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Entreprises familiales : la résilience de pépites centenaires
Enquête Région Sud # Services # Transmission

Entreprises familiales : la résilience de pépites centenaires

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Dans l'ombre de la start-up nation, il existe un pan de l'économie souvent oublié. Pourtant les entreprises familiales, par leur fonctionnement, véhiculent des valeurs humaines qui leur permettent de franchir les crises et de faire preuve de davantage de résilience que les entreprises traditionnelles.

Roland Gomez père, fondateur du groupe d'intérim Proman, et Roland Gomez fils, PDG de l'entreprise — Photo : DR

En juin 2017, le président Emmanuel Macron, en visite sur le salon Viva Tech de Paris, faisait l'éloge de la France hyper innovante et terminait son intervention en appelant de ses vœux la naissance d'une "start-up nation". Si, malgré les crises, les montants des levées de fonds ne cessent de croître, en France et en Paca, le phénomène des entreprises agiles, au développement fulgurant et capables d'innover, ne doit pas masquer une autre réalité, bien ancrée dans l'histoire : les entreprises familiales. Celles-ci représentent 83 % des sociétés de l'Hexagone, dont 75 % sont des PME et près de 50 % des ETI, selon une étude conjointe menée en début d'année par le réseau Family Business Network (FBN), Adrien Stratégie et le Meti. Au FBN, l'âge moyen des entreprises est ainsi de 80 ans, soit plus de trois générations, et un quart d'entre elles sont même centenaires. Difficile de parvenir à des âges aussi respectables sans avoir subi et franchi de multiples crises de toutes natures, ce qui, déjà, suffit à montrer la résilience de ce type d'organisation. Rappelons qu'en France la durée moyenne de vie d'une entreprise classique est estimée à 20 ans.

Un projet à long terme

Si la définition légale de l'entreprise familiale, n'existe pas en France, cette notion est en général utilisée pour décrire une entreprise dans laquelle la famille détient une part importante du capital ou exerce une influence notable sur la gouvernance et la direction, même s'il ne s'agit que de la toute première génération de dirigeants. Qu'est ce qui caractérise une entreprise familiale ? Pour Florent Noiray, directeur général du groupe de BTP niçois Spada (135 collaborateurs ; CA : 17 millions d'euros), la réponse est dans le long terme. "Dans les entreprises familiales, on a parfois une logique qui va au-delà de l'idée de rentabilité, on travaille plutôt sur les valeurs, le capital, la transmission, une volonté de continuité, de bien-être des salariés", commente-t-il.

Florent Noiray est directeur général du groupe Spada. — Photo : Charlotte Gamus

Un avis partagé par Philippe et Christelle Gervais, président et directrice générale de la société varoise CashMag (135 salariés ; CA : 20 M€), spécialiste des solutions d'encaissement (monnayeurs, logiciels d'encaissement...) qui confirment ainsi : "Le management et l'approche sont différents entre des entreprises familiales et des sociétés qui ont ouvert leur capital à des fonds . Notre vision est notamment différente parce que nous nous projetons sur le long terme, alors que les fonds ont une problématique de bilan, de retour sur investissement ". Même état d'esprit pour Roland Gomez, aujourd'hui président de l'entreprise Proman (CA : 3,8 milliards d'euros ; 4 000 salariés), basée à Manosque, créée par son père et sa mère. " Pour nous, une entreprise, c'est le bon sens. Ce ne sont pas des chiffres qui tournent sur Excel. Toute la différence est là. Nous travaillons pas pour un résultat à court terme. Dans le secteur de l'interim, une entreprise de notre taille, 100 % familiale, cela n'existe pas en Europe et c'est notre force". De son côté, pour Richard Daher, président du conseil d'administration de Fondaher, fonds de dotation initié par la famille Daher et délégué régional du Family Business Network Méditerranée, cette question de projection sur le temps long est même l'opposition fondamentale qui différencie les entreprises familiales des autres. "La pression n'est pas la même. Nous ne sommes pas côtés en Bourse, nous n'avons pas de compte à rendre, à court terme, à des actionnaires. Quand les choses ne vont pas, nous nous adaptons et nous pouvons ainsi, si cela s'avère nécessaire, arrêter de verser des dividendes aux actionnaires familiaux."

