Maintenance aéronautique : en Nouvelle-Aquitaine, une filière qui décolle
Enquête # Aéronautique

Maintenance aéronautique : en Nouvelle-Aquitaine, une filière qui décolle

S'abonner

Dans dix ans, la flotte mondiale d'avions devrait doubler. De quoi réjouir les constructeurs mais aussi la filière maintenance quand on sait que dans le coût d'un avion, un tiers représente son prix d'achat et les deux autres tiers couvrent la vie de l'appareil. Emmenées par quelques mastodontes du secteur, comme Dassault, Thales ou Sabena Technics, les entreprises de Nouvelle-Aquitaine ont fait de la maintenance aéronautique une spécialité locale.

A Mérignac, l'ETI Sabena Technics dispose de son plus gros site en France et elle s'apprête à y construire un nouveau hangar pour augmenter ses capacités — Photo : Sabena technics

A quelques encablures de la capitale aquitaine, niché entre une frange de pins et les pistes de l’aéroport de Mérignac, les discrètes installations d’un fleuron de l’industrie aéronautique : Sabena Technics. Moins rutilantes que le proche campus Thales et ses 60 000 mètres carrés, et pourtant tout aussi stratégiques pour l’écosystème local qui a fait de la maintenance aéronautique l'un de ses points forts. Les hangars de l’ETI ne désemplissent pas : « Actuellement, nous sommes obligés de refuser certaines demandes de nos clients. A Mérignac, nous savons traiter trois gros-porteurs (avions de grande capacité, NDLR) simultanément. Nous espérons bientôt pouvoir en traiter quatre ou cinq », détaille Philipe Rochet, directeur général du groupe Sabena Technics et président du site girondin.

De quoi donner le ton de la ritournelle qui résonne dans les locaux de la centaine d’entreprises de la filière aéronautique-spatial-défense implantées dans la région. Avec 60 000 emplois dans l'aéronautique (dont 20 000 dans la Défense) et 12 centres de formation (dont 3 spécialisés en maintenance aéronautique), la Nouvelle-Aquitaine est gaillarde... mais n'a pas encore la carrure pour faire de l'ombre à son costaud voisin occitan. Selon l'Insee, fin 2016, la filière aérospatiale employait 44 500 personnes en Nouvelle-Aquitaine contre 101 958 en Occitanie.

Quatre milliards d'euros à prendre

Il fallait donc trouver un moyen de se différencier de la région toulousaine et de ses géants constructeurs. La métropole bordelaise et plus largement la Nouvelle-Aquitaine ont choisi de miser sur la Défense et le "maintien en condition opérationnelle". Le MCO regroupe l'ensemble des moyens, dispositifs et processus nécessaires pour qu'un système d'armes puisse être utilisé dans un contexte opérationnel. Un bon calcul puisque le budget prévisionnel 2018 du ministère des Armées alloue plus de 4 milliards d'euros à la maintenance de ses flottes aériennes.

« Compte tenu du tissu industriel qui existait déjà en Aquitaine, l’Armée de l’air a décidé dans le courant des années 2000 d’y installer son pôle technique. »

Surtout le terreau économique régional rendait naturelle cette spécialisation, avec de solides leaders comme Safran, Thales, Dassault ou Sabena, qui alimentent un vivier local de sous-traitants. Le tout dopé par l’installation de plusieurs acteurs étatiques. « Compte tenu du tissu industriel qui existait déjà en Aquitaine, l’Armée de l’air a décidé dans le courant des années 2000 d’installer son pôle technique - dont la grande majorité était dédiée au MCO - ici », raconte le général Jean-Marc Laurent, responsable de la chaire défense et aérospatial de Sciences Po Bordeaux.

La Simmad comme aimant

En 2011, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (la Simmad) pose ses valises et ses avions sur la base aérienne 106 de Bordeaux-Mérignac. Cet organisme, à vocation interarmées, est responsable du soutien en service de quelque 1 250 aéronefs (avions, hélicoptères, drones) et des matériels associés (camions incendie, groupes électrogène, systèmes de contrôle aérien) du ministère de la Défense. Un gros donneur d’ordre pour les entreprises spécialisées habilement installées dans les parages.

