Ce qui pousse les PME et ETI industrielles à revenir en France (ou à en partir)
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Ce qui pousse les PME et ETI industrielles à revenir en France (ou à en partir)

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Relocaliser ou délocaliser ? Si la question agite le débat public depuis la crise du coronavirus, rares sont les PME et ETI industrielles à vraiment se la poser. Mais quand elles y réfléchissent, c’est moins pour des raisons financières que dans une logique de filière, assure une étude de Bpifrance Le Lab. Avec, au centre du jeu, le rôle des grands donneurs d’ordres.

Pour Bpifrance Le Lab, la bataille de la réindustrialisation se jouera moins sur le front des relocalisations que sur celui des localisations tout court, d’activités industrielles nouvelles, comme ici avec Symbio, acteur de l’hydrogène en cours d’installation dans le Rhône — Photo : Pierre Lelièvre

La France, ils l’aiment et, pourtant, les dirigeants de PME et ETI industrielles la quittent quand même - souvent contre leur gré et pas forcément pour de l’argent. Autrement dit, pour ces patrons, la délocalisation serait plutôt subie que choisie. C’est en tout cas ce que 1 382 d’entre eux ont confié à Bpifrance Le Lab, dans une étude parue le 27 janvier.

À l’heure où l’avenir de l’industrie tricolore revient sur le devant de la scène et dans le débat public, le centre de réflexion de la banque publique est allé demander aux premiers concernés les dessous de leur stratégie d’implantation et de développement.

Relocaliser ou délocaliser, un enjeu secondaire pour les PME-ETI

Premier enseignement : relocalisations et délocalisations sont loin d’être de leurs préoccupations. Seuls 5 % des répondants envisagent ainsi de rapatrier, dans les cinq ans, "tout ou partie de leur outil industriel ou site de production", contre 3,5 % qui pensent, au contraire, déplacer leur activité hors de France.

Il ne faudrait donc pas exagérer le retour des usines au pays, ni négliger non plus la tentation du départ à l’étranger, prévient l’étude. Les envies d’ailleurs restent bien là : un quart des PME-ETI interrogées ne savent pas dire si elles délocaliseront ou pas à moyen terme, quand 2 % l’ont déjà fait depuis le début de la pandémie de Covid-19, "une tendance en légère hausse".

Les délocalisations sont la faute des donneurs d’ordres

Mais pourquoi penser à partir, ou vouloir rester, à l’étranger, à l’heure où l’État multiplie les aides pour les faire revenir ? Les entreprises justifient leurs réticences à relocaliser moins pour des raisons financières que de filière. Au premier rang de leurs motivations, la nécessité de rester au plus près de leurs clients (citée à 59 %) devance ainsi largement l’optimisation de la logistique (35 %) et l’accès aux compétences (31 %), avant même la faiblesse des coûts de production (29 %).

Ce poids de leurs clients dans leur choix d’implantation, les patrons interrogés le subissent aussi de manière très directe : 23 % affirment avoir été poussés par leurs propres acheteurs à délocaliser, au cours de ces cinq dernières années, "dont la moitié pour éviter une rupture de contrat".

« Face aux pressions à la délocalisation, les PME-ETI résistent. Il y a une part d’héroïsme chez ces chefs d’entreprise ! »

"En clair, ce mouvement de délocalisation ne vient pas des PME et ETI industrielles, en conclut Philippe Mutricy, le directeur des études de Bpifrance. Au contraire : face à cette pression, elles résistent. Il y a une part d’héroïsme chez ces chefs d’entreprise !", s’enflamme-t-il. Les responsables seraient donc plutôt à chercher du côté des grands donneurs d’ordre. "Ils ont une responsabilité, insiste la directrice de Bpifrance Le Lab, Élise Tissier. Quand l’un d’eux fait bouger un acteur de la chaîne, il entraîne tout le monde derrière lui." Cette logique de filière qui pousse à l’exil se retrouve particulièrement dans l’automobile, l’aéronautique, mais aussi la santé, pourtant dorlotée par les pouvoirs publics dans leurs efforts de soutien à la relocalisation.

