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Nouveau coup dur pour le projet d'usine de Létoile
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Nouveau coup dur pour le projet d'usine de Létoile

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Cela fait douze ans que Létoile souhaite construire une nouvelle usine. Le projet semblait enfin sur les rails. Mais le négociant girondin de produits métallurgiques n'a toujours pas de permis de construire.

Toujours pas de permis de construire pour Létoile. Le dirigeant de la PME, Jean Létoile, 76 ans, n’en peut plus. « Mais je ne peux pas abandonner le projet. En l’état, ce serait condamner l’entreprise. » — Photo : Cyrille Pitois

À Bruges, en Gironde, la PME de 40 salariés Létoile cherche à déménager depuis douze ans. Et vient encore d’essuyer un revers. Un dossier qui progresse à la vitesse de la tortue. L’animal, réputé pour sa lenteur, est d’ailleurs à l’origine d’une partie des obstacles au permis de construire.

« Cela nous coûte, au final, des millions d’euros. C’est dur pour le mental aussi. Mon fils et moi, nous avons encore la passion. Heureusement. » A 76 ans, Jean Létoile, le fondateur voilà 35 ans de ce négociant de produits métallurgiques, n’en peut plus. « Mais je ne peux pas abandonner le projet. En l’état, ce serait condamner l’entreprise. »

Une nouvelle fois, dans les derniers jours de février 2019, un rendez-vous avec les équipes de la métropole bordelaise s’est soldé par un pas en arrière. « La délivrance du permis de construire ne pourra être instruite, faute d’une desserte suffisante du site de la future entreprise », a tranché la collectivité. La puissance publique, en l’occurrence la Région Nouvelle-Aquitaine, a pourtant reconnu la qualité de ce projet labellisé « Usine du futur », en lui attribuant une subvention de plus de 300 000 euros. Projet innovant et pourtant immobilisé entre les plis des plans épinglés au mur du bureau de l’entrepreneur.

La galère de Létoile démarre en 2007

En 2007, Jean Létoile rencontre le maire de Bruges de l’époque, pour faire évoluer l’implantation et agrandir son bâtiment. L’élu a d’autres desseins pour le quartier : le site est proche du centre-ville et convoité pour développer des logements. « Vous avez un trésor qui intéressera un promoteur. Je faciliterai votre transfert à l’extérieur de la rocade bordelaise », fait alors valoir le maire.

L’entrepreneur entre donc en négociation avec un promoteur, qui conditionne la réalisation de l’achat du site à l’obtention d’un permis de construire pour des logements. Entre-temps, l’équipe municipale change, une association de riverains s’est constituée pour limiter l’urbanisation et le promoteur n’obtient pas le fameux sésame. Un recours devant la justice va figer la situation.

« Trois tortues ont été géolocalisées sur le terrain et sept sur la voie ferrée. Impossible d’installer mon entreprise, mais le préfet n’a pas jugé bon d’interdire les trains ! »

Et la suite de difficultés ne fait que commencer. Sur le site repéré pour transférer l’activité en périphérie de la commune, les choses se gâtent aussi. L’instruction des autorisations préalables à l’installation de l’entreprise révèle la présence de plusieurs espèces sensibles : tritons, visons, crapauds, et la fameuse cistude, une tortue rare.

« Trois tortues ont été géolocalisées sur le terrain et sept sur la voie ferrée. Impossible d’installer mon entreprise, mais le préfet n’a pas jugé bon d’interdire les trains ! », tempête encore Jean Létoile, en évoquant cet épisode.

Un projet de 10 millions d’euros

Pendant des années, les péripéties vont se succéder entre promoteurs, collectivités et Létoile. Fin 2018, le projet semblait bénéficier d’un meilleur alignement de planètes. Un nouveau terrain, proche de la déchetterie de Bruges, le long de la rocade, est même acquis par l’entreprise. Il comporte une petite zone humide, susceptible de régénérer la nappe phréatique. On exige donc de l’entreprise Létoile des mesures compensatoires. Ironie du sort : elle doit s’engager à aménager et entretenir pendant trente ans un terrain qui favorise le captage d’eau… les écologues choisissent le premier terrain, celui qui avait été refusé à Jean Létoile pour cause de tortues !

L’entrepreneur accepte ce clin d’œil et la mairie de Bruges encourage cette fois le transfert. « C’est un projet à 10 millions d’euros, dont 3 millions d’outillages. Les prêts de Bpifrance, la Caisse d’Épargne et la Société Générale sont acquis. »

« Entre les charges sur le terrain, dont nous sommes déjà propriétaires, et l’entretien du terrain compensatoire, cela coûte 8 000 euros par trimestre à l’entreprise. »

Nouvel achoppement, cette fois sur les voies d’accès au futur site. « La métropole n’a pas programmé dans son budget travaux de voiries l’aménagement de la rue André-Sarreau », fait savoir la collectivité. Et son acquisition n’est pas possible, puisqu’elle est traversée par des réseaux publics. « Je pensais obtenir le permis de construire fin mars. On en reprend pour une durée indéterminée, certainement plusieurs mois. Entre les charges sur le terrain, dont nous sommes déjà propriétaires, et l’entretien du terrain compensatoire, cela coûte 8 000 euros par trimestre à l’entreprise. Le crédit-bail sur 15 ans négocié avec les banques ne peut évidemment pas commencer à courir, tant que le permis de construire n’est pas accordé. »

Au-delà du changement de site, qui doit permettre aux salariés de travailler dans de meilleures conditions et au trafic routier lié à l’activité de ne plus perturber une zone devenue résidentielle, l’entrepreneur enrage de perdre beaucoup d’énergie et surtout de ne pas pouvoir développer un projet particulièrement innovant.

Des innovations en suspens

Le projet d’implantation future de la société Létoile doit abriter des innovations très concrètes pour toute la filière des métiers de la construction métallique et de la serrurerie.

« Aujourd’hui, on manipule des tonnes de ferraille à plat. On achète en aciérie et on revend presque sans transformation. La future usine, c’est un autre outil de travail pour les salariés. Aujourd’hui, nous avons des manutentionnaires, demain, il s’agira d’opérateurs. Ils seront équipés de ponts roulants avec de puissants électros aimants. Finies les chaînes et les sangles et tous les risques qui vont avec. Un déchargement se fera en dix minutes au lieu d’une heure. » Les capacités de stockage superposé permettront de percher sans risque des pièces de 30 tonnes à 10 mètres de hauteur.

Mais Jean Létoile et son fils attendent encore beaucoup plus de la prochaine usine. L’installation d’un outil de sciage et de perçage, comme il en existe seulement en Allemagne, va permettre de préparer les commandes des serruriers et autres charpentiers métalliers, qui sont ses clients. « On va faire un grand pas pour répondre aux besoins des monteurs sur le produit plat, la poutrelle ou le tube. Les perçages et les coupes droites ou en biais pourront être réalisés chez nous, d’après les cotes transmises en amont. Nos clients n’auront plus qu’à assurer la pose de la pièce quand elle arrive sur le chantier. »

Une proposition inédite « de Nantes à la frontière espagnole ! C’est ce qui nous a valu le label Usine du futur et nous fait envisager un doublement du chiffre d’affaires. L’effectif sera maintenu, malgré les gains de productivité. Nous prévoyons même de recruter. » Un bel avenir, dès que le permis de construire sera sorti de l’ornière.

Gironde # Métallurgie # Investissement # Politique économique