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Stalaven : l'union avec Euralis menacée
Enquête Vendée # Agroalimentaire # Social

Stalaven : l'union avec Euralis menacée

Malgré des investissements industriels importants, les résultats commerciaux ne sont pas au rendez-vous pour Stalaven. Lors de son rachat en 2009, le groupe Euralis présentait pourtant le traiteur costarmoricain comme le pilier de son pôle alimentaire. Dix ans plus tard, la coopérative du Sud-Ouest travaille sur une réorganisation juridique et sociale de ses filiales, qui pourrait remettre en cause son mariage avec Stalaven.

Le site d'Yffiniac, dans les Côtes-d'Armor, est le berceau du groupe Stalaven, fleuron de l'agroalimentaire breton racheté par la coopérative Euralis en 2009 — Photo : Julien Uguet / Journal des entreprises

Des vents contraires soufflent-ils sur Stalaven ? Détenu depuis dix ans par Euralis, le traiteur costarmoricain ne parvient pas à atteindre les ambitions affichées par son propriétaire, lors du rachat à la famille Meuriot en 2009. D’une volonté de créer un acteur majeur du secteur agroalimentaire, le géant coopératif agricole de Lescar (Pyrénées-Atlantiques) est aujourd’hui réduit à gérer une succession de crises, de départs et de réorganisations. De quoi lui faire douter de la poursuite de son mariage ambitieux avec Stalaven ?

En 2010, nommé directeur général d’Euralis, Pierre Couderc estimait pourtant que l’union des marques Rougié, Montfort et Jean Stalaven présentait des leviers solides de croissance. « Nous doublerons le chiffre d’affaires de nos activités agroalimentaires en dépassant le milliard d’euros d’ici à 2020 », annonçait alors le transfuge de Danone.

Un management « décapité »

Pierre Couderc n’aura pas eu le temps de réussir son pari. Officiellement, il a quitté ses fonctions en avril 2019 pour mener un projet personnel. Officieusement, il paye les mauvais résultats de la diversification vers l’agroalimentaire d’un groupe historiquement spécialisé dans les semences et la production de canards pour foie gras.

Outre le directeur général d’Euralis, c’est une grande partie du management du Pôle Alimentaire, rebaptisé récemment Les Ateliers Culinaires, qui a été « décapitée » en quelques mois. Responsable de la business unit Jean Stalaven, Lionel Reboul a quitté l’entreprise en février 2019. Début mai, Boris Bourdin, nommé directeur général des Ateliers dix-huit mois plus tôt, est à son tour remercié. Là encore, l’intéressé, remplacé par Frédéric Duverger, ex-patron de Délifrance et Grands Moulins de Paris, paye des résultats décevants, marqués par des rachats mal appréhendés, comme celui du salaisonnier Teyssier en 2018.

Un endettement colossal

Dix ans après sa création, le chiffre d’affaires des Ateliers Culinaires d’Euralis stagne à 460 M€ (41 % du CA du groupe) pour 2 200 salariés. Lors de la reprise de Stalaven, l’union avec Rougié et Montfort totalisait pourtant, sur le papier, 525 M€ de CA cumulé pour 2 600 salariés.

Au-delà, la décennie 2009-2019 aura été marquée par la création d’un endettement colossal. Fin 2018, il dépassait 180 M€, soit 90 % de la dette du groupe. Ce contexte a contraint la coopérative à engager, en dix ans, pas moins de trois plans de sauvegarde de l’emploi et à fermer plusieurs usines (Saint-Agathon, Brive, Dunkerque, etc.).

Une production désorganisée

Lancé en début d’année 2018, le troisième PSE affichait une volonté de renforcer le navire amiral d’Yffiniac via un investissement dépassant 5 M€. « Nous avons décidé de diminuer de 24 000 tonnes à 12 000 tonnes notre activité de fabrication de salades marques distributeur non-rentables, précisait Boris Bourdin. Cette baisse sera compensée par les 2 500 tonnes de plats cuisinés rapatriées de Dunkerque et la montée en puissance des marchés historiques des charcutiers-traiteurs. »

« Le recours à des consultants et le renouvellement de l’encadrement n’offrent aucun historique d’entreprise et de compréhension des marchés. »

