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Levées de fonds en région Paca : la fin de l’abondance ?
Enquête Région Sud # Levée de fonds

Levées de fonds en région Paca : la fin de l’abondance ?

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Au cours des trois premiers trimestres 2023, les entreprises de région Paca ont levé 322 millions d’euros, un chiffre en augmentation de 23 % et à contre-courant de la tendance nationale. Si la tendance se révèle en effet positive pour nombre de PME régionales, elle l’est beaucoup moins pour les start-up, contraintes de revoir leur modèle après l’ère post-Covid de l’argent facile.

17 start-up du territoire Toulon Provence Méditerranée ont pu rencontrer 9 fonds et investisseurs locaux, français et internationaux lors de la journée "Invest in Toulon", organisée par TVT Innovation fin 2023. — Photo : Hélène Lascols

Il fut un temps, pas si lointain, où l’argent coulait encore à flots et où des entreprises se finançaient à coups de centaines de millions d’euros. Depuis la fin de l’année 2022, c’est la douche froide ! Les montants levés en France au cours des trois premiers trimestres de 2023 ont chuté de 41 %, avec (seulement) 6,8 milliards d’euros collectés. Toutefois, ce qui est vrai au national, ne l’est pas en local, puisqu’au même moment, les entreprises de région Paca ont enregistré une augmentation de 23 % des montants levés (322 M€), après avoir déjà enregistré, en 2022, une hausse de 80 %, avec 274,6 millions d’euros récoltés. Le nombre d’opérations menées (38) est lui aussi en croissance, de +19 %, selon le dernier baromètre In Extenso Innovation Croissance. En 9 mois, les entreprises régionales ont déjà dépassé le montant historique de 2022. Et Alexandre Flageul, président d’Ambition Capital, un réseau qui réunit 25 sociétés d’investissement de la région confirme : "nos acteurs régionaux du capital investissement ont enregistré une forte activité en 2022 avec 169 millions d’euros investis dans 52 opérations, qui se poursuit au premier semestre 2023, avec 24 investissements réalisés pour 65 millions d’euros."

Un marché du financement des PME dynamique

En y regardant de plus près, les trois plus importantes levées de fonds (TSE, Volta Medical, Égérie), bouclées depuis le début de 2023, cumulent un peu plus de 200 millions d’euros, dont 130 millions d’euros pour la seule entreprise sophipolitaine TSE (270 collaborateurs, CA : 30 M€), positionnée sur un secteur particulièrement porteur, l’énergie solaire, et dotée d’une vision à la fois industrielle et innovante. "Nous sommes un acteur assez différent au sein de notre secteur", précise Mathieu Debonnet, son président, qui a vécu cette levée de fonds comme "une reconnaissance de la stratégie, couplée à l’absolue nécessité pour la France d’accélérer sa transition énergétique."

Mathieu Debonnet est président de TSE — Photo : Gilles Miras

Sur la troisième marche du podium, l’éditeur toulonnais Égérie, qui est passé de 50 à 150 salariés en 2023 et vise les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2026. Là aussi, il s’agit d’une PME avec une ambition toute tracée. "Nous avions enclenché le processus plus d’un an en amont, soit avant le renversement de situation, en nouant des contacts avec de nombreux investisseurs. Nous évoluons par ailleurs sur un marché, celui de la cybersécurité, promis à un bel avenir, soutenu par des réglementations", confie son cofondateur Jean Larroumets.

Finalement, le modèle roi pour lever des fonds ne serait-il pas celui de la PME ? Elle a quelques années à son compteur, elle a des clients et quand elle se dirige vers des fonds d’investissement, c’est pour financer un plan de croissance, souvent prometteur. D’ailleurs, 67 % des entreprises financées au cours des trois premiers trimestres de 2023, ont plus de 8 ans, selon In Extenso Innovation Croissance. En outre, sur les 52 opérations enregistrées en 2022 par les membres de l’association Ambition Capital, près de 40, pour un montant global de plus de 160 millions d’euros, ont financé le développement ou la transmission de PME ou ETI régionales.