Assurer la cohérence de l'actionnariat

En revanche, pour parvenir à cette unité, en fonction du nombre d'actionnaires familiaux et de leur éloignement les uns des autres, il est nécessaire de mettre en place une gouvernance très structurée. "Au sein du groupe équipementier industriel Daher (12 000 salariés ; CA : 1,3 Md€), qui a vu le jour en 1862, il existe 450 actionnaires familiaux. Nous nous devons de fournir de l'information très régulièrement à l'ensemble de la famille. Il faut organiser des rencontres entre les différents actionnaires familiaux. Quand ces derniers ne se parlent pas ou sont peu intéressés par l'entreprise et son évolution, alors les problèmes et les conflits familiaux peuvent survenir ".

Si les difficultés surviennent rarement à la deuxième génération, celles-ci arrivent souvent aux suivantes, quand les descendants se multiplient. Du côté de l'entreprise marseillaise Milhe et Avons (100 salariés - CA :45 millions d'euros), spécialisée dans la fabrication d'emballages et sacs publicitaires personnalisables pour les métiers du commerce et créée en 1876 par l'arrière-arrière grand-mère des actuels dirigeants, Thomas et Olivier Milhe, l'actionnariat est aujourd'hui de huit personnes. "Nous sommes la première génération où nous sommes aussi nombreux. Afin de maintenir la cohésion familiale, nous avons mis en place un conseil de surveillance qui réunit l'ensemble des actionnaires. La stabilité est primordiale. Nous devons de l'information, de l'échange aux autres. Il y a clairement deux profils d'actionnaires : ceux qui sont éloignés de l'entreprise, car ils ont d'autres métiers et ceux qui connaissent la société, notamment pour y avoir occupé différents postes. Nous réunissons tout le monde deux fois par an et, fort heureusement, nous nous entendons tous très bien", détaille Thomas Milhe. Cette unité familiale, essentielle à la stabilité de l'entreprise, est également primordiale pour Marie-Eva, Nicolas et Bertrand Swaton, qui dirigent le groupe d'assurances Eurosud Swaton, créé en 1971 par leur père, Jean-Yves. "Nous partageons beaucoup de choses en dehors du bureau. C'est un lien naturel, pas imposé. Il est essentiel d'être en phase, d'avoir une très forte confiance et d'être sur la même cadence. Nous nous devons d'avoir une vision commune", commente Bertrand Swaton.

Réactivité, agilité et capacité de décision

Ainsi, quand les relations sont fluides, l'entreprise familiale dispose d'une capacité de réactivité et d'agilité inégalée, comme le fait remarquer Roland Gomez. "Nous sommes aujourd'hui un groupe de près de 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, détenu par quatre actionnaires, mes parents, mon frère et moi. Nous n'avons pas à présenter nos décisions à un board. Nous avons ainsi une capacité de réaction extraordinaire".

Il y a 10 et 3 ans, Antoine et Marianne Gervais ont rejoint l'entreprise familiale dirigée par leurs parents, Philippe et Cristelle Gervais. (Droits : CashMag) — Photo : D.R.

"Clairement, nous n'aurions pas pu faire ce que nous avons fait, nous n'aurions pas pu investir autant en R&D si nous n'avions pas eu notre liberté intellectuelle et économique. Les financiers que nous avions interrogés nous ont à chaque fois déconseillé les opérations de rachat que nous envisagions, en raison d'un risque financier jugé trop élevé. Aujourd'hui, nous en sommes à 26 opérations de reprise bouclées et CashMag s'appuie sur un réseau de 15 sociétés sœurs", confirme Christelle Gervais de CashMag.

