).

• Sur le plan sanitaire, une doctrine en évolution

Cause ou conséquence ? Au moment où ont émergé ces concepts alternatifs, les autorités faisaient évoluer leur doctrine sur le port du masque. Encore jugée « inutile » le 19 mars par le Premier ministre, la généralisation de cet équipement à toute la population est finalement « encouragée » (à condition d’en avoir à disposition), le 3 avril, par Jérôme Salomon, directeur général de la santé.

Entre temps, l’idée du masque alternatif a fait son chemin. Preuve en est, le 2 avril, l’Académie de médecine recommande de le rendre obligatoire pour le citoyen lambda. « Le port généralisé d’un masque par la population constituerait une addition logique aux mesures barrières actuellement en vigueur. » Dans la foulée, le 8 avril, l’Ordre des pharmaciens demande à pouvoir vendre ces nouveaux produits.

« L’État, à partir du 11 mai, devra permettre à chaque Français de se procurer un masque "grand public". »

Le gouvernement intègre cette nouvelle donne dans sa doctrine : aux professionnels de santé et aux malades les masques sanitaires classiques (comme depuis le début de la crise) ; aux autres travailleurs exposés mais non-soignants, les modèles grand public (apparus en cours d’épidémie). Façon simple de répondre à la demande sociale sans rajouter de la pression sur les stocks existants. Manière habile aussi de parer à la pénurie sans vraiment l’assumer.

Une position définitivement entérinée, et élargie à l’ensemble de la population, par le président de la République Emmanuel Macron, dans son allocution du 13 avril. « L’État, à partir du 11 mai (nouvelle date prévue du début du déconfinement, NDLR), en lien avec les maires, devra permettre à chaque Français de se procurer un masque "grand public". Pour les professions les plus exposées et pour certaines situations, comme dans les transports en commun, son usage pourra devenir systématique. »

Le masque devrait donc bel et bien devenir le produit-phare de ce printemps-été 2020. Mais l’État a besoin des entreprises pour faire de cette opération un succès.

Le fabricant de jeans 1083 a réorganisé sa production pour confectionner des masques lavables de secours — Photo : 1083

Comment les entreprises se mobilisent pour fabriquer des masques

Les entreprises n’ont pas attendu le gouvernement pour se lancer dans la production de masques. Mais elles ont désormais un cadre plus clair et des outils à leur disposition pour participer à cet « effort de guerre » contre le coronavirus. Mais à chaque type de masques, ses particularités.

• Masques alternatifs : un nouveau filon made in France

Quelles entreprises sont concernées ? Principalement celles du textile et du papier qui peuvent réorienter leurs usines vers ce type de production. Ou toute autre entreprise qui, par innovation ou reconversion, pourrait répondre aux normes définies.

De quels masques s’agit-il ? Des nouveaux équipements à usage non-sanitaire, créés le 29 mars. Ils sont de deux sortes.

Les « masques individuels à usage des professionnels en contact avec le public » (catégorie 1) filtrent « au moins 90 % des particules de trois microns ». Ils sont destinés aux personnes en contact régulier avec le public.

Les masques « à visée collective pour protéger l’ensemble d’un groupe » (catégorie 2) sont moins performants, avec un taux de filtration d’au moins 70 %. Ils sont réservés aux personnes dont les interactions avec autrui sont plus occasionnelles, au sein d’une organisation ou au niveau d’un service, notamment quand les mesures de distanciation sociale ne peuvent être respectées.

Ces masques peuvent être lavables, donc réutilisables. Dans tous les cas, ils sont considérés comme des équipements de travail, et non des équipements de protection individuelle (EPI). La Direction générale de l’armement en a rédigé le cahier des charges et s’occupe de tester les prototypes soumis par les entreprises. Ces évaluations suivent soit les procédures habituelles, soit les protocoles exceptionnels publiés par la DGA, mais aussi l’Afnor. Son référentiel du 27 mars a en effet été reconnu valide pour la catégorie 2.

