Nouvelle-Aquitaine
Le thermalisme se paie une cure de jouvence
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Santé # Stratégie

Le thermalisme se paie une cure de jouvence

S'abonner

La Nouvelle-Aquitaine, deuxième région thermale de France après l'Occitanie, se cherche un nouvel horizon. Perturbées par deux ans de fermetures administratives, les entreprises gérant ces stations continuent d'investir dans de nouveaux équipements. Portées par un cluster régional actif, elles trouvent leur voie pour innover et attirer de nouveaux publics.

La SEM (Société d'Economie Mixte) d'Evaux-les-Bains a investi 9 millions d'euros pour un vaste programme de rénovation, censé se terminer entre fin 2024 et début 2025 — Photo : Aqui'O'Thermes

Après une chute, on ne peut que se relever. L’adage sied particulièrement bien à la filière du thermalisme en Nouvelle-Aquitaine, la deuxième de France derrière l’Occitanie selon le cluster régional Aqui O Thermes qui fédère la majorité des stations. Représentant un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros, soit 16 % du chiffre d’affaires national, son maillage dense de 15 stations (5 dans les Landes, 4 dans les Pyrénées-Atlantiques, 3 en Charente-Maritime, une en Creuse, dans la Vienne et le Lot-et-Garonne) a accueilli en 2022 114 027 curistes, rattrapant peu à peu les 150 000 de 2019. Représentant 15 000 emplois directs chahutés par deux années de fermetures administratives ayant entraîné des pertes estimées à plus de 200 millions d’euros au niveau national, elle tente de regagner son public. "La reconquête apparaît plus aisée pour les stations de moins de 3 000 curistes", souligne Arnaud Laborde, président du cluster Aqui O Thermes et directeur des thermes landais de Saubusse (2,5 M€ de CA en 2022). "Nous devrions arriver à 2 500 curistes en 2023, notre clientèle est essentiellement locale, raison pour laquelle nous l’avons rattrapée assez vite depuis le Covid", précise le directeur.

Investir pour relancer

La redynamisation du secteur se poursuit via des investissements importants pour regagner cette clientèle perdue et moderniser des équipements tout en respectant la règle du "zéro bactérie". L’Oréal a ainsi déboursé plusieurs dizaines de millions d’euros pour rénover entièrement le centre thermal de La Roche-Posay (Vienne) en 2022, le groupe France Thermes investit au moins 25 millions d’euros pour une rénovation prévue au printemps prochain.

Les thermes d’Évaux-les-Bains (3 M€ de CA annuel, 70 ETP en saison, 3 000 curistes), eux, démarrent en novembre la deuxième étape d’un vaste plan à 9 millions d’euros (dont 5 millions de subventions) pour redonner un coup de jeune à l’hôtel de 55 chambres et au restaurant de 150 couverts. L’établissement creusois, le seul à être géré en SEM, doit encore procéder à une extension de son "centre de bien-être" comprenant un spa et une piscine extérieure. Ayant investi pour réutiliser le pouvoir calorifique de ses eaux pour chauffer les thermes, la piscine intercommunale et une résidence de tourisme proche, l’établissement a également été le théâtre des fouilles archéologiques, qui ont mis au jour les vestiges de thermes antiques dont une partie servira à remettre en place une piscine extérieure, prévue pour juin 2024.

La SEM (Société d'Economie Mixte) d'Evaux-les-Bains a investi 9 millions d'euros pour un vaste programme de rénovation, censé se terminer entre fin 2024 et début 2025 — Photo : Aqui'O'Thermes

À plus grande échelle, la Chaîne Thermale du Soleil (81,7 M€ d'euros de CA en 2021, siège à Paris), qui réunit près de 40 000 curistes dans ses quatre établissements de Nouvelle-Aquitaine - Préchac-les-Bains (Landes), Cambon-les-Bains (Pyrénées-Atlantiques), Eugénie-les-Bains (Landes) et Jonzac (Charente-Maritime) - axe depuis deux ans une bonne partie de ses investissements, soit plusieurs dizaines de millions d’euros à chaque intersaison, "dans la rénovation et la modernisation de notre performance énergétique", souligne Jean-Marie Cousin, directeur des opérations. "Le site d'Eugénie-les-Bains a inauguré cette saison deux nouveaux bassins de soins pour plus d’un million d’euros. Celui de Cambon-les-Bains va refaire l’ensemble de son pôle d’accueil et une partie de ses appartements. Celui de Préchac-les-Bains relooke ses hébergements, améliore ses soins voies respiratoires et son accueil", détaille le responsable. Le site de Jonzac n’est pas en reste. En 2024, la station va débourser plus d’1,5 millions d’euros pour développer de nouveaux équipements et moderniser sa résidence de 40 logements. Elle devrait aussi bénéficier prochainement d’un nouveau forage à 5 millions d’euros, dont les démarches administratives pour son exploitation sont toujours en cours.