Plus globalement, pour Philippe Mutricy, cette pression des grands comptes est le symptôme d’un mal bien français : "Contrairement aux Allemands, nos industriels ont tendance à mettre en concurrence leurs sous-traitants avec le monde entier. Or, dans cette configuration-là, naturellement, vous allez les inciter à se rapprocher d’autres qui ont déjà délocalisé. Notre étude est donc aussi une alerte pour appeler à mettre fin à cette spécificité. Car, sur la durée, elle contribue à casser l’outil industriel national, elle l’empêche d’être suffisamment rentable pour réinvestir, innover et gagner des parts de marché."

La relocalisation devient économiquement attractive

La même logique de filière s’applique aux relocalisations. Le rapatriement d’activités en France est jugé possible par 8 dirigeants sur 10… mais 56 % préviennent qu’il serait difficilement réalisable "si le principal donneur d’ordres [de leur secteur] ne le fait pas en premier" ! Un taux qui monte même à plus de 60 % dans les transports (automobile, aéronautique ou ferroviaire). "On le voit dans la filière textile, illustre Élise Tissier. Aujourd’hui, des entreprises aimeraient produire en France ou en Europe, mais ce n’est pas si simple. Il leur faut reconstituer des compétences, retrouver tout un écosystème de fournisseurs, etc."

Pour autant, le retour au bercail des PME et ETI s’avère surtout motivé par des raisons conjoncturelles… et financières. Les patrons disposés à relocaliser y voient d’abord un moyen de s’épargner des ruptures d’approvisionnement (à 58 %) et de limiter les dépenses et délais de transport (à 50 %). Comme si la question des coûts faisait désormais pencher la balance économique en faveur de la relocalisation.

« L’équation économique entre produire en France ou à l’étranger est arrivée à un point de bascule. »

Un spectaculaire renversement de situation confirmé par Philippe Mutricy : "D’un côté, le coût du travail et la fiscalité se sont considérablement améliorés, en France, ces dix dernières années. C’est, par exemple, la récente baisse des impôts de production. De l’autre côté, les salaires augmentent beaucoup en Asie, Europe de l’Est ou au Maroc. L’avantage salarial se réduit donc très vite. Et quand vous produisez dans ces pays, vous supportez des dépenses internes supplémentaires pour aller sur place, encadrer les équipes, assurer le contrôle qualité, etc. Ajoutés à cela les risques liés aux ruptures d’approvisionnement (perte de contrats, pénalités de retard), les prix des transports (le fret maritime a quadruplé en 2020) et, demain, la taxe carbone aux frontières de l’Europe… Au final, votre équation économique arrive à un point de bascule."

Et il ne s’agirait pas que d’un effet de mode, lié au contexte inflationniste de la reprise post-coronavirus. L’enquête met en avant des motivations plus structurelles à la relocalisation, en particulier les enjeux environnementaux (cités à 46 %). Rien, en revanche, sur les aides publiques. Elles aussi pèsent pourtant lourd dans le calcul des patrons. Selon une étude Bpifrance Le Lab de juin 2021, 89 % des dirigeants estimaient ne pouvoir relocaliser qu’avec un fort soutien de l’État, reconnaît Élise Tissier.

Les activités nouvelles, véritable enjeu de la réindustrialisation

Faut-il pour autant continuer à mettre de l’argent public sur ces 5 % de PME-ETI prêtes à revenir au pays ? Rien n’est moins sûr : "Il faut être clair : ces entreprises ne peuvent pas sauver l’industrie française à elles seules", prévient Élise Tissier. Et d’insister sur deux autres chiffres : 26 % des industriels interrogés pensent créer de nouveaux sites de production à l’avenir, et, parmi eux, trois quarts envisagent de l’installer dans l’Hexagone.

Pour Philippe Mutricy, c’est bien la preuve que "la réindustrialisation ne se résumera pas simplement à freiner les délocalisations ou encourager les relocalisations. Cette bataille se joue aussi, et peut-être surtout, sur la création d’activités et l’ouverture d’usines nouvelles sur le territoire. Ce qui renvoie au développement de start-up industrielles et, plus largement, à l’attractivité du site France tout entier." Autant de chantiers toujours en cours, alors que l’industrie peine encore à se relever de la crise du Covid-19 et se retrouve empêtrée dans des difficultés inédites. Si le retour en grâce des usines paraît lancé, leur prochain âge d’or, lui, n’est pas tout à fait pour demain.

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