AD Confection compte parmi les 30 entreprises des Pays de la Loire mobilisées par Mode Grand Ouest pour confectionner des masques dits alternatifs. — Photo : AD Confection

Comment les entreprises se mobilisent-elles ? Au 10 avril, 89 entreprises ont soumis 162 modèles, dans le cadre de l’appel à propositions du ministère de l’Économie, toujours en cours. La liste de ces contributeurs est publique. Mieux, selon Bercy, en une semaine, du 30 mars au 5 avril, 3,9 millions de ces masques alternatifs étaient déjà sortis des usines françaises. L’objectif affiché par le gouvernement, le 28 mars, était d’atteindre les 7 millions d’unités hebdomadaires d’ici à la fin avril. [EDIT : Et même 17 millions d'ici au 11 mai, selon le ministre de la Santé Olivier Véran, à la conférence de presse du 19 avril]

Par ailleurs, les entreprises embarquées dans l’aventure peuvent s’appuyer sur deux plates-formes à leur disposition. Celle du comité stratégique de la filière Mode et luxe. En amont, elle coordonne et informe tous les acteurs de la chaîne (fournisseurs de matières et d’accessoires, producteurs de masques…). En aval, le site gouvernemental stopcovid19.fr permet aux fabricants et distributeurs de vendre leurs produits.

• Masques sanitaires : en route vers l’indépendance ?

Quelles entreprises sont concernées ? En première ligne, les quatre fabricants de masques implantés sur le sol français, à savoir Valmy (Loire), Macopharma (Nord), Paul Boyé (Haute-Garonne) et Kolmi-Hopen (Maine-et-Loire). Ce dernier, basé près d’Angers, a d’ailleurs reçu la visite d’Emmanuel Macron, le 31 mars.

En parallèle, le gouvernement entend installer « de nouvelles lignes de production en s’équipant de machines dédiées », a annoncé à l’Assemblée nationale la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, le 9 avril. Mais dans ce domaine, la France ne compte, sur son territoire, qu’une seule entreprise capable de fournir l’outil industriel nécessaire. Or, Cera Engineering (Loire) ne sort que deux machines par mois. L’État assure « accompagner » le groupe pour accélérer le rythme. Tout en regardant vers l’Asie pour y trouver d’autres équipementiers.

De quels masques s’agit-il ? Des masques à usage sanitaire classiques, actuellement réquisitionnés par l’État pour alimenter en priorité les établissements de soins et de santé. Deux catégories sont à distinguer.

Les « masques anti-projections » (ou chirurgicaux) sont les plus simples. Il en existe de trois types (I, II et IIR), conçus pour protéger les autres d’une contamination par leur porteur. Ils répondent à la norme NF EN 14683 et bloquent 95 % à 98 % des bactéries de 3 microns, dans le sens de l’expiration.

Les « masques de protection respiratoire individuelle », dits FFP2, sont plus sophistiqués et efficaces, du fait de leur dispositif de filtration intégré. Ils arrêtent 94 % des particules de 0,01 à 1 micron (norme NF EN 149 : 2001). Les FFP3 sont encore plus efficaces, les FFP1 le sont moins.

Comment les entreprises se mobilisent-elles ? En augmentant leur cadence de manière spectaculaire. Kolmi-Hopen a doublé son effectif et tourne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. De son côté, Paul Boyé vise un triplement de sa production de masques FFP2. Résultat, « nous sommes passés d’une production mensuelle avant crise de moins de 15 millions de masques FFP2 et chirurgicaux par mois, à plus de 40 millions en avril », affirmait, dès le 9, Agnès Pannier-Runacher. S’y ajoute un objectif additionnel de 10 millions d’unités par semaine à partir de mai, grâce à l’ajout des nouvelles capacités de production déjà mentionnées.

Des chiffres vertigineux, mais les moyens sont là (4 milliards d’euros débloqués par l’État, le 31 mars, pour l’achat de matériel sanitaire) et les attentes élevées. Le cap en la matière, fixé par le président de la République, est clair : « Parvenir en fin d’année à une indépendance pleine et entière. » Ce n’est qu’à ce prix que le gouvernement pourra résorber la pénurie de masques. Avec une solution plus pérenne que n'importe quel sparadrap sur une jambe de bois.

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