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ManikHeir relocalise une production disparue d’Europe depuis plus de vingt ans
Sarthe # Industrie # Investissement

ManikHeir relocalise une production disparue d’Europe depuis plus de vingt ans

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À Bessé-sur-Braye, en Sarthe, ManikHeir a relancé la production de gants en nitrile, qui avait quitté le sol européen il y a plusieurs décennies. Pas moins de 88 millions d’euros ont été investis dans un outil industriel par la société du groupe canadien Medicom. Il s’agit d’assurer la souveraineté de ce produit stratégique, dont on a éprouvé la nécessité lors de la crise sanitaire. ManikHeir prévoit d’en fabriquer un milliard par an à terme.

L’usine de ManikHeir est installée sur l’ancien site industriel d’Arjowiggins, à Bessé-sur-Braye — Photo : ManiKHeir

Gérald Heuliez en rêvait, et il l’a fait ! Le directeur général de ManikHeir souhaitait relocaliser en Europe, et qui plus est en France, la fabrication de gants en nitrile, utilisés dans le secteur médical, dentaire et dans l’industrie. Il y a plus de vingt ans que cette production avait quitté l’Europe. Depuis ce début d’année, l’usine ManikHeir, à Bessé-sur-Braye dans le sud de la Sarthe, prend peu à peu son rythme de croisière, pour atteindre l’objectif annoncé d’un milliard de gants fabriqués chaque année. Le site industriel, qui emploie 154 collaborateurs, a nécessité un investissement de 88 millions d’euros, soutenu pour 10 millions d’euros par l’État dans le cadre de France 2030 et pour 5 millions d’euros par la Région des Pays de la Loire.

Société sœur du fabricant de masques angevin Kolmi Hopen

À Bessé-sur-Braye, Gérald Heuliez reproduit ce qu’il a défendu bec et ongles à Saint-Barthélemy-d’Anjou (Maine-et-Loire), avec l’usine Kolmi Hopen, qu’il a dirigé pendant de nombreuses années : Fabriquer en France des produits stratégiques avec une notion qui lui est chère, la souveraineté. Pendant la crise du Covid-19, le fabricant de masques angevin a été montré en exemple. "Nous avons été mis en avant parce que nous avons été résilients sur cette question des masques, et capables de produire en quantité, confie Gérald Heuliez, mais nous avons souffert des prix très élevés de la matière première et de problèmes d’approvisionnement." Parallèlement à la fabrication des masques sur le sol français, le groupe canadien Medicom (1 400 personnes, 800 M€ de CA), dont Kolmi Hopen est une filiale, a lancé dès l’été 2020 une réflexion sur la fabrication des gants en nitrile. Jusqu’ici, les gants étaient achetés à 100 % en Asie du sud-est, et depuis plus de 20 ans. "Le groupe a décidé de relancer cette production et d’investir", ajoute le dirigeant.

Lauréat d’un appel d’offres national

Jusqu’à l’automne 2020, on étudie alors la faisabilité d’un tel projet, "avec l’hypothèse que le marché achètera ce produit souverain 25 % plus cher que celui qui provient d’Asie", ajoute Gérald Heuliez. Un produit dont le prix, multiplié par quatre à cinq, s’est envolé avec la crise sanitaire, même s’il est aujourd’hui redescendu. En mars 2021, le Resah, groupement d’intérêt public qui mutualise les achats des acteurs des secteurs sanitaire et médico-social publics et privés non lucratif, lance un appel d’offres pour l’achat de gants en nitrile. Deux mois plus tard, ManikHeir est choisi, pour une livraison des produits en mai 2024. " Nous avions déjà validé des fournisseurs de machines et de matière première ", raconte Gérald Heuliez. Les machines proviendront de Malaisie, et plusieurs dizaines de Malais viendront en Sarthe installer l’équipement.

50 % d’anciens d’Arjowiggins

L’appel d’offres obtenu, le défi demeure de taille, car c’est toute une filière qu’il faut réinventer. Un lieu est trouvé, à Bessé-sur-Braye, dans le sud de la Sarthe, sur l’ancien site de la papeterie d’Arjowiggins, placée en liquidation judiciaire fin mars 2019.

Directeur général de ManikHeir, Gérald Heuliez a réussi le pari de relocaliser en France la production de gants en nitrile — Photo : Yanne Boloh.

Tout en faisant l’ingénierie des futures lignes de production de septembre 2021 à mars 2022, une partie du site de la papeterie est déconstruite et une nouvelle usine est érigée. "S’implanter ici était la bonne décision, indique Gérald Heuliez. Plus de 50 % de notre effectif est composé d’anciens d’Arjowiggins, dont le travail n’était pas si éloigné du nôtre, avec des process de formulation et de chimie." L’installation des quatre lignes de production est lancée en décembre 2022 et s’achève à l’été 2023. Les tout premiers gants sortent des machines le 21 septembre.

Dans la partie production du site de 15 800 mètres carrés, une immense salle de 135 mètres de long et de 27 mètres de hauteur, le process est fortement automatisé, puisque les quatre lignes ne nécessiteront que la présence de 6 personnes.