Ces entreprises constituent le cœur de cible de Sofipaca, la société de capital investissement du groupe Crédit Agricole en région Sud qui accompagne une quarantaine d’entreprises du territoire. Pour son directeur général, Alexandre Flageul, 2023 est tout simplement "la meilleure année jamais réalisée, avec une dizaine de deals conclus. D’un côté, les banques jouent le jeu et il existe un bon tissu d’opérateurs régionaux. De l’autre côté, les entrepreneurs ont changé leur regard sur nos métiers, notamment depuis la crise sanitaire. Même si on peut estimer qu’elles ne sont encore que 500 ou 700 en région à ouvrir leur capital (10 000 en France), de plus en plus de PME se tournent vers nous avec de vrais sujets de croissance et de transition à financer. Les dirigeants ont compris qu’avoir des fonds à leurs côtés était un avantage."

La fin de l’argent facile

À l’aune de ces chiffres et témoignages, les start-up ne seraient-elles pas en passe de se faire détrôner sur le podium des levées de fonds ? Peut-être bien… Et certaines y ont même laissé toutes leurs plumes. Même si la non-réalisation de la levée espérée n’explique pas tout, les azuréennes MyDataModels, Manureva Répit ou encore Onhys ont baissé le rideau au cours du dernier trimestre 2023, alors que l’aixoise Nawa Technologies, qui, figurait parmi les 125 entreprises françaises retenues pour participer au programme French Tech 2030, a été placée en redressement judiciaire.

"Il y a un an encore, les investisseurs investissaient à des valorisations incroyables, sans forcément trop regarder les métriques ou les capacités d’une entreprise à générer des revenus. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins à la mode, les investisseurs demandent aux entreprises de revenir aux fondamentaux", confirme Sylvain Theveniaud, directeur de l’Allianz Accelerator à Nice.

Ainsi, à l’échelle nationale, les start-up françaises ont levé 4,2 milliards d’euros au premier semestre 2023, soit près de moitié moins qu’au premier semestre 2022, selon un baromètre sur la performance économique et sociale des start-up, publié par l’association France Digitale et le cabinet EY. Pour la moitié, qui a réussi à lever des fonds, elles disent avoir eu des difficultés à convaincre leurs investisseurs et avoir envisagé des solutions alternatives, comme la dette bancaire ou l’autofinancement.

Alexandre Flageul, directeur général de Sofipaca et président du réseau Ambition Capital — Photo : Fred Bruneau photographe

En région Paca, les deals réalisés par des entreprises de moins de trois ans ont chuté de 50 % entre 2022 et 2023 selon le baromètre des levées de fonds d’In Extenso Innovation Croissance. Rapportant les propos de Pierre Joubert, directeur général de Région Sud Investissement, Alexandre Flageul souligne en effet que le marché des start-up s’est durci depuis juin 2022. "Baisse des liquidités des fonds d’investissement, baisse des grosses séries, baisse des valorisations. Tous les stades sont impactés, même l’amorçage." Pour Patrick Siri, président et fondateur de l’accélérateur marseillais P. Factory et business angel, "nous sommes désormais revenus à des volumes que nous connaissions avant la pandémie du Covid-19. Les fonds sont plus frileux et les levées prennent désormais beaucoup plus de temps. Par ailleurs, les business angels sont aujourd’hui contraints de réinvestir dans des entreprises dans lesquelles ils avaient déjà mis de l’argent, ce qui réduit d’autant la capacité d’investir dans d’autres structures."

Pour Betty Seroussi, coprésidente de la French tech Côte d’Azur et dirigeante de Travel Planet, tout comme Marie Nghiem, responsable du Village By Crédit Agricole Provence Côte d’Azur, c’est la fin de l’argent facile. "Il faut, à un moment, que la start-up ait un potentiel de croissance. Les critères des fonds se sont resserrés et on assiste au retour de l’entreprise rentable, qui vit de ses clients. La start-up n’est et ne doit pas être un produit financier."

Des start-up en quête de rentabilité

Dans ce contexte, les start-up adaptent leur stratégie. Ainsi, pour 90 % d’entre elles, la priorité est désormais d’accélérer leur développement pour atteindre leur rentabilité, selon le baromètre sur la performance économique et sociale des start-up. L’ancien président de la French Tech Toulon, Jean Larroumets, confirme : "certaines start-up arrivent encore à clôturer leur premier tour de financement, d’autres temporisent dans l’attente d’une inversion du marché. Elles restent en autofinancement, revoient leur projet pour stabiliser leur entreprise."

