Auvergne Rhône-Alpes
Comment les entreprises du BTP d’Auvergne-Rhône-Alpes font face à l’envolée des prix
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # BTP # Conjoncture

Comment les entreprises du BTP d’Auvergne-Rhône-Alpes font face à l’envolée des prix

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Malgré un marché régional de la construction toujours dynamique, les entreprises d’Auvergne-Rhône-Alpes doivent composer avec l’inflation sur les matières premières et l’énergie. Une situation qui tend les relations sur toute la chaîne et incite certains donneurs d’ordres à décaler leurs projets.

Les hausses de prix les plus importantes sont constatées sur les métaux, directement corrélés aux cours mondiaux, avec des hausses de prix à deux, voire trois chiffres sur l’acier, le zinc ou l’aluminium — Photo : Nicolas Robin

Samuel Minot a deux casquettes. En tant que directeur général du groupe de charpente Minot, il est confronté très directement à l’envolée des cours du bois. "Ces deux dernières années, c’est l’un des matériaux qui a subi le plus de fluctuations, et le plus tôt, avec des prix qui ont doublé en moyenne, rapporte le dirigeant. En 2021 nous avons en plus subi des pénuries qui heureusement se sont régulées sur la fin d’année, même si on constate à nouveau un rallongement des délais de livraison."

La deuxième casquette de Samuel Minot, c’est celle de la présidence de la Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics (FBTP) Rhône et Métropole, qui revendique 850 adhérents. Un mandat qui l’a amené au mois de mars dernier à appeler à la solidarité de la filière construction pour partager des surcoûts de plus en plus problématiques. "Nous sommes entrés dans une phase durablement inflationniste, que ce soit sur l’énergie, les salaires, les matériaux, avec le risque que les prix deviennent incontrôlables, résume Samuel Minot. En fin d’année, on se retrouvera avec une hausse des coûts entre 5 et 10 %, peut-être plus pour les produits de la construction : quelle entreprise peut porter seule ces surcoûts, avec une rentabilité moyenne dans la filière BTP à 3 % ?"

Des marchés non indexés

L’inflation des matériaux touche la filière BTP à l’échelle nationale, avec de légères disparités sur des produits régionalisés comme le béton. Les hausses les plus importantes sont constatées sur les métaux, directement corrélés aux cours mondiaux, avec des hausses de prix à deux, voire trois chiffres sur l’acier, le zinc ou l’aluminium. "Les fournitures de carrelage, tuiles, briques, dont la cuisson est alimentée au gaz naturel, sont devenues problématiques avec l’arrêt de certaines lignes de production pour éviter de produire à perte", rapporte encore la FBTP Rhône et Métropole. En 2021, la crise sanitaire a désorganisé les filières industrielles et logistiques : la forte reprise constatée au second semestre a encore accru les difficultés d’approvisionnement et des tensions déjà sensibles sur les prix. La guerre en Ukraine a fini d’affoler les marchés, en particulier sur les prix de l’énergie. Cette inflation touche plus sensiblement les entreprises des travaux publics, relève la Cellule économique régionale de la construction d’Auvergne Rhône-Alpes : "Le pétrole et les matériaux dérivés sont les plus problématiques : les canalisateurs sont particulièrement touchés par les pénuries, et les entreprises de travaux routiers font remonter des hausses sur les bitumes." En mars, l’index général des travaux publics faisait déjà état d’une inflation de 7,7 % sur un an et ce, avant les nouvelles vagues de hausses du printemps.

"Actuellement, 85 à 90 % des marchés ne sont pas indexés : les prix conclus il y a parfois plusieurs années restent fermes et définitifs"

Pour la filière bâtiment, la flambée des prix était, à la même époque, un peu moins élevée, à 5,4 %. Mais la structure de clientèle rend ces hausses souvent plus dramatiques pour les entreprises de la région. L’activité des travaux publics se fait aux deux tiers en marchés publics, où la loi impose des clauses de révision des prix qui permettent de tenir compte des variations économiques. Rien de tel dans le bâtiment : les marchés publics ne représentent par exemple que 17 % des marchés des entreprises artisanales. Et la clause d’imprévision, qui pourrait être invoquée pour demander une révision des prix au vu d’un événement impossible à anticiper lors de la signature du contrat, reste complexe à actionner, sur le plan juridique et commercial.

"Actuellement, 85 à 90 % des marchés ne sont pas indexés : les prix conclus il y a parfois plusieurs années restent fermes et définitifs, confirme Samuel Minot pour la FBTP Rhône et Métropole. Face à des maîtres d’ouvrage qui ne veulent pas ou ne peuvent pas prendre en charge les hausses, les entreprises du BTP ne jouent pas la carte du blocage, mais ont plutôt tendance à sacrifier leurs marges." Autrement dit, à exécuter les marchés aux prix convenus, en absorbant les surcoûts sur les matériaux.

