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Ford Blanquefort : les dommages collatéraux
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Ford Blanquefort : les dommages collatéraux

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Implanté depuis 1972 à Blanquefort, en Gironde, le constructeur automobile Ford fait partie de l'histoire de la commune et de ses habitants. Et en 47 ans, il a tissé des liens économiques étroits avec les acteurs locaux. Mais le site est désormais menacé de fermeture. Si certains sous-traitants ont déjà rebondi, au fil des épisodes de la saga, d'autres attendent, anxieux, le dénouement. Quelles conséquences aurait le départ du géant américain sur le territoire ? Reportage.

Environ 3000 emplois induits seraient menacés par une fermeture de l'usine Ford Aquitaine Industrie, à Blanquefort (Gironde). — Photo : Astrid Gouzik

Impossible de passer à côté : le graffiti rouge qui orne l’enseigne à l’entrée de l’usine Ford Aquitaine Industrie (217 M€ de CA en 2017), à Blanquefort, plante le décor. « 3 000 emplois induits ». Pas besoin d’en dire plus, les automobilistes passant à proximité connaissent le contexte. En février, le constructeur automobile américain a fait part de son intention de fermer son usine girondine, pas assez compétitive à son goût. « La fabrication de la nouvelle transmission 8 vitesses à Ford Aquitaine Industries (FAI) n'était pas économiquement viable », estime alors Ford Motor Company.

Environ 850 emplois sont directement menacés dans l’usine ouverte en 1972 par Ford. Indirectement, le bilan pourrait être beaucoup plus lourd. « Traditionnellement dans l’industrie, on applique un ratio de trois emplois induits pour un emploi direct », commente Francis Wilsius, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, en charge de la restructuration économique. Si l’on applique strictement cette règle de calcul, le sort de 2 550 salariés est donc étroitement lié à celui des 850 personnes employées sur le site de FAI. « Évidemment des sous-traitants automobiles mais aussi le personnel de la restauration collective Sodexo, les personnes en charge de l’entretien, les transporteurs... », détaille Francis Wilsius, fin connaisseur du dossier pour avoir travaillé chez Ford pendant plus de 35 ans.

Un impact difficile à mesurer

La casse pourrait toutefois être limitée. Assez rapidement après l’annonce de Ford, le groupe industriel belge Punch se rapproche des représentants de l’État. Après avoir repris l’usine General Motors de Strasbourg, il se propose de reprendre le site blanquefortais. Le projet est soutenu par les pouvoirs publics, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire en tête. Mais du côté de Ford, l’accueil est glacial. Les Américains jugent que le plan de reprise proposé par Punch n’est pas assez solide. Refroidi aussi par les 150 millions d’euros que le belge lui demanderait de débourser, selon les organisations syndicales. « Surtout ils ne veulent pas reproduire ce qui s’est passé en 2010, c’est-à-dire qu’on leur dise dans deux ans : "Revenez, finalement le repreneur n’était pas bon" », explique le conseiller régional. Pour le moment, Ford s'accorde encore le temps de la réflexion : attendue le 28 novembre, sa décision sur le plan de Punch devrait finalement intervenir d'ici le 10 décembre.

« L'impact de la fermeture éventuelle de l'usine de Blanquefort est difficile à mesurer. »

Dans l’hypothèse la plus optimiste, celle de la reprise par Punch, environ 400 emplois seraient maintenus sur le site de FAI. 450 seraient donc supprimés, dont 300 départs en pré-retraite, dans une usine où la moyenne d’âge s’établit à 51 ans. Les 150 restants pourraient être transférés vers l’usine voisine. 1 350 emplois seraient alors menacés chez les sous-traitants. « La vraie question reste de savoir qui sont ces sous-traitants. L’impact est difficile à mesurer, puisque Ford ne nous fournit pas ces informations. Certains sont en Gironde, mais moins qu’avant j’ai l’impression », tempête Véronique Ferreira, maire de Blanquefort.

Le rebond de Pernat

Il faut dire que quelques-uns ont déjà eu à gérer « l’après Ford », à l’instar de la société Pernat (ex-Altia), basée à Saint-Médard-en-Jalles. Spécialiste du décolletage de pièces mécaniques de précision, l’usine ouvre en 2004 avec un seul et unique client : Ford. « Ce marché a duré jusqu’en 2011 et là, tout s’est arrêté », se souvient Didier Labrado, directeur du site.

« Ce que l’on ne mesure pas aujourd’hui, c’est l’effet domino. »

Heureusement, entre temps, la direction avait voulu développer une autre activité pour diversifier la clientèle. « En 2012, nous avons décroché un important contrat avec PSA. Un deuxième a suivi. Et depuis un an et demi, nous avons signé un gros marché avec Renault, pour lequel nous avons investi 12 millions d’euros sur le site, notamment pour l'achat de machines », détaille-t-il. Le sous-traitant a bien tenu le choc : de 4 M€ de CA en 2011, il est passé à 12 M€ de CA en 2018 et vise 19 M€ en 2021.

Quel avenir pour GFT ?

Au rang des éventuelles victimes collatérales, il y en a une qui veille à se faire oublier, de peur d’être assimilée à sa voisine Ford Aquitaine Industries : la discrète Getrag Ford Transmissions (GFT). Cette joint-venture entre l’équipementier canadien Magna et Ford emploie actuellement à Blanquefort 1 300 personnes.

Si Ford ne semble pas remettre en cause sa participation dans GFT, l’inquiétude et l’incertitude restent toutefois palpables aux abords de l’usine. « Ce que l’on ne mesure pas aujourd’hui, c’est l’effet domino. Étant implantée sur le même site que celle de Ford, l’usine GFT partage des coûts fixes avec FAI. Mais pourrait-elle supporter la totalité des coûts fixes, si la reprise par Punch n’aboutissait pas ? », s’interroge Francis Wilsius. Le fait que le seul et unique client de GFT soit aujourd’hui Ford n’est pas pour rassurer les salariés, ni les collectivités locales. Et les rumeurs selon lesquelles Ford serait en train de revendre à Magna sa part de leur usine commune de Kechnec, en Slovaquie, non plus.


Pas de plan B pour le moment

Sur le dossier Ford, les collectivités locales sont unanimes : l’option de la reprise par Punch est la meilleure. « Si les dirigeants de Ford pouvaient avoir du courage et ne pas s’enfuir la queue entre les jambes ! Tout ce dont Punch a besoin, c’est de temps pour améliorer son business plan. Il suffirait pour cela que Ford recule le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et ils peuvent le faire », martèle Véronique Ferreira, maire de Blanquefort.

Les négociations pour le PSE doivent prendre fin le 18 décembre. Quant à la possibilité d’un plan B, il n’est pas l’heure d’y penser. « La piste du véhicule électrique avait été évoquée. Nous avions formé un groupe de travail avec des acteurs de Nouvelle-Aquitaine, comme Saft. Il faudra ressortir tout cela des tiroirs si Ford maintient sa position de fermer l’usine », concède Francis Wilsius, conseiller régional. « L’idée la pire serait celle de la friche industrielle... », déplore Véronique Ferreira.

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