À l’image de la medtech toulonnaise, Tecmoled (6 personnes), qui a été créée en 2018 et a mis au point un dispositif médical non-invasif de mesure des paramètres vitaux. En attendant d’avoir les fonds nécessaires pour lancer un long processus d’homologation de son dispositif médical, elle a choisi de faire ses armes dans le BTP. "Notre produit, qui mesure les paramètres physiologiques en temps réel, intéresse en effet des marchés civils, plus faciles à développer", explique Mohamed Khalifa, son cofondateur. En créant un dispositif d’alarme pour travailleurs isolés, il cible le BTP, avec le soutien de ses banques. "Elles ont accepté de financer notre développement commercial pendant six mois avec l’objectif de dégager quelques centaines de milliers d’euros de chiffre d’affaires et ainsi concrétiser une première levée de fonds de 800 000 euros."

De gauche à droite : Victoria Lamour Chambon, directrice développement et stratégie, Maurice Kahn, directeur général et Gérard Leseur, président d’Indienov — Photo : Indienov

Une stratégie partagée par la start-up marseillaise Hippy (20 collaborateurs), à l’origine d’une ceinture airbag connectée (Indienov), qui prévient les fractures du col du fémur chez les personnes âgées. Cette dernière a levé un million d’euros en 2023 auprès d’industriels et de love money pour 500 000 euros, déclenchant 500 000 euros de prêts bancaires. Pour son cofondateur, Gérard Leseur, "la levée n’a pas été très difficile car nous avons sollicité des industriels, déjà intervenus dans l’entreprise. Toutefois, nous sentons que la recherche de fonds se tend." Avant de réaliser une série A, il sait qu’il devra générer du chiffre d’affaires pour prouver que l’activité se développe.

D’ailleurs, si Fabien Giausseran, le directeur général de Villa Blu by Robertet, l’accélérateur du leader mondial des produits naturels Robertet (2 200 collaborateurs, CA 2022 : 700 M€), confie ne pas ressentir de difficultés dans le financement des start-up, il souligne toutefois accompagner "des entreprises qui font du chiffre d’affaires, qui ont des produits physiques. Si, aujourd'hui, vous proposez comme produit un logiciel sur power point, c’est peut-être plus difficile de lever des fonds en ce moment qu’il y a trois ou quatre ans. Simplement, aujourd’hui, tous les modèles et toutes les stratégies d’investissement convergent soit, vers du produit durable, soit vers du produit industriel."

Subventions et prêts d'honneur cruciaux

Les start-up ont dès lors plus de mal à se financer les premières années et la "levée de fonds ne serait donc plus une fin en soi, selon Laurence Olivier, directrice de la structure d’accompagnement Marseille-Innovation. "Il y a dix ans, une start-up pouvait lever des fonds dès sa première année. Aujourd’hui, elle attend plus souvent de finir son cycle d’accompagnement, soit dans sa troisième ou quatrième année." Les subventions et prêts d’honneur sont cruciaux pour les plus jeunes entreprises, tout comme les 5 500 business angels actifs en France aussi, qui "sont chronologiquement les premiers investisseurs privés à entrer au capital des start-up. Ils interviennent à un moment clé où le produit ou le service de la start-up n’est pas encore validé par le marché. C’est donc la phase la plus risquée du financement", souligne l’association France Angels. Cette dernière se félicitait d’ailleurs en fin d’année 2023 du rapport du député Paul Midy recommandant un ensemble de "mesures pour soutenir l’investissement dans les start-up, PME innovantes et de croissance." Malgré ces mesures incitatives, Patrick Siri ne voit pas, pour le moment l’avenir sous de bons auspices : "en 2024, les levées de fonds devraient encore marquer un repli et prendre encore plus de temps. Quand un fonds va entrer au capital d’une société, il va apporter moins, ce qui va aussi poser problème pour la sortie des business angels et des premiers investisseurs d’une start-up, qui ont apporté les premiers financements dans la phase d’amorçage."

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