Arnaud Lehrer, 3e génération aux commandes de la cristallerie Lehrer (17 salariés, 2,2 M€ de chiffre d’affaires), amorce en ce début d’année 2023 un changement important pour l’entreprise familiale. Dorénavant, toutes les pièces qui sortiront de l’atelier de production installé en Moselle, ne seront plus soufflées en cristal mais en verre. Un changement stratégique pour le verrier qui y trouve des avantages immédiats pour la santé de ses salariés mais qui, paradoxalement, paiera plus cher sa matière première.
Protéger la santé des salariés
Le cristal doit son appellation à plusieurs critères, dont la présence d’au moins 24 % de plomb dans sa composition. Un matériau qui oblige les maisons de cristal à surveiller la santé de leurs salariés pour vérifier que les taux de plomb dans le sang restent inférieurs aux maximums autorisés par l’Union Européenne. "Certains de nos collaborateurs avaient des taux limites, parfois supérieurs aux maximums recommandés" indique le dirigeant. "Nous avions préparé le passage du cristal au verre et les derniers contrôles médicaux nous ont poussés à agir vite". Un enjeu sanitaire urgent, à plus forte raison que l’Europe ambitionne de réduire encore les maximums autorisés de taux de plomb dans le sang pour les salariés des cristalleries. "Mieux vaut anticiper", souffle le dirigeant.
Côté client, le verrier n’a pas d’inquiétude. Lui qui est venu s’installer il y a une dizaine d’années au pied d’un site touristique mosellan majeur, qui accueille des dizaines de milliers de touristes par an, assume maintenant être devenu une des principales attractions du coin, puisque l’atelier de production est ouvert à la démonstration 7 jours sur 7. " Nous accueillons des milliers de touristes internationaux, beaucoup de croisiéristes américains et beaucoup d’Allemands, raconte le dirigeant. Le regard sur le cristal depuis l’étranger est totalement différent. Il n’y a quasiment plus qu’en France qu’on fait encore du cristal au plomb. Les touristes ne courent pas après une matière pour laquelle il existe des mises en garde dans leurs pays ".
Le verre plus cher que le cristal
S’il ne voit pas d’inquiétudes majeures sur la perception de ses clients, Arnaud Lehrer n’a pas d’intérêt sur le prix de sa nouvelle matière. "Paradoxalement, en passant du cristal au verre, le prix de la la matière première augmente", confie le dirigeant. À cumuler avec la hausse de 60 % qu’il subit sur le gaz, le cristallier voit ses coûts croître, mais relativise : "sur un produit manufacturé, la valeur reste le savoir-faire du verrier". Par ailleurs, l’outil de production peut accueillir indifféremment du verre ou du cristal, et il n’y a donc pas de changement à prévoir du côté de l’installation.
Quant à la vision sur l’avenir de la filière, le patron assure : "c’est dans les tuyaux de toutes les grandes maisons françaises de remplacer le cristal par le verre". Arnaud Lehrer pense que la planche de salut du cristal se trouve dans un changement de nomenclature. "Une fois que l’on retire le critère de la présence de plomb, le verre de très haute qualité est très proche du cristal sur son indice de réfraction, qui apporte l’éclat de la matière. Peut-être que celui qui mettra au point la meilleure recette imposera ses standards aux autres", projette le dirigeant. Et de conclure "à l’œil nu, il n’est pas possible de faire la différence entre un produit en verre haut de gamme ou en cristal, la créativité et les savoir-faire l’emportent sur la matière".