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La biomasse se relance avec les circuits courts
Enquête Alsace # Industrie # Conjoncture

La biomasse se relance avec les circuits courts

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L’Européenne de biomasse veut installer une usine de granulés de bois dans le sud de l’Alsace, portée par la possibilité de travailler en circuit court, avec matières premières à proximité et clients largement présents sur le territoire. Ce projet témoigne de l’essor de la filière ces dernières années en Alsace.

À Fessenheim, l’Européenne de biomasse veut installer une usine similaire à celle qu’elle a implantée à Pomacle-Bazancourt — Photo : Européenne de biomasse

En Alsace, l’installation potentielle d’une nouvelle usine dans le sud du territoire témoigne d’un intérêt qui se maintient pour la biomasse au bois, sur un territoire où cette matière première est présente en larges quantités. L’Européenne de biomasse (CA non communiqué, 50 collaborateurs), une usine de granulés de bois nouvelle génération s'inscrit dans cette dynamique et a choisi de s’installer à Fessenheim (Haut-Rhin). Elle vise notamment le futur parc d’activité franco-allemand EcoRhena, créé suite à la fermeture de la centrale nucléaire en 2020. Le site pourra produire jusqu’à 250 000 tonnes de granulés de bois par an pour un investissement de 75 à 80 millions d’euros et 350 à 700 salariés. Surtout, L’Européenne de biomasse cible les circuits courts, bois et clients locaux, sur le modèle de la filière déjà bien implantée en Alsace.

Si le siège social de la société est à Paris, le premier site de production a commencé à produire début 2021 à Pomacle-Bazancourt, dans la Marne. Il est adossé à une centrale de cogénération au bois et à un centre de R & D qui a développé les granulés HPCI Black Pellets, qui seront également produits à Fessenheim. Il ne s’agit pas de granulés classiques. "Ils ne craignent pas l’eau, ne font pas de poussière, n’émettent pas de CO₂ et sont inertes", affirme le dirigeant qui explique avoir déposé "une quinzaine de brevets" pour ce produit. En Alsace, la clôture financière du projet est prévue pour la fin de l’année. Jean-Baptiste Marin, le PDG prévoit d'en "démarrer la construction en janvier 2022".

Une demande locale importante

"L’usine de Pomacle-Bazancourt vise le marché résidentiel, les collectivités, les petits industriels, les réseaux de chaleur pour particuliers. Celle qui sera installée en Alsace fournira également les grands industriels", explique Jean-Baptiste Marin qui a choisi cette région notamment pour sa clientèle potentielle bien présente et la demande pourrait même augmenter. "Suite aux récentes augmentations du prix du charbon (+180 %) et du gaz et aux évolutions des quotas CO² qui devraient atteindre 75 euros la tonne début 2022 puis 100 euros la tonne, de nombreuses collectivités et industriels du Grand Est, français, mais aussi de pays voisins (Belgique, Allemagne, Suisse) demandent à tester les granulés HPCI", poursuit Jean-Baptiste Marin.

Marc Siat, le directeur général groupe bas-rhinois (Urmatt) de scieries du même nom (CA 2020 : 150 M€, 400 collaborateurs) a constaté, lui aussi, cette tendance : "Le marché des granulés est un marché qui a fortement augmenté en dix ans (équipements indépendants et chaudières). Au début, nous étions obligés d’envoyer nos produits loin. Désormais, nous nous recentrons sur les marchés locaux qui représentent les deux tiers de notre production, contre un tiers qui part en grande surface, en magasin de bricolage ou chez des négociants".

Le groupe Siat, né il y a 200 ans au pied du massif vosgien s’est lancé, en 2012, dans une démarche d’économie circulaire dans sa scierie d’Urmatt. Il y a installé une centrale de cogénération. Elle brûle jusqu’à dix tonnes d’écorces par heure, des résidus des bois utilisés par la scierie. Un tiers des calories produites est transformé en électricité réinjectée dans le réseau, soit l’équivalent de la consommation de 15 000 foyers. Un autre tiers permet de faire sécher le bois de sciage et enfin un tiers permet de sécher la sciure, transformée en 120 000 tonnes de granulés à l’année.

Une matière première largement disponible

Les bois utilisés par la scierie Siat sont sourcés dans un périmètre de 100 kilomètres, dans les Vosges et dans la Forêt noire, en Allemagne. Dans ces deux massifs et dans le Grand Est, en général, cette matière première ne manque pas. Avec 1 951 000 hectares, "soit près de 34 % du territoire régional, le taux de boisement est plus élevé que la moyenne nationale (31 %)", affirme l'Observatoire bois industrie, bois énergie du Grand Est (Fibois), la fédération interprofessionnelle forêt-bois, . De plus, selon l’Office national des forêts (ONF), "les forêts du Grand Est sont les plus productives de France. Le volume annuel de bois mobilisé atteint près de cinq millions de m³, soit plus du tiers du volume mis en vente en forêt publique au niveau national".

Du bois énergie tiré des bois malades

Tout le bois produit dans la région n’est pas utilisé sous forme de biomasse. Il existe une hiérarchie des usages. Les bois de meilleure qualité sont exploités comme bois d’œuvre (déroulé, tranché, scié), suivent les bois d’industrie (papier, panneaux, laine de bois, chimie verte), puis le bois énergie (plaquettes forestières, granulés). "Les bois qui dépérissent créent du bois énergie car ils se scient moins bien. Ils sont plus secs. Les bois jeunes et les branches qui ne peuvent pas être sciés créent aussi du bois énergie", détaille Albert Lecourbe, le responsable Grand Est pour le bois industrie et le bois énergie de l’Office national des forêts (ONF). Or, avec le réchauffement climatique, cette ressource pourrait devenir plus importante. "Les forêts d’épicéas en plaine ont été ravagées par les scolytes (des insectes qui ravagent le bois), explique Albert Lecourbe, il y a aussi les sapins qui dépérissent à cause de la sécheresse". Les jeunes forêts qui ont repoussé dans le nord de l’Alsace suite à la tempête de 1999 "constituent également une réserve potentielle d’ici à cinq ans", poursuit le responsable de l’ONF. Enfin, selon lui, "les chaudières industrielles se tournent de plus en plus vers les bois recyclés, car ils sont moins chers, mais il faut des filtres performants, car cela pollue".

