Plan de relance : « Pour toucher des aides, les entreprises vont devoir être extrêmement réactives »
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Frédéric Collignon directeur associé d’ABF Décisions Plan de relance : « Pour toucher des aides, les entreprises vont devoir être extrêmement réactives »

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Si le plan de relance vient d’ouvrir la plus grande chasse à la subvention de l’histoire, il n’y en aura pas forcément pour tout le monde. Pour qu’elles puissent prétendre à une aide publique, les entreprises doivent se mettre dès aujourd’hui en marche, explique Frédéric Collignon, qui dirige ABF Décisions, une société de conseil spécialisée dans les financements publics.

Pour répondre aux appels d'offres du plan de relance, « la difficulté pour les entreprises va être, dans un temps très court, d’arriver à identifier les bons dispositifs d’aide et de candidater », explique Frédéric Collignon, directeur associé d’ABF Décisions — Photo : Gaelle BC Photographe

Le Journal des Entreprises : En quoi le plan de relance de 100 milliards d’euros est-il historique ?

Frédéric Collignon : Depuis l’après-guerre, il n’y a jamais eu de plan de soutien aux entreprises aussi massif. C’est sans équivalent par rapport à la crise de 2008. À l’époque, le Grand Emprunt mobilisait 35 milliards d’euros. Cela avait permis de lancer le premier volet du PIA (Programme d’investissements d’avenir, NDLR), qui ciblait les projets innovants en vue de mettre en place les filières de demain. Mais le Grand Emprunt ne rayonnait pas sur l’ensemble de l’économie comme c’est le cas avec le plan de relance. Aujourd’hui, le plan soutient aussi bien la transition écologique que la compétitivité des entreprises ou la cohésion sociale.

« Ce plan marque un retour historique de l’État en matière d’aide aux entreprises. »

C’est unique ! D’autant plus qu’il s’inscrit dans un contexte de désengagement de l’État en matière d’aide publique. Depuis la loi de décentralisation de 2004, les conseils régionaux sont devenus les chefs de file en matière de développement économique. L’État garde une compétence sur des aides structurantes, comme les 6 milliards d’euros qu’il consacre au CIR (crédit d’impôt recherche, NDLR) ou comme les aides du PIA ou de l’Ademe. Mais, avant la crise sanitaire, lorsqu’une entreprise cherchait à avoir un coup de pouce pour soutenir un investissement, elle s’adressait le plus souvent au conseil régional. Ce plan marque donc un retour historique de l’État en matière d’aide aux entreprises.

Le jugez-vous adapté au besoin des entreprises ?

Frédéric Collignon : Je le trouve très adapté aux demandes des entreprises. Déjà, il acte une baisse des impôts de production, qui avait manqué en 2008. Il met aussi le doigt sur des sujets d’avenir comme la transition écologique. Par ailleurs, il vient soutenir les projets industriels qui étaient jusqu’alors les laissés-pour-compte du financement public. Avant le coronavirus, l’aide publique était avant tout fléchée vers la R & D et l’environnement. Très peu vers l’investissement productif. Le plan de relance remet l’industrie et la compétitivité de nos entreprises au centre de l’équation.

Est-il suffisant pour rompre l’attentisme ?

Frédéric Collignon : Entre les décalages de charges et le remboursement des PGE (prêts garantis par l’État, NDLR), la crise sanitaire a accru le niveau d’endettement des entreprises. La période post-Covid risque d’être très compliquée pour des questions d’endettement. Certains de nos clients nous disent clairement que, sans aide, ils ne pourront engager à court terme leurs projets d’investissement. Le plan de relance va avoir un effet de levier pour beaucoup d’entreprises.

L’activité d’ABF Décisions, une société qui aide les entreprises à décrocher des financements publics, doit donc être en pleine effervescence ?

Frédéric Collignon : Nous avons effectivement beaucoup d’activité. Il y a une très forte demande de la part des entreprises qui cherchent à obtenir des aides. À tel point que nous projetons de recruter une vingtaine de consultants d’ici à la fin de l’année. ABF Décision compte 45 salariés, à Tours, Nantes, Bordeaux et Paris.

Que conseillez-vous aux chefs d’entreprise qui souhaitent bénéficier des différents appels d’offres du plan de relance ?

Frédéric Collignon : D’être réactif ! La difficulté pour les entreprises va être, dans un temps très court, d’arriver à identifier les bons dispositifs d’aide et de candidater. Le mieux est de commencer par cartographier ses projets d’investissement, en les segmentant par thématiques – R & D, transition écologique, investissement productif – et par territoire. Car il est possible de jouer sur ces deux aspects. Il faut se mettre en veille et identifier les appels à projets et les cahiers de charges. Dès que l’appel à projets est lancé, il faut être extrêmement réactif et précis dans la candidature. Car le plan de relance est dans une logique de premier arrivé, premier servi. Si le gouvernement met 100 milliards d’euros sur la table en deux ans, toutes les entreprises ne vont pas pouvoir en bénéficier. Chez ABF Décisions, nous faisons ainsi beaucoup de pédagogie pour expliquer comment elles peuvent tirer profit des dispositifs du plan de relance et quels sont les freins à appréhender.

Quels sont ces freins ?