Ambitieuse, cette stratégie premium peine à porter ses fruits. « Le recours à pléthore de consultants et le renouvellement à une fréquence impressionnante de l’encadrement n’offrent aucun historique d’entreprise et de compréhension des marchés, déplore un ex-cadre du groupe. La conséquence est, entre autres, des problèmes sanitaires, des ruptures de produits, et donc des pertes de chiffre d’affaires et de clients. »

Longtemps loué pour son potentiel d’innovation, Stalaven a également perdu du terrain sur ses concurrents. Présenté, par exemple, comme un relais de croissance rapide, le projet Maestro, qui vise à la production de sauces traiteur grâce à une technologie unique, reste loin des 5 M€ annoncés au lancement.

Des filiales remises à plat

Logiquement, le PSE en cours a ouvert une réflexion sur l’organisation des filiales du Pôle Alimentaire. Baptisé Mutatis, le projet, désormais porté en première ligne par le président d’Euralis Christian Pèes, prévoit « une réorganisation des unités industrielles dans le cadre d’une complémentarité économique et sociale ». Cette réflexion semble désormais avoir été étendue au rapatriement des actifs industriels au sein de chaque business unit pour créer des ensembles homogènes et complets.

Les activités « traiteur », réunies sous la société « Jean Stalaven », regrouperont, d’ici à fin 2019, les unités d’Yffiniac, de Saint-Agrève (ex-Teyssier, en Ardèche), Perpezac-le-Noir (ex-Boutot, en Corrèze), Thiais (ex-Proxy, dans le Val-de-Marne) et la plate-forme des Essarts en Vendée. Les activités « grande distribution », via les marques Qualité Traiteur et Montfort, incluront les usines de Maubourguet (Hautes-Pyrénées) et Lescar quand les activités « Rougié », les plus rentables, regrouperont les sites des Herbiers (Vendée), Sarlat (Dordogne) et Lescar.

Vers une vente d’usines ?

« Avec une filialisation de ce type, une entreprise disposera d’une comptabilité analytique claire et limitera les risques entre les entités rentables et celles qui perdent de l’argent, explique un avocat d’affaires breton qui tient à rester anonyme. Cela ouvre des perspectives délicates pour les sociétés qui ne retrouveront pas le chemin de la croissance. En clair, cela peut permettre de se séparer, plus facilement, des activités déficitaires. »

« Le contexte économique ne favorise pas une reprise dans des conditions optimales »

Si l’option de la vente de Stalaven est réfutée catégoriquement par Christian Pèes, la coopérative pourrait être contrainte de la mettre en œuvre sous la pression des banques et des institutions parisiennes. En janvier 2019, en enlevant son nom du fronton de l’usine d’Yffiniac pour le remplacer par le patronyme du fondateur Jean Stalaven, beaucoup ont estimé qu’Euralis faisait un premier pas dans ce sens.

Un contexte économique difficile

Fantasme pour certains, bonne idée pour d’autres, la cession de l’un des fleurons historiques de l’agroalimentaire breton serait un séisme au niveau local, autant en termes d’impact sur l’emploi (600 salariés) que sur la chaîne des sous-traitants. Certains observateurs craignent même qu’une potentielle fermeture de l’usine d’Yffiniac ne fasse partie des issues fatales. « Le contexte économique ne favorise pas une reprise dans des conditions optimales, confirme un industriel breton. Je ne vois pas qui pourrait y aller, à part un concurrent comme Loste Grand Saloir, Fleury Michon ou LDC. À moins qu’un partenaire régional ne flaire le bon coup. Cooperl, par exemple, qui n’est pas présent dans le traiteur frais, s’ouvrirait la porte des 5 000 clients de proximité. »

Alors que Stalaven rencontrait déjà des difficultés au début des années 2000, son rapprochement avec d’autres acteurs régionaux de l’agroalimentaire avait été proposé à la famille Meuriot par les banques. Le groupe Le Graët avait notamment été approché, sans que cela ne se concrétise. C’est finalement la coopérative Euralis qui avait été choisie quelques années plus tard, au détriment du groupe Andros, comme partenaire de croissance. Avec le succès mesuré que l'on connaît aujourd’hui.

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