Cette abondance de matière première en Alsace est une bonne nouvelle pour les chaufferies, mais elle fait également baisser les prix pour les producteurs de bois-énergie. Ce phénomène est renforcé par la proximité de l’Allemagne "où les forêts ont été très touchées par les scolytes, mais où les Länder ont mis en place un système d’aides pour exploiter le bois, ce qui fait que les exploitants peuvent vendre leur bois à perte", affirme Albert Lecourbe.

"Nous sommes submergés d’appels de producteurs de bois qui ne savent pas quoi en faire", confirme Hervé Lamorlette, directeur général de R-CUE et R-CUA, alors qu’il y a dix ans, "certains élus étaient réticents à se lancer dans la biomasse, car ils avaient peur qu’il y ait des tensions sur l’approvisionnement ". À elles deux, ces filiales de la société d’économie mixte Réseaux Gaz naturel de Strasbourg (R-GDS) et de la coopérative d’énergie suisse Primeo Energie, comptent une quarantaine de collaborateurs et ont réalisé 70 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Les deux sociétés sont principalement implantées dans le Grand Est et en Alsace.

Un des projets principaux de R-CUE actuellement est l’agrandissement du réseau de chaleur de Saint-Louis, dans le Haut-Rhin qui fonctionne grâce à des chaudières de biomasse au bois (copeaux et 10 % de maïs). D’ici à 2036, un investissement de 32 millions d’euros devrait permettre de le faire passer de 13 à 30 km. La production de chaleur passera de 50 gigawatts heures (GWh), soit la consommation de l’équivalent de 5 300 logements, à 118 GWh, soit 14 000 logements. Dès 2025, une nouvelle chaufferie à biomasse de 4 200 m² composée de deux chaudières au bois de 6 et 8 mégawatts et de trois chaudières au gaz d’appoint (6 mégawatts chacune) viendra compléter la chaudière au bois et les cinq chaudières au gaz existantes.

Un marché mature

Néanmoins, estime Hervé Lamorlette, "le marché de la biomasse au bois n’est plus aussi dynamique qu’il l'a été dans la région. Aujourd’hui, les collectivités exposent leurs objectifs et nous laissent trouver des solutions. On ne privilégie pas toujours la biomasse. Dans les territoires où il y a de la forêt à proximité, cela fait sens. C’est moins le cas en ville", comme dans le port de Strasbourg. R-CUA est actionnaire de R-PAS, la société en charge de son réseau de chaleur. Elle a fait le choix, en effet, de privilégier la chaleur issue des industries présentes dans le port et celle de leurs déchets, comme celle du papetier BluePaper (CA 2019 : 146 millions d’euros, 165 collaborateurs), première société à être raccordée au réseau.

Par ailleurs, la biomasse possède aussi ses détracteurs. À Strasbourg, en avril 2021, un collectif d'une quarantaine de médecins alsaciens rassemblés sous le nom de "Strasbourg respire", a appelé à l'arrêt des centrales biomasses. Ils estiment que "la combustion du bois peut émettre jusqu'à 35 fois plus d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) cancérigènes que le fioul domestique". Selon Hervé Lamorlette, "il faut, cependant, différencier les inserts et les poêles à bois sur lesquels il n'y a aucun contrôle, des grosses installations pour lesquelles il y a des filtres et un suivi. Nous sommes régulièrement contrôlés par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL)". Selon cette dernière, le principe de la réglementation est d'imposer une performance, en termes de valeur à ne pas dépasser, et non le moyen d'y parvenir (par exemple, le filtre à manche, cyclone, électro filtre, etc...). Cette valeur dépend de la taille des chaufferies, tout comme le rythme des contrôles, qui ont lieu tous les un à trois ans pour les plus petites ou selon un calendrier établi par le préfet pour celles qui ont plus de 50 mégawatts de puissance.

Malgré ces critiques, la biomasse semble avoir encore de beaux jours devant elle. La Région Grand Est continue de miser sur ce type d’énergie. Elle doit élaborer, conjointement avec l’État, un schéma régional biomasse comme le prévoit la "loi sur la transition énergétique et la croissance verte" de 2015. L’obligation est venue de l’État qui s’est engagé à la neutralité carbone d’ici à 2050. La Région Grand Est s’y est engagée en 2020, mais dès la création de son schéma de développement économique - le SRDEII entré en vigueur en 2017 après la fusion des régions- elle avait déjà "identifié le développement de la biomasse et les agro-ressources comme une de nos grandes priorités au même titre que l’usine du futur", rappelle Philippe Mangin, vice-président en charge de la bioénergie. "Dans l’élaboration de ce schéma, nous avons constaté que nous étions bien avancés dans notre région à la fois très agricole et très forestière", conclut-il. Ce schéma devrait voir le jour d’ici à 2022, permettant au Grand Est de mieux mettre en valeur ses atouts dans ce domaine, entre matières premières abondantes et un réseau dense de chaufferies locales qui se sont multipliées.

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