« Nous avons renforcé notre effectif à Mérignac car notre client principal pour le militaire (la Simmad devenue depuis l'été la DMAé, pour Direction de la maintenance aéronautique, NDLR) a choisi de s’y installer. Nous avons donc intensifié notre présence auprès de lui », explique Bruno Chevalier, directeur général du soutien militaire chez Dassault Aviation. La réorganisation territoriale de 2016 a fini d’agglomérer les atouts d’une Nouvelle-Aquitaine intégrant désormais le Poitou-Charentes et ses places fortes de la maintenance aéronautique comme Rochefort, Poitiers et Saintes.

Des armes dans la formation

Dans le même temps, une autre initiative régionale couvait : l’Aerocampus Aquitaine, gigantesque campus déployé sur 26 hectares dédiés à la formation initiale et continue. Car dans le domaine de la maintenance, la formation, c’est le nerf de la guerre. « Dans les prochaines années, il faudra former 600 000 nouveaux pilotes au niveau mondial. Quand on sait que pour pour faire voler un avion il y a besoin d’1,3 mécanicien pour un pilote, cela en dit long sur les besoins en formation », souligne Philippe Rochet, de Sabena Technics.

Début 2020, Aerocampus Aquitaine accueillera les clients indiens de Dassault pour former les techniciens à travailler sur les Rafale.

« Vous ne pouvez pas concevoir et vendre des avions si vous n'avez pas une forme de service après-vente. Et vous ne pouvez pas le faire si vous ne proposez pas, en même temps, la formation des mécaniciens à quel que niveau que ce soit », insiste Alain Rousset, président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. D’où la création de l’Aerocampus en 2011, initiative largement portée par la Région avec l’acquisition de l’ancien site de la direction générale de l’armement à Latresne. « Nous sommes passés de 90 élèves il y a six ans à 320 en 2018, en formation continue », se félicite Jérôme Verschave, directeur général de l’Aerocampus. Pour la rentrée prochaine, Sabena a commandé trois classes pour la formation continue de ses salariés. Et début 2020, les bancs de l’école accueilleront les clients indiens de Dassault pour les former à travailler sur les Rafale.

Extensions en série

Une proximité qui a pesé lourd lorsque l’industriel aéronautique a cherché où implanter le nouveau centre de maintenance de Dassault Falcon Service. Et c’est une nouvelle fois la métropole bordelaise qui a décroché la timbale ! Le bâtiment d’une superficie de 49 000 m2 a été inauguré en 2016 pour compléter les activités du Bourget. A Mérignac, Dassault emploie 1 300 personnes et devrait progressivement passer à 2 250 salariés pour accompagner une nouvelle extension du site prévue dans les prochains mois.

En dix ans, l’effectif girondin de Sabena Technics et son chiffre d’affaires ont, eux, doublé pour atteindre 800 personnes et 180 millions d’euros, pointe Philippe Rochet. L'entreprise devrait inaugurer un nouveau hangar en janvier 2020 pour augmenter ses capacités. Quant au campus technologique de Thales et ses 2 300 collaborateurs, difficile de passer à côté. « Tous les champions du secteur sont réunis en un seul endroit. C’est un pôle unique en Europe. Ailleurs, les activités de MCO sont beaucoup plus éparses », observe le général Jean-Marc Laurent.

« C’est ma priorité : entraîner les grands groupes pour aider à la structuration de la sous-traitance. »

Alors que manque-t-il à la Nouvelle-Aquitaine pour s’imposer comme place forte de l’aéronautique mondiale ? Une vitrine ? C’est désormais chose faite avec le salon Aero Defence Support (ADS) Show, les 26 et 27 septembre. Un effort de structuration peut-être ? « C’est ma priorité : entraîner les grands groupes pour aider à la structuration de la sous-traitance. Ils sont trop petits, trop dispersés, ils deviennent facilement la proie des services achat, argumente Alain Rousset. Nous devons faire en sorte que ces entreprises deviennent des ETI pour adresser plusieurs marchés et ne pas être en situation de dépendance complète à l'égard de grands groupes. » A moins que son véritable talon d’Achille ne soit le manque de sièges sociaux ? « Certes… mais il ne faut pas focaliser là-dessus », se console le président de la Région

# Aéronautique