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Le champagne des Hauts-de-France sort de l'ombre
Enquête Aisne # Agriculture # Réseaux d'accompagnement

Le champagne des Hauts-de-France sort de l'ombre

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Beaucoup l'ignorent, mais 10 % du champagne AOC est produit dans les Hauts-de-France. Et plus particulièrement dans le sud de l'Aisne, qui concentre 3 400 hectares de vignes et plus de 800 vignerons. Si ce savoir-faire est longtemps resté discret, les acteurs de la filière se mobilisent désormais pour faire connaître et reconnaître le champagne des Hauts-de-France.

Dans l'Aisne, la Vallée de la Marne concentre 10 % de la production de champagne AOC, avec quelque 3 400 hectares de vignes et plus de 800 vignerons — Photo : GUILLARD Michel, collection CIVC

Si le Champagne est, par nature, un vin qui sait créer l’effervescence, il est pourtant discret dans les Hauts-de-France. Le fait est peu connu, mais du vin de champagne AOC (appellation d’origine contrôlée) est produit dans la région. Le sud de l’Aisne et plus particulièrement la Vallée de la Marne, du côté de Château-Thierry, concentre même 10 % de la production française de champagne AOC. Ce qui fait des Hauts-de-France la deuxième région productrice, juste derrière Grand Est avec ses départements de l’Aube, de la Marne et de la Haute-Marne. Vient ensuite l’Île-de-France, puisqu’en Seine-et-Marne, trois villages bénéficient aussi de l’appellation champagne AOC : Saâcy-sur-Marne, Nanteuil-sur-Marne et Citry.

La Champagne, en tant que zone de production du vin du même nom, regroupe donc un total de cinq départements. L’Aisne est peu connu, mais il est pourtant loin de faire pâle figure, avec une filière champagne bien implantée dans le paysage agricole. "C’est la troisième production végétale de ce département", affirme Jean-Noël Pfaff, directeur général de la coopérative vinicole Covama (55,5 M€ de CA en 2021, 200 salariés), basée à Château-Thierry. Ce département compte près de 3 400 hectares de vignes, plantés dans 32 villages, pour un peu plus de 800 vignerons, 15 coopératives et 3 négociants. Couplé aux trois villages de Seine-et-Marne, l’Aisne "produit 30 millions de kilos de raisin par an, soit près de 20 à 25 millions de bouteilles à l’année, pour un chiffre d’affaires de 180 millions d’euros", renchérit Jean-Noël Pfaff. À titre de comparaison, l’ensemble de la filière champagne a franchi, en 2022, la barre des 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec 326 millions de bouteilles.

Faire connaître le champagne régional

Depuis peu, des acteurs de la filière s’organisent pour mettre en lumière ce savoir-faire et leurs produits. Parmi eux, dix vignerons se sont regroupés dès 2020 dans un GIE, l’Union de vignerons champenois du sud de l’Aisne. "À la demande de la Région, nous avons réalisé des dégustations de notre champagne lors de quelques événements. À cette occasion, nous nous sommes aperçus que 95 % des visiteurs citaient Reims ou Épernay, mais jamais Château-Thierry", regrette Dominique Fleury, présidente de ce GIE et gérante des champagnes Fleury-Gille (35 000 bouteilles par an), à Trélou-sur-Marne. Si l’Aisne ne possède pas de grandes Maisons de champagne susceptibles de participer à sa renommée, il compte tout de même une grande marque, les champagnes Pannier, détenue à 100 % par la Covama, le plus gros acteur local, qui collecte chaque année le raisin de 730 hectares de vignes.