Chaque ligne de production est équipée de 26 000 moules — Photo : ManiKHeir

Outre les fonctions support, l’usine accueille aussi un bureau d’études produit et un bureau d’études process, de même que des collaborateurs spécialisés dans la qualité et le contrôle.

Des arguments à défendre en France et à l’étranger

Actuellement, trois des quatre lignes de production de ManikHeir sont en fonctionnement, la dernière devant être lancée avant l’été. La capacité de l’usine est mobilisée jusqu’au mois de juin 2024 et il lui est aussi demandé de fabriquer 4 mois de stock stratégique. Il s’agit désormais de convaincre d’autres clients : " Nous avons maintenant des choses à défendre, soutient Gérald Heuliez. Depuis le début de l’année, nous allons à la rencontre de potentiels clients en Europe. Notre objectif est de lisser notre production pour avoir une continuité." Pour cela, ManikHeir travaille dans plusieurs directions : la santé et l’industrie, en ciblant prioritairement les pays du nord du continent, mais aussi l’Allemagne et la Suisse. L’usine produit en effet trois références de gants en nitrile : l’un, épais et long pour le travail en laboratoire, le second plus fin, destiné aux secteurs médical et dentaire mais aussi à l’agroalimentaire, et le troisième épais et court pour l’industrie lourde. Autant de marchés vers lesquels s’oriente l’entreprise sarthoise.

Anticiper les crises en Europe

Pour le marché des laboratoires, ManikHeir mise entre autres, là aussi, sur la souveraineté. Lancée en septembre 2021, l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire Hera travaille en effet à la préparation et l’anticipation d’une prochaine crise. Car au-delà du Covid, définitivement ancré dans les esprits, d’autres crises de moindre ampleur, quatre en 20 ans, grippes aviaires et SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), se sont succédé. Et une réflexion est aussi menée en Europe sur la production souveraine de certains médicaments. Or, pour les fabriquer comme pour anticiper une crise sanitaire, il faut des équipements de protection individuelle, dont des gants.

Sécuriser un volume de production

Le marché global européen des gants, tous secteurs confondus, s’élève à 100 milliards d’unités vendues par an. ManikHeir prévoit d’en fabriquer 1 milliard chaque année.

À terme ManikHeir, produira en Sarthe environ un milliard de gants en nitrile par an — Photo : ManiKHeir

Ce qui offre des possibilités à l’entreprise sarthoise : "Nos produits sont certes 25 % plus chers que ceux de nos concurrents asiatiques, reconnaît Gérald Heuliez, mais nous pouvons gagner des parts de marché. Ce qu’il nous faudrait, c’est d’une part sécuriser un volume de production par des appels d’offres, et d’autre part avoir une assurance sur d’autres marchés, comme l’agroalimentaire. Notre discours, c’est de leur dire : Prenez nos produits et en cas de crise sanitaire, vous aurez la certitude d’être livrés, et qui plus est au prix que nous aurons fixé avant." Ce qui garantit à ces industriels d’être à l’abri d’une flambée des tarifs et des difficultés d’approvisionnement, comme on a pu le voir lors du Covid-19.

Quand les lignes bougent

Autre argument avec lequel veut convaincre ManikHeir, celui de la RSE : " Les entreprises ont des obligations comptables et auront de plus en plus d’obligations environnementales, ajoute Gérald Heuliez. Au plus haut niveau des sociétés industrielles, on y est sensible, ce n’est pas encore tout à fait le cas au niveau des responsables des achats." À terme, l’entreprise sarthoise mise sur une répartition de sa production à 40 % pour le secteur médical, à 20 % pour le secteur dentaire et à 40 % pour l’industrie. Pour l’instant, Gérald Heuliez tient ferme son bâton de pèlerin et veut convaincre. " Sans la crise du Covid 19, tout cela était inenvisageable, et cela a fait bouger les lignes dans les politiques d’achat en France."

Trouver une alternative au nitrile

Actuellement, le conditionnement des produits fabriqués, qui seront commercialisés sous la marque Kolmi Hopen pour les hôpitaux et sous la marque Medicom pour le secteur dentaire et l’industrie, est réalisé à la main, mais le procédé sera automatisé dès cet été. La matière première provient d’un fournisseur européen qui dispose de deux usines, une en Italie et l’autre en Malaisie. " Nous qualifions actuellement une troisième usine en Corée du Sud, précise Gérald Heuliez. Nous travaillons aussi en R & D pour trouver des matières alternatives au nitrile, une matière de la famille du latex qui est un dérivé du pétrole." En Asie, la fabrication de ces gants utilise du chlore, ce que ne fait pas l’usine sarthoise, qui a remplacé son usage par un système de polymérisation.

60 millions d’euros de CA attendu

En juin prochain, avec les quatre lignes opérationnelles, la production de ManikHeir va s’accélérer. Il reste également des travaux à réaliser dans la partie logistique du site. À pleine capacité, l’usine, qui fonctionne en 5X8, fabriquera 24 000 gants à l’heure. Gérald Heuliez table sur un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros dans trois ou quatre ans.

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