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"L’industrie textile est capable d’investir et elle l’a prouvé"
Interview France # Textile # PME

Olivier Ducatillon président de l'Union des industries textiles "L’industrie textile est capable d’investir et elle l’a prouvé"

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Avec 2 200 entreprises, dont une grande majorité de PME, l’Union des industries textiles salue l’adoption, par les députés, d’une proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de la fast fashion. Loin de prôner une relocalisation totale de la production textile en France, Olivier Ducatillon, président de l’UIT, plaide pour une "politique de petit pas".

Olivier Ducatillon, président de l’Union des industries textiles — Photo : Ivan Guilbert

L'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi contre la fast fashion, le 14 mars dernier. Les députés prévoient la création d'un malus écologique et interdisent la publicité sur ces produits. Quelle est votre position sur ce texte ?

Nous sommes favorables à tout ce qui contribue à lutter contre la concurrence déloyale et c’est le cas de cette proposition de loi. Aujourd’hui, on fait un parallèle avec ce qui s’est passé dans l’agriculture : on ne doit pas importer en France ce qui est interdit chez nous. Pour Shein et Temu, la logique est la même, compte tenu de l’opacité et de l’absence de contrôle sur la manière dont les produits sont fabriqués, tant d’un point de vue social que sanitaire. Shein c’est 3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 18 mois en France. Si cette mesure prend du temps à être appliquée, l’ampleur peut être considérable. Il y a urgence !

"Si la limite est fixée à 7 000 références par semaine, peu d’enseignes françaises seront concernées"

Avez-vous des points de vigilance concernant les répercussions de ce texte sur les enseignes françaises ?

Nous allons faire attention à trois choses. D'abord, que cette loi ne crée pas d’effet de bord avec le nombre de références qui va définir l’ultra fast fashion. Il ne faut pas pénaliser nos enseignes françaises, dont la majorité s’efforce d’être plus vertueuse et transparente, même si elles fabriquent à l’étranger. Si la limite est fixée à 7 000 références par semaine, peu d’enseignes françaises seront concernées.

Notre deuxième point de vigilance concerne les contrôles. Comment seront-ils réalisés ? Il faudra faire en sorte qu’en appliquant un malus, rien ne passe à travers les mailles du filet. Il faut de la volonté, des process et des moyens humains pour y parvenir.

On se félicite de ce mouvement car on partait de loin et on pensait que rien n’était possible. Maintenant il faut que ce texte aille au bout du parcours législatif, qui n’est pas sans encombre, mais qui sera plus rapide qu’une décision européenne.

Est-ce un premier pas qui permettra de soutenir l’industrie textile française ?

Pour soutenir l'industrie textile, il faut voir le problème dans son ensemble et se mettre à la place du consommateur. Les Français ont du mal à boucler leurs fins de mois et les achats textiles deviennent non essentiels. Je ne blâme pas le consommateur pour le stigmatiser ou le faire culpabiliser. Mais il faut essayer de sensibiliser.

"Si 1 % de cette consommation était Made in France, cela permettrait de créer 4 000 emplois"

Ce serait enfoncer une porte ouverte de dire qu’acheter du Made in France est plus cher. Sans être cocardier, il faut expliquer qu’acheter français c’est contribuer à préserver des emplois en France. C’est aussi bon pour la planète, le textile mondial importé est polluant, fabriqué avec des énergies carbonées. Alors que le textile français est sûrement l’un des plus vertueux, fabriqué avec une énergie nucléaire, voire des matières locales comme le lin. L’empreinte environnementale du textile français est 10 fois moins importante que celle du textile fabriqué en Chine, selon notre étude Cycleco.

Nous avons demandé aux pouvoirs publics une grande campagne de publicité qui expliquerait ces enjeux. Chaque Français consomme 8 kg de textile par an. Si 1 % de cette consommation, soit 80 grammes, ce qui représente un bonnet ou une écharpe, était Made in France, cela permettrait de créer 4 000 emplois.

Le Made in France ne peut être qu’une politique de petits pas. Il ne s’agit pas de tout produire en France mais on pourrait atteindre 10 %, 15 % de la consommation. Retrouver une confection française sur l’ensemble des produits est illusoire mais une ou deux étapes en France ou en Europe est déjà un petit effort. L’industrie textile est capable d’investir et elle l’a prouvé.

"Le textile est pluriel en France car l’habillement ne représente que 30 % de notre production"

Dans ce contexte, quel est le poids de l’industrie textile en France ?

La spécificité de notre organisation est que nous sommes 80 % de PME sur 2 200 entreprises, pour 60 000 emplois et 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le textile est pluriel en France car l’habillement ne représente que 30% de notre production. Il y a aussi le textile technique, d’ameublement, pour la santé, l’automobile, l’agriculture et le sport. Notre rôle est de défendre la filière, de la fibre au produit fini.

Ce n’est pas la fin du made in France même si 30 % des entreprises sont dans une période compliquée. Quand quelques PME disparaissent, c'est inodore, incolore et sans saveur. Il faut être vigilant et protéger nos savoir-faire. L’industrie textile a su rebondir à chaque fois et en ce moment, c’est plutôt la distribution qui est en crise, pas le textile.

Comment les PME peuvent rivaliser avec les géants internationaux low cost ?

Le textile a toujours fait preuve de résilience et d’innovation. C’est un secteur qui sait se remettre en cause, avec de nouveaux modèles et une nouvelle façon de travailler. Avec la crise énergétique, nous avons réuni un groupe de travail pour réduire notre dépendance énergétique et voir comment atteindre des productions sans eau.

"Sur nos 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 12 milliards sont réalisés à l'export"

Il faut aussi réinstaurer un dialogue entre les distributeurs, les marques et la production française. Nous pouvons contractualiser avec les marques, se fixer des objectifs communs, maintenir les prix sur la durée, et que les marques s’engagent, elles aussi, à commander sur long terme.

Il y a aussi un enjeu sur le coût du travail. La confection d’une chemise en Asie revient à 5 euros, au Maghreb elle est à 10 euros, au Portugal à 15 euros et en France elle atteint 25 à 30 euros. Des efforts ont été faits sur les impôts de production et il faut préserver notre modèle social. Mais des solutions peuvent être trouvées sur les charges.

Il faut aussi progresser sur l’export. Dans le textile, les produits s’exportent très bien. Sur nos 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 12 milliards sont réalisés à l’export. La French Touch est un savoir-faire très apprécié dans des pays comme les États-Unis, le Japon et même la Chine.

France # Textile # PME # Relocalisation