Ce département regroupe par ailleurs 26 478 parcelles : "Ici, le foncier est resté morcelé", souligne Jean-Noël Pfaff. En résulte une multitude de petites ou moyennes exploitations. "Les vignerons de l’Aisne étaient historiquement en polyculture. Ils vendaient leur raisin, sans élaborer leur champagne, contextualise Dominique Fleury. Ce n’est que dans les années soixante, grâce à la démocratisation du champagne, que la vigne est devenue rentable". Elle s’est alors répandue en monoculture dans l’Aisne et des vignerons ont lancé leur propre marque de champagne. Une activité menée en parallèle, voire en substitut, de la vente de raisin à de grandes Maisons de champagne, à des négociants ou à des coopératives. Dans cette filière, plusieurs modèles économiques cohabitent. "Peu de gens le savent : en vendant leurs bouteilles quinze euros TTC, les vignerons ne peuvent pas être rentables sans vendre par ailleurs leur raisin à de grandes Maisons. Nous essayons de limiter cette dépendance pour notre exploitation, avec des bouteilles dont le prix se situe entre 20 et 30 euros TTC. Nous vendons tout de même du raisin pour couvrir certains frais de transmission, de notaire, des taxes, etc.", détaille Clara Dechelle, membre du GIE et en charge de la commercialisation du champagne Philippe Dechelle (50 000 bouteilles par an), géré par son père à Brasles.

Et le faire reconnaître

En plus de gagner en notoriété, le champagne régional doit aussi convaincre. "Quand nous évoquons le champagne des Hauts-de-France, les personnes qui ne l’ont pas goûté affichent une certaine réticence. Nous n’avons pourtant pas à rougir de la qualité de nos champagnes, plusieurs d’entre eux sont médaillés", lance Dominique Fleury. Dans l’Aisne, trois cépages dominent : le pinot Meunier (74 %), le pinot noir (16 %) et enfin, le chardonnay (10 %). "Notre terroir donne un champagne généreux, rond et fruité, qui se prête très bien au vieillissement", défend Clara Dechelle, dont l’exploitation propose des champagnes millésimés.

Pour valoriser ce champagne régional, le GIE a un plan de bataille bien rodé, qui repose sur la mutualisation des compétences, des moyens financiers (couplés à des subventions de la Région) et des disponibilités de ses membres, qui réalisent, chacun, entre 20 000 et 50 000 bouteilles par an. Au programme, beaucoup d’événementiel : la participation au salon Made in Hauts-de-France (fin novembre/début décembre) à Lille, à un marché d’artisanat au Touquet cet été, à son salon gastronomique Omnivore (en juin), ou encore la création de l’événement Instant Champagne au Palais de la Bourse (Lille) en 2022, reconduit cette année et prévu également en 2024, etc. Le GIE se concentre également sur les partenariats : avec des producteurs et artisans élaborant leurs produits en Hauts-de-France, avec des artistes, des lycées professionnels, des écoles du supérieur… Le groupement envisage encore d’ouvrir, à terme, une boutique du côté de Lille.

Faire connaître et reconnaître ce champagne régional est une tâche toutefois chronophage, qui amène les vignerons à multiplier les activités en dehors de leur métier premier. Dominique Fleury reconnaît que pour l’instant, les actions menées "ne sont pas rentables". Malgré tout, ces vignerons estiment avoir à y gagner, en France comme à l’export. "Il y a quelques années, nous préférions communiquer sur le fait que nous étions champenois. Mais la création de la région Hauts-de-France s’est avérée un atout, dans un contexte d’essor du commerce de proximité, des circuits courts…", commente Eric Lévêque, à la tête des champagnes Lévêque-Dehan (30 à 35 0000 bouteilles par an), à Barzy-sur-Marne, et vice-président du GIE. Ce marquage Hauts-de-France suscite également l’intérêt de plus grands acteurs, à l’image de la Covama : "Nous produisons 5 millions de bouteilles par an : sur notre taille, il n’est pas possible de n’assembler que des raisins de l’Aisne. Mais cet automne, nous allons lancer une cuvée spéciale de notre marque Pannier, avec un assemblage de raisins 100 % Hauts-de-France, annonce Jean-Noël Pfaff. Ce sera une production de 10 000 bouteilles, avec un positionnement très haut de gamme". L’initiative devrait être reconduite chaque année.

