Pays de la Loire
Vols, effractions, agressions : les entreprises cherchent la parade face à la montée de l'insécurité
Enquête Pays de la Loire # Industrie # Attractivité

Vols, effractions, agressions : les entreprises cherchent la parade face à la montée de l'insécurité

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Face aux vols et aux effractions, un sentiment d’insécurité imprègne des entreprises régionales. Qu’elles soient situées dans des villages en Vendée ou au cœur de la métropole nantaise, TPE et PME sont affectées par des actes délictueux. Individuellement et collectivement, elles échafaudent des stratégies pour contrer un phénomène qui prend de l’ampleur.

Au cours des trois dernières années, 54 % des entreprises ayant répondu au questionnaire de l’association Grand Nantes Entreprises ont été victimes d’un vol — Photo : Andrey Popov

Les chiffres sont édifiants : au cours des trois dernières années, 54 % des dirigeants de Nantes et de sa métropole auraient été victimes d’un vol. Et, depuis cinq ans, plus des deux tiers des entreprises de la région nantaise auraient été confrontées à des actes délictueux, du cambriolage à l’agression verbale en passant par le dépôt sauvage de déchets. C’est du moins ce que révèle une enquête menée par la fédération d’associations Grand Nantes Entreprises. Sur les 1 550 sociétés nantaises membres, 323 ont répondu à l’étude menée en octobre 2020 sur laquelle l’association a conservé la discrétion jusqu’à cet été. Ces données sont toujours d’actualité, estime Hugues Malhère, qui préside cette fédération.

Regroupant 19 associations d’entreprises locales (comme Saint-Sébastien Entreprises, le parc d’activités Armor ou Nantes Est Entreprises), Grand Nantes Entreprises a été créée il y a cinq ans pour répondre à cette problématique d’insécurité. "Notre genèse, c’est la liberté d’entreprendre sereinement et en toute sécurité", remarque Hugues Malhère, par ailleurs dirigeant de la société Ad’hoc Média.

L’insécurité touche autant les TPE que les PME, qu’elles soient situées en secteur rural comme urbain. Le témoignage du directeur de l’entreprise de travaux publics Blanloeil à Clisson (Loire-Atlantique) et président du club Alliance dans le Vignoble - 68 entreprises adhérentes sur 34 communes au sud de Nantes pour 4 300 salariés - est à cet égard révélateur : "Sur notre territoire, ce qui est malheureusement récurrent, c’est le vol de carburant, et cela dure depuis des années. Mon entreprise en a d’ailleurs été victime", constate Patrick Le Jallé.

Autre illustration, celle de cette petite une petite métallerie vendéenne qui préfère rester discrète sur son nom car étant toujours victime de délits : "Sur les chantiers que nous effectuons à Nantes, nous nous faisons vider au minimum un camion par an, quand ce ne sont pas trois les mauvaises années, témoigne l’épouse du dirigeant. Désormais, nous apportons tout ce que nous posons dans la journée pour ne rien laisser sur place". Plus surprenant, "sur notre propre site, nous nous sommes fait dérober un escalier complet. Il fallait s’y connaître pour venir le voler." En Vendée toujours, au cours des 18 derniers mois, une douzaine d’infractions (visites et cambriolages) ont été recensées par des entreprises de la zone du Bois Imbert à la Ferrière, une commune de 5 000 habitants située à quelques kilomètres au nord-ouest de la Roche-sur-Yon.

Nul n’est donc à l’abri, même si certains secteurs sont plus exposés. "Ce sont les zones où il y a plus particulièrement des occupations illégales de terrain de la part des gens du voyage et de Roms ainsi que le centre-ville de Nantes avec les squats devant les commerces qui sont impactés", estime Hugues Malhère.

"Davantage de vols pendant le premier confinement"

L’insécurité et le sentiment qui l’accompagne sont une préoccupation qui a pris une épaisseur particulière ces derniers mois, comme le remarque Nelly Barreau, présidente de l’association du parc d’activités Brais Pédras Entreprises à Saint-Nazaire (250 entreprises pour 3 500 emplois) : "Les cambriolages et le vandalisme sont un vrai problème auquel nous devons faire face. Lors du premier confinement, les entreprises étant fermées, nous avons connu davantage de vols."

Un constat à rebours des données sur la délinquance dans le département qui rend délicate toute interprétation sur le sentiment d’insécurité. En 2020, le préfet de l’époque Didier Martin avait constaté "une baisse significative des actes délictueux en Loire-Atlantique, en lien avec le contexte exceptionnel de crise sanitaire". Tous les indicateurs (vols, agressions…) étaient en baisse, les confinements et couvre-feux contraignant à rester chez soi. Toutefois, le procureur d’alors remarquait que "les cambriolages restaient un problème majeur", rappelant que les chiffres de 2020 étaient à relativiser. Pour ne prendre en compte que les cambriolages, la Loire-Atlantique était d’ailleurs en 2019 sur le podium des départements où ils étaient les plus nombreux.