Le constructeur ligérien de maisons à ossature bois Neoabita témoigne de ce phénomène : "Avant, on savait faire des maisons clé en main autour de 2 500 euros par mètre carré, aujourd’hui, nous sommes autour de 3 000 euros. Nous avons la chance d’avoir une clientèle avec des budgets assez élevés, moins impactée par les effets de l’inflation : le gros souci, c’est mon taux de marge qui lui diminue", explique le dirigeant de Neoabita Rémi Agrain. La situation des trésoreries devient dans certains cas explosive, entre les PGE qui entrent en phase de remboursement, la hausse globale des coûts, et les besoins en fonds de roulement qui augmentent pour stocker plus en prévision des prochaines hausses… "Nous n’avons pas encore d’alerte des tribunaux de commerce sur une vague de procédures collectives pour les entreprises du BTP, mais nous resterons vigilants ces prochains mois", reprend Samuel Minot pour la FBTP Rhône et Métropole.

En mars, la Fédération du BTP Rhône et Métropole a réuni ses adhérents pour alerter sur les impacts de l’inflation, et appeler la filière à plus de solidarité — Photo : FBTP Rhône et Métropole

Artisans : un moral en berne

La situation semble particulièrement problématique pour les entreprises artisanales, moins armées au plan financier. Début avril, la Confédération des artisans du bâtiment, la Capeb, a tiré la sonnette d’alarme, appuyée par une enquête auprès de ses adhérents dans les douze départements de la région. Certains chiffres sont particulièrement inquiétants : 31 % des entreprises disent ne pas pouvoir faire face aux difficultés actuelles au-delà d’un an, et 17 % seulement des entreprises entre 1 et 5 salariés pensent pouvoir résister deux ans et plus. Déjà 30 % des artisans font part de difficultés de trésorerie. "L’augmentation des coûts a un impact très lourd sur nos marges : seules 18 % des entreprises artisanales répercutent la hausse des prix sur leurs clients, estime le président de la Capeb Aura Dominique Guiseppin. Et ce, alors que l’activité ne manque pas pour l’instant !"

"Il est compliqué pour les acteurs privés de se projeter, entre la montée des coûts et la conjoncture : la filière a besoin de retrouver une logique de marché."

C’est en effet l’un des paradoxes de cette crise : la flambée des prix intervient alors que l’activité de la construction est restée très dynamique en Auvergne-Rhône-Alpes. Jusqu’à quand ? La crise inflationniste et les tensions géopolitiques pourraient casser cette belle dynamique. "Les carnets de commandes nous assurent encore 6 mois à un an de belle activité. Mais des premiers signes d’alerte se font jour : des promoteurs qui gèlent des commercialisations parce qu’ils ne savent pas à quel prix vendre, ou des primo-accédants qui ont du mal à boucler leur plan de financement", pointe Jérôme Thoin, directeur marketing et innovation du groupe régional de Négoce Samse. L’absence de visibilité sur le coût final des opérations gêne la prise de commande, confirme Valérie Chazelle, directrice générale de l’entreprise ligérienne de gros œuvre Groupe Chazelle. "L’inflation empêche de garantir les prix très longtemps : comme toutes les entreprises du bâtiment, nous avions l’habitude de travailler avec une validité de prix à 6 mois, voire un an, maintenant il nous faut parfois raisonner en jours pour intégrer les hausses qu’on nous fait subir. Il est compliqué pour les acteurs privés de se projeter, entre la montée des coûts et la conjoncture : la filière a besoin de retrouver une logique de marché."

Ramener de la sérénité au marché

Dans ce contexte, les relations commerciales se font plus tendues à chaque maillon de la chaîne, des industriels aux distributeurs, puis aux entreprises de travaux, et enfin aux donneurs d’ordres. "Nos clients nous demandent d’assumer notre rôle de ressort avec les industriels, qui nous font subir des hausses à effet immédiat sans tenir compte de leurs chantiers en cours. Mais nous nous heurtons nous-mêmes aux capacités de stockage et de trésorerie : le négoce à lui seul ne peut pas sauver la filière", témoigne Didier Léonce, dirigeant du groupe de distribution clermontois Boulard Verdier.

Des discussions ont été engagées ces derniers mois pour redonner un peu de sérénité à la filière. Le congrès national de la Capeb, fin avril, a été l’occasion pour une dizaine de fournisseurs - dont le leader du marché français des matériaux, Saint-Gobain - de s’engager sur des bonnes pratiques. Une démarche que le syndicat professionnel tente désormais de décliner à l’échelle régionale. L’un des points clés de ces accords concerne la mise en place d’un délai de prévenance sur les nouvelles hausses, pour laisser au minimum 30 jours aux entreprises pour prévenir leurs clients et adapter leurs prix. Une avancée que salue le président régional de la Capeb Dominique Guiseppin, qui estime l’intervention des pouvoirs publics indispensables pour changer d’échelle : "Nous sollicitons les préfets pour engager le dialogue avec l’ensemble des acteurs du bâtiment, industriels et négociants, afin de rechercher les termes d’une solidarité économique. C’est la rentabilité et à terme la pérennité de l’artisanat qui est en jeu." Dans l’enquête menée par la Capeb Aura, 56 % de ses adhérents artisans disent que la crise atteint leur moral, contre 27 % des dirigeants d’entreprises de plus de 20 salariés.

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