Jean-Marc Roué (Brittany Ferries) : "Malgré le Covid et le Brexit, nous n’avons pas perdu confiance"
Interview # Maritime

Jean-Marc Roué président de Brittany Ferries "Malgré le Covid et le Brexit, nous n’avons pas perdu confiance"

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Après deux années mouvementées, la compagnie maritime bretonne Brittany Ferries (2 250 salariés, 212,4 M€ de CA en 2021, 469 M€ en 2019) reprend sa marche en avant. En 2023, le trafic passagers comme fret reprend. En 2024, la compagnie ouvrira même sa première ligne de fret ferroviaire entre Cherbourg et Bayonne.

Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries — Photo : LOU BENOIST

Avec le recul, comment analysez-vous les deux années écoulées pour la Brittany Ferries ?

Pour nous, la crise du Covid a duré 24 mois, de mars 2020 à mars 2022, quand nous avons pu reprendre de façon complète les liaisons passagers. Cela a été deux années difficiles. Deux années, parce que - les gens l’ont souvent oublié - les frontières sont restées fermées pendant quelque temps. Il fallait ensuite des tests PCR négatifs, etc.

Au milieu de cette crise, Le Brexit est entré en vigueur le 1er janvier 2021…

Paradoxalement, les mesures liées au Brexit n’ont pas été compliquées à mettre en place au moment où il s’appliquait. Pourquoi ? Parce que nous n’avions quasiment aucun passager sur nos lignes à cause du Covid. Il y avait aussi peu de camions sur nos bateaux, à cause du Brexit mais aussi à cause du Covid qui avait déjà réduit les échanges entre la France et l’Angleterre. Nous avions donc arrêté certaines liaisons maritimes. Finalement, ça s’est plutôt bien passé dans un contexte extrêmement de crise.

Ces deux dernières années ont été longues. Nous n’avons pas perdu confiance, même si nous nous sommes posé beaucoup de questions. Dans le cadre de la procédure de restructuration, des banquiers, eux, nous ont fait comprendre qu’ils pensaient que notre boutique était foutue et que nous ne retrouverions jamais nos clients.

Depuis quand l’horizon s’est-il éclairci ?

Nous avons pu nous rassurer à l’été 2022. Nous avons quand même fait une très belle saison estivale même si, sur l’exercice 2022, il y a évidemment une baisse importante du nombre de passagers par rapport à 2019 à cause des premiers mois de l’année. Les réservations pour 2023 sont mises en place sur notre site internet depuis juillet et août 2022. Nous attendions avec impatience le début de l’année parce que, historiquement, c’est en janvier que l’entreprise encaisse le plus de réservations par semaine par rapport au volume global car c’est à cette époque que les gens décident de leurs vacances.

Êtes-vous satisfait des premiers chiffres des réservations 2023 ?

C’est la bonne surprise du début 2023. Nos volumes de réservations sont plutôt bons, voire très bons par rapport à ce que nous enregistrions il y a 4 ans, c’est-à-dire au début de l’année 2019, puisque c’est la dernière référence, sans Covid ni Brexit. Les chiffres sont meilleurs sur nos départs et vers l’Irlande. Les lignes longues vers l’Espagne se maintiennent. Nous continuons à progresser positivement année après année sur le maillon espagnol. Nos départs de et vers l’Angleterre affichent baisse un peu plus importante. C’est lié au Brexit puisqu’il faut désormais un passeport pour se rendre en Angleterre. Au final, toutes lignes confondues, Brittany Ferries va se retrouver avec un chiffre d’affaires qui devrait être très proche de celui de 2019.

Comment expliquez-vous la baisse de réservations sur les liaisons France-Angleterre ?

Sur 350 000 passagers français qui allaient en Angleterre, il y avait quand même 70 000 clients "groupes". Ce sont par exemple des scolaires qui vont en voyage linguistique. Et là, pour le coup, le problème du passeport est très pénalisant parce que tous les enfants n’ont pas de passeport.

Dans l’autre sens, l’inflation joue. Nous avons retrouvé nos passagers voyageant vers l’Espagne, là où les prix des billets sont plus élevés. L’inflation a impacté une partie des Anglais qui ont moins de pouvoir d’achat et nous avons donc moins de passagers vers la France.

Brittany Ferries affiche un trafic fret de 167 225 camions entre novembre 2021 et octobre 2022 (201 554 en 2019) — Photo : © Albert Pennec

Qu’en est-il de l’activité fret ?

C’est, là aussi, une satisfaction du début de l’année 2023. Le Brexit a eu un impact négatif significatif, de moins 15 % sur le volume de fret, mais nous sommes mieux en ce début 2023 qu’en 2022. Nous attendons encore les chiffres, mais il y a peut-être une reprise. Il y a plusieurs facteurs : nous avons rouvert des lignes, il y a davantage de camions aussi. Depuis les débuts de Brittany Ferries il y a 50 ans, le trafic de véhicules industriels est en progression.

L’autoroute de la mer entre l’Espagne et l’Irlande est-elle en développement depuis le Brexit ?

C’est compliqué à dire à cause des effets des crises qui s’entremêlent. Avant le Brexit, 280 000 camions passaient par le "land bridge" anglais (passage par le Royaume-Uni pour aller du continent vers l’Irlande). Aujourd’hui, 140 000 camions passent par le passage du Pas-de-Calais. Certains ont choisi la liaison maritime, même si le Royaume-Uni n’a pas encore mis en place une frontière stricte sur les marchandises. Il y a un potentiel.

Le futur navire hybride de Brittany Ferries, le Saint-Malo devrait arriver d’ici 2025 — Photo : Brittany Ferries

Malgré la crise, vous avez poursuivi un plan ambitieux de renouvellement de votre flotte. Quels sont les montants investis ?

Nous n’investissons pas en propre dans ces nouveaux navires propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL). Nous n’aurions pas pu. Nous passons par l’armateur suédois Stena Line qui affrète les navires. Aujourd’hui, nous avons trois e-flexer : le Galicia, le Salamanca et le Santoña, mis en service entre 2020 et 2023. Les deux navires Saint-Malo et Normandie II arriveront plus tard. Le montant global, si nous avions dû investir nous-mêmes, serait autour de 700 millions d’euros. Cela signifie de la dette. Nous aurions également dû mobiliser une équipe pour suivre les chantiers, soit pendant environ 5 ans. En louant les navires, nous évitons ces dépenses et nous pouvons investir ailleurs.

Comme dans le ferroviaire ?

Oui. Notre ligne de fret ferroviaire entre Cherbourg et Bayonne ouvrira en 2024. Le 20 janvier 2023, nous avons d’ailleurs signé le contrat pour les wagons. Pour Brittany Ferries, l’investissement est de 20 millions d’euros avec 12 millions d’euros environ pour les wagons et 7 millions d’euros pour le terminal à Mouguerre, près de Bayonne. Le terminal de Cherbourg, lui, va être construit par Ports de Normandie.

Pourquoi vous lancez-vous dans cette diversification ?

C’est en fait un maillon complémentaire à notre offre de fret. Pour nos clients qui voudront transporter des marchandises entre l’Espagne et l’Irlande ou L’Angleterre, ce sera transparent. Ils choisiront simplement entre la voie maritime ou ferroviaire. Notre objectif est de continuer à apporter nos services aux transporteurs industriels et aux chargeurs avec un choix supplémentaire.

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