Puy-de-Dôme
Afyren : « À l'usine lorraine succèdera une deuxième usine d'ici trois ans »
Interview Puy-de-Dôme # Chimie # Biotech

Nicolas Sordet cofondateur et PDG d’Afyren Afyren : « À l'usine lorraine succèdera une deuxième usine d'ici trois ans »

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Fondateur et patron d’Afyren, une start-up auvergnate qui fabrique des molécules biosourcées pour l’industrie, Nicolas Sordet vient tout juste de lancer la construction de sa première unité industrielle en Moselle. Une étape majeure du développement de l’entreprise qui préfigure un développement plus large avec deux nouvelles usines dans les prochaines années.

À partir de 2022, la biotech auvergnate Afyren, présidée par Nicolas Sordet, compte produire 16 000 tonnes de molécules biosourcées pour l'industrie — Photo : © Afyren

Vous venez de lancer la construction de votre première usine sur la plateforme chimique de Carling-Saint Avold, en Moselle. Qu’allez-vous y faire concrètement ?

Nicolas Sordet : Nous investissons un peu plus de 60 millions pour construire notre première unité industrielle qui permettra de convertir des résidus de sucre issus de la production betteravière (betterave à sucre, NDLR) en molécules biosourcées. Ces ingrédients, des acides organiques, interviennent dans la production d’une multitude d’applications et d’industries. Notre objectif est d’en produire 16 000 tonnes dès 2022. Ce projet est l’aboutissement d’une implantation au sein d’une plateforme pétrochimique en plein renouveau et en pleine transition écologique. À terme, nous recruterons une soixantaine de personnes supplémentaires.

Quelle est la valeur ajoutée des molécules biosourcées que va produire Afyren ?

N.S. : Nous nous inscrivons dans l’enjeu climatique à travers l’objectif de réduire les émissions de carbone. Nous sommes intégrés dans une économie compétitive et décarbonée. On utilise une matière première renouvelable, aujourd’hui considérée comme un déchet. Nous n’attaquons pas les réserves de la planète, à l’inverse de nos concurrents qui utilisent du pétrole pour produire ces molécules. Notre valeur ajoutée réside dans la production d’une alternative biosourcée à des molécules aujourd’hui issues de l’industrie pétrolière. Nous nous démarquons par notre vision environnementale puisque notre matière première provient de la biomasse. Nous parvenons à réduire par plus de trois les émissions de CO2 par rapport à nos concurrents. Aujourd’hui, ces molécules existent mais sont réalisées à 99 % à partir de dérivés de pétrole dont les process ont un impact environnemental très lourd.

"Le marché mondial est estimé à plus de 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires."

Quelles sont les applications de ces molécules ?

N.S. : Ces molécules interviennent dans les ingrédients pour l’alimentation humaine à travers des arômes que l’on retrouve dans la choucroute, le jus d’orange, les brioches ou certains yaourts. Ce sont aussi des conservateurs alimentaires pour le pain de mie ou la charcuterie. Elles sont également utilisées comme conservateurs et arômes dans les vernis à ongles, les shampoings ou les crèmes cosmétiques. Ensuite elles trouvent une application dans l’alimentation animale en remplacement de certains antibiotiques pour les élevages, permettant de proposer une alimentation plus saine et une meilleure préservation des sols d’élevage. Enfin, certaines molécules entrent dans la composition de lubrifiants pour les moteurs, le chauffage, la climatisation.

"La plateforme chimique de Carling-Saint-Avold est une terre d’industrie avec de fortes compétences."

En termes de positionnement marché, comment parvenez-vous à être compétitifs ?

N.S. : Dès lors que l’on est capable de produire à partir d’une matière première biosourcée une alternative disposant de performances égales tout en étant moins polluant, les industriels s’y intéressent. La question du prix est importante. L’enjeu se situe surtout dans la manière dont on participe à lutter contre le changement climatique et à trouver des alternatives au pétrole. Les industriels comprennent cette tendance et sentent le poids de l’opinion publique sur ces sujets. Ils cherchent donc à sourcer de nouveaux ingrédients plus propres. Le marché mondial est estimé à plus de 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

Afyren est basé à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et Lyon (Rhône). Pourquoi implanter votre usine en Lorraine ?

N.S. : Nous avions ciblé plusieurs sites mais la plateforme Chemesis de Carling-Saint-Avold disposait de beaucoup d’atouts, comme celui d’être le plus proche possible de la matière première. Lorsque l’on a un raisonnement axé sur la réduction de CO2, on cherche forcément à se rapprocher de la source d’approvisionnement, tout en nous permettant aussi d’économiser les coûts de transport. Ensuite, Carling-Saint-Avold est une terre d’industrie avec de fortes compétences. Nous avons été accueillis et bien aidés par Total (présent sur la plateforme chimique, NDLR) pour nous installer et faciliter les échanges avec les autorités. Afyren garde néanmoins son implantation en Auvergne Rhône-Alpes. Nous sommes fermement attachés à continuer notre développement dans la région.

"S’allier trop tôt avec un industriel aurait pu brider notre développement."

Comment se structure le montage financier de cette première usine à travers la filiale Afyren Neoxy ? Auriez-vous pu vous adosser à un industriel ?

N.S. : Nous avons eu la chance d’avoir, depuis notre création, des fonds comme Sofimac ou Supernova à nos côtés. Reste que financer un projet industriel de plus de 60 millions d’euros lorsque l’on est une start-up est compliqué. Le fonds SPI de Bpifrance (qui possède 49 % du capital d'Afyren Neoxy, NDLR) est un outil exceptionnel, en complément de nos actionnaires, pour financer cette usine. C’était le partenaire idéal parce qu’ils ont une connaissance fine de l’industrie. Nous avons eu des discussions avec des industriels mais nous tenions à notre indépendance et à déployer nous-même notre usine. S’allier trop tôt avec un industriel aurait pu brider notre développement.

Vous avez obtenu un financement européen de 20 millions d’euros. À quoi va-t-il servir ?

Afyren a levé 60 millions d'euros en mars pour lancer le projet d'industrialisation de sa technologie, attendue pour le second semestre 2021 — Photo : Afyren SAS

N.S. : Cette aide résulte d’un appel à projet européen. Pour postuler, il fallait bâtir un consortium d’entreprises pour construire une chaîne de valeur destinée à la construction de cette unité industrielle. Nous avons été très fiers de gagner cet appel à projet, parfois devant de grands groupes. Au-delà de la subvention, nous avons fédéré dix sociétés leaders sur leurs marchés autour de notre projet, nous permettant d’avoir une forte crédibilité et une reconnaissance du marché. La construction de son image est impérative lorsque l’on devient un industriel.

Cette usine est le point de départ d’une stratégie industrielle plus large ?

N.S. : Au-delà de cette première unité française, nous réfléchissons à de futures implantations dans le monde à court terme, notamment aux États-Unis et en Asie. Pas à pas, nous bâtissons un acteur industriel de premier plan au service de ses clients. Cela se fera par étapes et suppose de nouveaux financements. On imagine une deuxième usine dans les trois ans qui viennent.

Que vous a apporté votre sélection dans le programme gouvernemental French Tech 120 ?

N.S. : C'est d'abord une fierté d'être reconnu comme l'une des 120 start-up françaises les plus prometteuses. Ensuite, cela nous apporte de la notoriété et de la crédibilité. Le programme nous permet aussi d’avoir facilement aux services de l’État et d’accélérer certaines demandes réglementaires.

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