Pour Solène Roelandts, qui dirige aujourd'hui la Chocolaterie de Puyricard (130 collaborateurs ; CA : 12,2 millions d'euros), créée par son grand-père, l'entreprise familiale a également, par sa nature, une plus forte capacité à fédérer et à fidéliser ses salariés. "Les collaborateurs sentent qu'ils appartiennent à quelque chose de plus que dans un groupe simplement dirigé par des fonds. Nous travaillons avec l'instinct, avec l'émotion, nous ne nous contentons pas de regarder des chiffres. Quand nous traversons des crises, nous pouvons alors compter sur les salariés. Ils font front pour sauver l'entreprise . Ainsi, pendant la crise sanitaire du Covid-19, la Chocolaterie n'a fermé que quinze jours et a continué à produire et à vendre pour la période de Pâques."

Fidéliser les équipes

Christelle Gervais de CashMag ajoute : "Nous faisons en sorte que nos salariés soient bien. Ils ont la même couverture sociale que nous. Nous remboursons leurs trajets domicile-travail, nous leur procurons même des logements de fonction pour pallier certaines difficultés locales à se loger. Nous sommes dès lors beaucoup plus sensibles aux réactions de nos collaborateurs et nous, qui avons repris un certain nombre de sociétés, nous avons pu constater que c'était différent ailleurs ".

Réactivité, indépendance financière, soutien des collaborateurs, autant d'éléments qui permettent ainsi aux entreprises familiales de surmonter les crises. Toutefois, les capacités d'investissement de ces entreprises, limitées aux capitaux de leurs actionnaires, sont souvent plus réduites.

Des capacités d'investissement réduites

"Si nous ne souhaitons pas ouvrir le capital de nos entreprises, nous avons en effet moins de capacité à investir que d'autres. Nous ouvrons une boutique et nous attendons que cet investissement devienne rentable avant de passer à la suivante. Du coup, cela nous contraint à bien réfléchir à nos prises de risque", précise Solène Roelandts de la Chocolaterie de Puyricard.

Solène Roetlantds, présidente de la Chocolaterie Puyricard — Photo : DR

"C'est la force et la faiblesse de l'entreprise familiale. Tout l'argent gagné est réinvesti dans la société, dans les machines, dans l'humain. Il y a quelques années, nous avons racheté une entreprise et nous avons absorbé les remboursements, mais si demain nous voulons réaliser une acquisition à 15 ou 20 millions d'euros, il nous faudrait sûrement ouvrir le capital", confie de son côté Daniel Note, qui dirige la société Laphal, sous-traitant de l'industrie pharmaceutique (240 salariés ; CA : 43 millions d'euros) basée à Allauch, créée en 1972 par son père Druon Note. L'entreprise compte six actionnaires familiaux. Même son de cloche pour Benjamin Chamla, qui dirige avec son frère Clément l'entreprise MGM (43 salariés ; CA : 15 millions d'euros), fabricant et distributeur de jouets, créée en 1957 par leur grand-père Clément. "Les possibilités de croissance accélérée sont en effet limitées. Nous avons connu une forte progression avec notre marque de véhicules télécommandées, Turbo Challenge. Adossés à un fonds, nous aurions sans doute déployé la même stratégie simultanément sur plusieurs de nos marques. Mais nous devons être vigilants à la pérennité de l'héritage qui nous a été transmis. Nous ne pouvons pas prendre les même risques que si nous dirigions une entreprise que nous aurions nous-mêmes créée. On dit souvent la première génération crée, la seconde développe et la troisième détruit. Nous ne souhaitons pas être la génération qui va planter l'entreprise familiale…", souligne-t-il avec humour.
Dotées d'une croissance modérée, les entreprises familiales parviennent toutefois à surmonter les crises et peuvent s'enorgueillir d'une moyenne d'âge, qui a de quoi faire pâlir les pépites et autres start-up qui, trop souvent, ne se révèlent finalement que des feux de paille.

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