Ne plus pouvoir louer ou vendre son foncier

Au-delà des pertes matérielles et financières, les vols et autres infractions ont des conséquences plus indirectes pour les entreprises victimes. "Lorsqu’il y a une occupation illégale d’un bâtiment, un site squatté ou un terrain occupé par des caravanes, subvient un préjudice en termes d’image, constate Hugues Malhère. Je connais des propriétaires fonciers qui ne peuvent plus louer ou vendre leur bien pour y développer une activité à cause de caravanes installées. D’autant plus qu’il y a parfois des dégradations constatées après leur passage, comme des bris de vitre ou des vols de matériaux".

Hugues Malhère, président de Grand Nantes Entreprises : "Quelqu’un qui vient travailler tous les jours à un endroit où il y a de l’insécurité, cela se ressent sur son travail." — Photo : BAST

Le président de Grand Nantes Entreprises se désole également "du stress du client qui préfère se rendre dans un endroit plus sûr". Surtout, Hugues Malhère ne peut que déplorer "l’absentéisme de nos salariés. Quelqu’un qui vient travailler tous les jours à un endroit où il y a de l’insécurité, cela se ressent sur son travail. Une entreprise d’informatique qui, à force d’absences prolongées liées au stress suite à la présence de caravanes qui squattaient le parking, s’est même placée, en 2017, en liquidation judiciaire".

Alarme et caméra

Une sensation d’impuissance face à ces constats se traduit dans l’enquête menée par la fédération d’entreprises de la métropole nantaise : 80 % des sondés ne portent rarement ou jamais plainte (35 % nourrissent un sentiment d’impunité pour les contrevenants, 23 % ne font pas confiance aux forces de l’ordre pour résoudre l’enquête). Mais impuissance ne veut pas dire demeurer passif.

Face à des dégradations, des propriétaires de foncier ne peuvent vendre ou louer leur bien — Photo : Marc Meinau

Car cette même étude de Grand Nantes Entreprises révèle que deux tiers des sondés sont équipés d’une alarme, trois quarts de caméras de surveillance. À La Ferrière, selon Eric Rivoal, co-président de l’association locale Facil’Ensemble (qui réunit 85 entreprises employant 700 salariés), "les sociétés victimes de vol ont investi ces derniers mois un budget conséquent dans la sécurisation de leurs locaux avec alarme et vidéosurveillance". Reste que ce type de parade n’est pas la panacée. "Dans mon entreprise du vignoble nantais, Blanloeil, expose Patrick Le Jallé, ceux qui ont volé du carburant sont entrés dans le dépôt avec des combinaisons, il était impossible de les reconnaître avec la vidéosurveillance." Du côté de métallerie vendéenne, on constate même "que les caméras sont détruites à barre de fer, elles servent tout juste à dissuader tes propres salariés ou les gens de passage." Et de rappeler que les caméras des entreprises ne peuvent légalement filmer sur la voie publique.

"À Nantes, seulement 9 caméras de vidéoprotection de la Métropole sont installées sur des zones d’activités, 4 à Nantes Est Entreprises, 5 à Euronantes près de la gare", regrette Hugues Malhère. L’explication à ce faible nombre est à chercher du côté des coûts. Le coprésident de l’association de la Ferrière Eric Rivoal se souvient avoir évoqué le sujet avec les élus : "Nous avons rencontré La Roche-sur-Yon Agglomération, mais on se heurte à la fois à des problèmes de protection des données personnelles et surtout au fait que mettre une zone sous vidéosurveillance impliquerait de faire de même pour les 56 autres zones économiques de l’agglomération."

Des alternatives collectives existent, telles les conventions locales de sécurité mises en place à Nantes et bientôt à Couëron et Saint-Herblain. Le principe : police nationale et municipale, gendarmerie, collectivités et entreprises œuvrent de concert. Ainsi, ces dernières remontent les informations en cas d’incivilités. Les forces de l’ordre s’engagent de leur côté à être plus présentes. Et les collectivités participent avec leurs outils à sécuriser les zones : éclairage public dans des espaces sombres, aménagement paysager empêchant par exemple l’installation de caravanes… Pour amorcer la création de conventions, "il faut que la demande émane des entreprises", note Hugues Malhère. Et certaines adoptent d’autres options pour se protéger. Dont le gardiennage privé, objet de débats.

Les pour et les contre de l’appel au gardiennage privé

"Je reste persuadé que c’est une bonne solution, estime l’entrepreneur du vignoble nantais Patrick Le Jallé, même si, lorsqu’un rondier passe, il y a des entreprises d’une zone qui ne paient pas ce service et profitent malgré tout de sa présence. Mais je pense que si plusieurs entreprises s’associent pour en supporter les frais, financièrement, ça passe." Ce que confirme Nelly Barreau de Braie Pédras Entreprises à Saint-Nazaire : "Le service de gardiennage a été mutualisé entre entreprises pour des rondes sur des périodes définies dans l’année, comme à Noël et l’été. Tout est pris en charge par l’association. Cela fait quelques années que ce système est en place et nous le reconduisons tous les ans." "Une petite entreprise ne peut subir seule cette charge, abonde Eric Rivoal à La Ferrière. Nous pensons, après avoir rencontré les élus et la gendarmerie qui se disent impuissants sur le sujet de l’insécurité, mutualiser ce coût du gardiennage, entre plusieurs d’entre nous."