Temps de rebond

En dehors de ces initiatives individuelles, la région Nouvelle-Aquitaine, elle, compte bien mettre en avant ses multiples atouts pour jouer collectif. L’un des plus évidents est sans doute son cluster, Aqui O Thermes une association fondée en 2009 qui fédère 12 des 15 stations de la région, et qui est basée à Dax, dans les Landes, un département qui s'avère être la première destination thermale de France avec 75 779 curistes en 2019. "Nous avons utilisé ces deux ans comme un temps de rebond. Nous avons travaillé avec le Comité régional du tourisme pour créer cette image de destination thermale régionale auprès du grand public", explique Laurence Delpy, directrice générale d’Aqui O Thermes.

Le cluster régional Aqui O Thermes fédère 12 des 15 établissements thermaux de la région Nouvelle-Aquitain autour d'un plan régional renouvelé jusqu'en 2028 — Photo : Aqui'O'Thermes

Le résultat de cette réflexion, en collaboration avec le Conseil régional, est le vote d’un "plan thermal 2023-2028" en mars 2023, le thermalisme ayant été identifié dès 2017 comme l’une des neuf orientations stratégiques de son schéma de développement économique. Ce plan, qui s’inscrit dans ses feuilles de route santé, est doté d’une enveloppe de 7,5 millions d’euros. Parmi ses objectifs, on retrouve le souhait de conforter le maillage territorial et la complémentarité des stations, qui couvrent 11 des 12 orientations thérapeutiques reconnues par la Sécurité sociale.

Conquérir une clientèle de jeunes et d'actifs

Le cluster, lui, porte plusieurs projets, inspiré par les souhaits de l’ensemble des acteurs régionaux - 19 entreprises, 22 institutions, 7 organismes de formation et de recherche - pour tenter d’innover dans la gestion des établissements et le suivi thérapeutique des curistes. Sur le dernier exercice, il a investi 127 000 euros en R & D. L’un de ses apports importants se nomme Thermassist. Ce site internet, est un site internet, qui sera lancé en fin d'année sous forme d’application, héberge à la fois un logiciel de génération d’ordonnance thermale permettant la télétransmission, un référencement de plus de 10 000 activités touristiques et un focus sur l’offre de transports autour des thermes. Son objectif : conquérir une cible de clientèle rajeunie, en complément des cures traditionnelles, en majorité constituées d'une clientèle de retraités. Avec ce dispositif payant en abonnement annuel pour les établissements thermaux et médecins, "nous souhaitons avoir un impact concurrentiel immédiat. Dans un second temps, nous réfléchirons à l’étendre au niveau national", assure Julien Bazus, conseiller régional délégué au thermalisme. "C’est un logiciel évolutif. Nous prévoyons d’y ajouter la possibilité de payer des séjours en ligne. L’application sera aussi ouverte à la clientèle de passage pour valoriser les courts séjours", ajoute Thomas Ellin, responsable du cluster.

Thermalisme ludique

Ces courts séjours restent une cible importante : le cluster, associé à l’Université de Bordeaux, au laboratoire PharmacoEpi et à l’Inserm, a mené l’an dernier un premier essai clinique sur 40 soignants de l’hôpital de Dax - qui dispose d’une antenne thermale, la seule en France - sur les bienfaits d’un programme fractionné au bénéfice des actifs. "Il démontre une augmentation de la sensation de bien-être des bénéficiaires jusqu’à six mois après la fin de leur cure", affirme Laurence Delpy. L’étude, qui sera élargie en 2024 à d’autres hôpitaux de la région, a elle aussi vocation à dépasser ses propres frontières. De nombreux établissements tentent déjà des programmes alternatifs. La Chaîne thermale du Soleil, numéro un du secteur en France, met en avant ses "cures thermales libres" de 5 à 18 jours, pour séduire une clientèle plus mobile. "Nous avons mis en place depuis plusieurs années un modèle de cures spécial actifs, qui ouvre après 18 heures. Il est plutôt à destination des curistes locaux", assure Séverine Gauthier, directrice des thermes de Jonzac. Évaux-les-Bains propose aussi des semaines spécifiques sur certains types de soin, comme la phlébologie. Sur ses 3 000 curistes, 2 600 restent en cures conventionnées.

"Le thermalisme médical va rester prédominant, mais il n’empêche en rien de développer le thermalisme ludique", ajoute Arnaud Laborde. À Saubusse, récemment passé à la semaine de quatre jours, on propose un panel de soins vendus à la journée ou à la semaine, en dehors des cures thermales, et le thermalisme ludique représente 20 % du chiffre d’affaires. "D’ailleurs, les semaines ludiques se transforment souvent en cures conventionnées".