Frédéric Collignon : Il faut déjà prendre en compte la situation financière de l’entreprise et sa capacité à porter son projet. Une entreprise en difficulté financière avant la crise sera difficilement soutenue. En revanche, elle devra être en capacité de démontrer l’impact de la crise sanitaire sur son activité pour prétendre à certaines aides. Par ailleurs, pour les plus grandes entreprises, il faut raisonner à la bonne échelle car, selon les aides, les plafonds de l’intervention publique seront à appréhender au niveau des entités juridiques ou du groupe. Ces mêmes plafonds seront également à considérer au regard de la zone d’implantation de l’entreprise et de la nature du projet pour arbitrer au mieux entre les possibilités de soutiens.

« Ce sont des dossiers élitistes, des dispositifs nationaux avec une forte concurrence. Cela étant, il est tout à fait possible que les vannes s’ouvrent davantage sur les futurs appels à projets, à partir de l’année prochaine. »

Il faut enfin prendre en considération une troisième contrainte : il ne faut pas que le projet ait démarré - par exemple qu’un bon de commande ait été signé - avant d’effectuer une demande d’aide. Pour l’entreprise, c’est une petite gymnastique à bien intégrer. Parce que si elle n’est pas retenue dans un premier appel à projets, elle peut éventuellement s’inscrire à un autre – les appels à projets vont arriver par vagues. Mais attention donc à ne pas engager de dépenses avant de déposer la demande.

Quel délai a une entreprise pour candidater ?

Frédéric Collignon : Pour les quatre premiers appels à projets (automobile, aéronautique, territoires d’industrie et industries stratégiques, NDLR), les entreprises ont deux mois et demi pour déposer leur candidature. Il ne faut surtout pas attendre car un projet magnifique ne pourra pas être aidé si l’enveloppe prévue est déjà consommée. On nous annonce d’ores et déjà dans des territoires une consommation « théorique » de 50 % de l’assiette disponible pour certains d’entre eux.

Les appels à projets sont-ils sélectifs ?

Frédéric Collignon : Bercy a reçu 1 300 candidatures sur les appels à manifestation d’intérêt de l’automobile et de l’aéronautique. Ces entreprises étaient prêtes à investir 6 milliards d’euros pour une assiette d’aide globale de 300 millions d’euros. Aujourd’hui, une trentaine d’entreprises ont été sélectionnées. Ce sont des dossiers élitistes, des dispositifs nationaux avec une forte concurrence. Cela étant, il est tout à fait possible que les vannes s’ouvrent davantage sur les futurs appels à projets, à partir de l’année prochaine. Il y aura de belles opportunités à saisir pour les entreprises qui ne sont pas trop pressées dans leurs investissements.

Comment faire sortir du lot son projet ?

Frédéric Collignon : Il faut commencer par comprendre les attentes du financeur public. Cela veut dire bien lire l’appel à projets, bien regarder les annexes et comprendre le contexte dans lequel s’inscrit la demande. Au besoin, appeler les financeurs publics en charge de ces aides pour demander des éclaircissements. Il s’agit ensuite de faire ressortir les aspérités du projet qui correspondent aux attentes du financeur. Mieux vaut procéder comme cela que de foncer bille en tête. Car monter un dossier demande du temps.

On parle beaucoup du plan de relance mais ne devrait-on pas parler des plans de relance ?

Frédéric Collignon : Effectivement, le plan de relance va entraîner derrière lui un certain nombre d’acteurs du financement. Des aides, il va y en avoir beaucoup : les Régions, Bpifrance, l’Ademe, les Agences de l’eau, FranceAgriMer… Tout le monde se met dans une dynamique pour soutenir les projets d’investissement des entreprises.

« Les Régions vont accroître de 30 % leur participation dans les futurs contrats de plan État-Région »

Les collectivités locales jouent ainsi vraiment le jeu. Elles vont accroître de 30 % leur participation dans les futurs contrats de plan État-Région 2021-2027, en faisant passer leur dotation de 14 à 20 milliards d’euros. Les Régions ont aussi exprimé leur volonté d’amplifier leur gestion des fonds européens, qui sont en pleine période de reprogrammation, pour venir démultiplier les effets du plan national. À cela vont s’ajouter des plans de relance régionaux. Certaines Régions, comme la Nouvelle-Aquitaine, les Hauts-de-France, les Pays de la Loire ou l’Auvergne Rhône-Alpes, ont déjà annoncé leurs propres plans de relance.

Quels dispositifs à venir faut-il surveiller ?

Frédéric Collignon : Les quatre premiers appels à projets sont les plus emblématiques et seront très probablement relancés plusieurs fois sur la période des deux ans. Le plan de relance axe ses soutiens principalement sur les thématiques de la transition écologique, de la compétitivité des entreprises, de la souveraineté technologique, de la sécurisation des approvisionnements et de la relocalisation. Les aides fléchées vers l’économie circulaire sont également intéressantes. Pour les entreprises du secteur de la revalorisation, de la santé, de l’agroalimentaire, du spatial, des transports, il va y avoir de vraies opportunités. Il en sera de même pour la mer, ce qui tombe à pic car nous arrivions en fin de programmation des fonds européens pour le maritime et pour la pêche.

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