Le système des rondes a ses thuriféraires comme ses contempteurs — Photo : Firenight 

"Ce n’est pas aux entreprises d’assumer cette charge, rétorque Hugues Malhère. C’est à l’État et aux collectivités de prendre à bras-le-corps ce sujet. Cet appel au privé est un manquement de leur part". Selon l’étude de son association Grand Nantes Entreprises, 15 % des entreprises de la métropole nantaise souscrivent à une offre de protection collective type rondier et 23,5 % souhaitent étudier le sujet.

"La notion de sécurité est importante, mais quand il s’agit de payer, les entreprises sont un peu réticentes, remarque pour sa part Cédric Périer, président exécutif du groupe nazairien Seris France, le premier acteur français indépendant sur le marché de la sécurité (43 000 salariés, 650 millions d’euros de chiffre d’affaires). Elles voient la notion comme un coût et non comme un service. Mais si une activité, à cause d’incivilités, est arrêtée pendant quelques jours, ce coût se chiffre vite." Autrement dit, "la sécurité s’amortit rapidement", dit-il. Le site de l’association Nant’est Entreprises fait état des tarifs mensuels 2020 pour un passage la nuit d’un rondier pour contrôler la zone : pour les sociétés de 1 à 3 collaborateurs 39 €, de 4 à 15 salariés 59 €, de 16 à 20 159 € et pour celles de plus de 20, 229 €.

"La notion de sécurité est importante, mais quand il s’agit de payer, les entreprises sont un peu réticentes, constate Cédric Périer, président exécutif de Seris France — Photo : Robert Kneschke 

Le débat des pour et contre le gardiennage, loin d’être tranché, renvoie à toutes les parades existantes pour contrer l’insécurité. "La première chose à faire, résume le spécialiste de la sécurité Cédric Périer, est de réaliser un audit pour proposer les solutions les plus adaptées. Cela peut prendre d’un à trois jours, mais au bout nous dressons une liste exhaustive des grands enjeux, établissons la manière d’y répondre. Il existe beaucoup d’outils en fonction de la situation et des souhaits du client."

Grand Nantes Entreprises a dressé une liste non exhaustive de ses priorités comme augmenter la présence policière et les caméras, contrôler les implantations des gens du voyage, fermer l’accès à certaines zones la nuit ou encore créer des labels ou groupes "entreprises vigilantes" pour encourager la solidarité sécuritaire des zones. Autant de préconisations qui résonnent comme des vœux pieux, mettant en relief qu’au même titre que les débats enflammés sur l’insécurité dans la société, le monde de l’entreprise n’est pas encore parvenu à trouver le remède efficace.

Un dispositif pour les commerçants du centre de Nantes

Prévenir tout en étant informé dans les plus brefs délais. Telle est l’essence du dispositif "alerte commerce 44" destiné aux commerçants et professionnels de la logistique urbaine du centre de Nantes. Fin juin, le protocole l’établissant tout comme l’encadrant était signé à la CCI. Initié par la Chambre de commerce Nantes - Saint-Nazaire associée dans ce projet à la préfecture de Loire-Atlantique et la Ville de Nantes, cet outil est opérationnel depuis la rentrée de septembre.

Son principe est simple : en cas de délit constaté (vol, escroquerie par un faux moyen de paiement, agression…), les professionnels sont alertés très rapidement par le biais d’un SMS, formant ainsi en quelque sorte un réseau de vigilance. En pratique et en détail, un commerçant victime d’un délit ou d’une tentative de délit contacte les policiers en composant le 17. Le centre d’opération de la police nationale se charge de diffuser aux professionnels adhérents au dispositif un SMS sous le titre "alerte commerces 44 ", lequel décrit brièvement les faits et les renseignements sur le ou les auteurs. Les commerçants inscrits reçoivent ensuite l’alerte sur leur téléphone en guise de prévention. Ce dispositif s’accompagne d’autocollants dissuasifs (on peut y lire "attention magasin surveillé, alerte commerces 44") à apposer sur les devantures des boutiques.

Les commerçants nantais seront alertés par SMS d’infractions commises dans le centre — Photo : Cyril Raineau

Plus de 1 100 commerçants et 550 bars et restaurants du centre de Nantes sont concernés par "alerte commerce 44".

"Il s’agit d’un outil opérationnel et concret au service de la sécurité des commerçants", résume Pascal Bolot, adjoint à la mairie de Nantes délégué à la sécurité. Pour Yann Trichard, président de la CCI Nantes – Saint-Nazaire, il est "une réponse adaptée et collective pour nos commerçants et l’attractivité du centre-ville."

Son coût pour les professionnels est entièrement gratuit, étant pris en charge par la CCI. S’il s’avère efficace, il sera déployé ultérieurement dans d’autres territoires de Loire-Atlantique.

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