En Nouvelle-Aquitaine, le thermalisme représente plus de 114 000 curistes et un chiffre d'affaires direct de 130 millions d'euros — Photo : Sébastien Laval

Nouvelles pratiques

D’autres types d’innovations sont à l’étude, à différentes échelles : le programme Prévichute, dont les développements scientifiques et techniques se déroulent en Nouvelle-Aquitaine et en Auvergne-Rhône-Alpes, vise la création en 2024 d’une plateforme utilisant l’IA pour détecter précocement les risques de chutes, notamment en milieu thermal. À plus long terme, le consortium européen Aquapred a pour but de créer un système de contrôle et de prévention des contaminants dans les eaux minérales, là aussi grâce à l’IA. Ce projet européen, impliquant la France, l’Espagne et le Portugal, pourrait en théorie permettre d’éviter des fermetures administratives, comme celles que subissent depuis fin septembre les thermes d’Évaux-les-Bains pour détection de bactéries de type légionelle, anticipant une perte d’exploitation de 500 000 euros. Malgré ce contexte contrarié, l’établissement espère déjà développer dans les prochaines années "un pôle de santé intégrative" sur la friche industrielle de l’ancienne société Evaux Laboratoires (deux bâtiments de 400 et 200 m2), pour regrouper différentes activités comme le yoga ou la sophrologie, à destination de tous", souligne Bruno Papineau, maire de la commune.

L’innovation se fait aussi par les pratiques thermales : Jonzac, première station thermale de l’Ouest en nombre de curistes (15 000 en 2023) emploie 110 personnes et a ouvert en septembre un nouveau soin pour soulager le lymphœdème du bras, pathologie apparaissant en post-traitement du cancer du sein. "Ça fait partie des atouts dont nous pouvons nous servir pour espérer gagner de nouveaux curistes", termine sa directrice.

Coup d’accélérateur

Enfin, si l’ouverture d’un nouveau complexe thermal sur une source inexploitée est bien plus rare, la Nouvelle-Aquitaine devrait en accueillir un d’ici deux ans. Le groupe parisien Valvital (38,9 M€ de CA en 2022, 560 salariés) s’affaire à rénover, pour 18 à 20 millions d’euros, une ancienne caserne militaire pour la transformer en nouvelle station thermale à Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime) et mettre un premier pas dans la région. En juillet 2023, il a obtenu son agrément "rhumatologie", pathologie la plus soignée en France. "C’est un projet ressorti des cartons par Françoise Mesnard, maire de cette commune qui disposait d’une source non agréée découverte il y a 15 ans", raconte Bernard Riac, fondateur et PDG du groupe.

Un visuel prévisionnel du futur centre thermal de Valvital à Saint-Jean D'Angély (Charente-Maritime) — Photo : AIA Life Designers/Valvital

"Il contiendra un spa, une résidence de 50 logements, une grande piscine et un atrium avec jardin". Cette station vise 5 000 curistes, son "seuil de rentabilité", et cherche déjà à obtenir un second agrément phlébologie. Le premier coup de pioche est espéré au printemps 2025 pour une livraison finale l’année suivante.

Innovations pratiques, développements de nouveaux soins et vision collective sont autant d’éléments qui permettent à la filière thermale de Nouvelle-Aquitaine de se démarquer de la concurrence dans cette course au rebond. "Les entreprises ont profité de cette période noire pour essayer de se réinventer, d’innover et de travailler ensemble sur une vision d’avenir plutôt que de se morfondre", termine Laurence Delpy. "Et la période du Covid a été un accélérateur". Les efforts ont déjà donné leurs premiers effets : en 2022, la filière thermale de Nouvelle-Aquitaine représentait 26,08 % de parts de marché contre 24,8 % en 2018. Le cap est fixé.

Des efforts pour recruter

L’expertise de l’Institut du Thermalisme de Dax, seule structure universitaire en France délivrant des formations pour le secteur, a récemment franchi les frontières : ses responsables ont reçu fin octobre une délégation étrangère pour aider une entreprise chinoise souhaitant créer un établissement thermal dans la province du Yunnan. En rédigeant ses programmes thérapeutiques, l'institut aide aussi à la formation des médecins. Né en 2000 avec un premier diplôme de pratique des soins en hydrothérapie, l’établissement, rattaché à l’Université de Bordeaux et qui forme 120 à 150 étudiants par an, est un moyen concret de répondre à la pénurie de personnel médical dans les stations. "Le problème actuel porte sur la rééducation en milieu thermal, réservée aux kinés diplômés d’État. La France n’en forme pas suffisamment et ceux qui sont formés ont tendance à choisir une activité plus durable sur l’année", résume Christian François Roques Latrille, président de l’Institut. "Nous essayons d’identifier localement une profession intermédiaire pour venir épauler les kinés". L’Institut a aussi rapatrié à Dax le DIU (diplôme interuniversitaire) de pratique médicale en station thermale, qui prévoit de former une dizaine de médecins thermaux cette année. "La plupart des stations sont dans des bassins de population réduits où un médecin thermal pourra mettre son activité au service de la population pour diminuer la pression dans ces zones médicales sous dotées. Le modèle français attire car il est très structuré, y compris dans le suivi médical", conclut le porte-parole.

Nouvelle-Aquitaine # Santé # Stratégie