Quid du champagne régional à l’international ?

"À l’étranger, les gens ne savent pas où les Hauts-de-France sont situés, et encore moins l’Aisne…", reconnaît Dominique Fleury. Jouer la carte du champagne Hauts-de-France présente malgré tout un intérêt à l’international. C’est sur cette particularité géographique que s’appuie d’ailleurs Clara Dechelle, qui s’affaire depuis six ans à développer l’export pour les champagnes Philippe Dechelle, avec l’appui de Business France. Partie de zéro, la marque familiale réalise à présent 10 à 20 % de son activité à l’étranger, vers le Japon, les États-Unis, l’Italie, l’Espagne, la Suède et le Canada. "À l’export, les vignerons de l’Aisne ont moins de facilité que ceux situés au cœur de la Champagne, ou dans certains villages de production très connus. Mon angle d’attaque, c’est de dire aux importateurs que nous sommes situés dans la région la moins connue de la Champagne. Je leur présente ensuite la particularité de notre terroir : ça leur apporte quelque chose de nouveau."

En se regroupant en GIE, les vignerons ont également pu s’offrir l’accompagnement de CCI International, pour effectuer une mission au Japon sous la bannière Hauts-de-France. L’opération s’est avérée un succès, en leur permettant de trouver un importateur. "Nous travaillons un peu en Allemagne, en Angleterre ou en Belgique grâce à des rencontres et depuis cette mission, le Japon est devenu notre principal débouché", témoigne Eric Lévêque. De son côté, Dominique Fleury, qui disposait déjà d’un premier importateur au Japon avant cette mission, a créé une nouvelle marque afin de fournir ce deuxième importateur, qui a déjà pris 4 000 bouteilles.

Le GIE prévoit d’ores et déjà une prochaine mission en Italie, avec CCI International. Il faut dire que l’export est un volet crucial pour la filière champagne. En 2022, l’ensemble de la filière y a réalisé 57 % de ses ventes, contre 45 % il y a dix ans, selon les chiffres publiés par le Comité Champagne, l’interprofession de la filière. Si l’accès à l’international est plus compliqué pour les petits et moyens vignerons, il n’en reste pas moins incontournable face à un marché français saturé, en recul de "1,7 % en 2022", toujours selon le Comité Champagne. "Quand on est une marque récente sur le marché, qui commercialise surtout à la propriété, l’export est un levier de rentabilité important, au côté de la vente de raisin à des tiers", constate Clara Dechelle.

Cap sur l’œnotourisme

Enfin, faire connaître et reconnaître le champagne des Hauts-de-France doit aussi permettre de développer l’œnotourisme, qui constitue une autre manne financière pour les vignerons de l’Aisne. "Quand on se lance dans l’œnotourisme, il ne faut pas croire que ça va augmenter considérablement les ventes de champagne à la propriété. C’est une activité différente, l’important est de la vendre à sa juste valeur", indique Eric Lévêque, qui accueille jusqu’à 3 000 visiteurs par an. Parmi ses prestations, figure une immersion au sein de la vigne et son histoire, en Combi Volkswagen. Et de constater : "Cette activité touche une autre clientèle que le seul consommateur de champagne. L’œnotourisme a un bel avenir, à condition de chercher des choses insolites", souligne le vigneron, qui envisage d’organiser prochainement des dégustations, mêlant mets et champagne, dans le noir.

Si le GIE constitué pour la promotion du champagne de l’Aisne ne regroupe actuellement que dix vignerons sur plus de 800, son action "met en avant toute la filière régionale, affirme Dominique Fleury. Nous démarrons en petit comité, pour simplifier la mise en route. Quand nous aurons plusieurs acheteurs et débouchés, nous ouvrirons nos portes, d’autant que nous avons des demandes d’autres vignerons". En attendant, tous les espoirs restent permis quant à la future renommée des champagnes des Hauts-de-France.

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