Cyril Bucher (Lemaitre Sécurité) : "Nous voyons dans l’éco-conception un nouveau relais de croissance"
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Cyril Bucher président de Lemaitre Sécurité "Nous voyons dans l’éco-conception un nouveau relais de croissance"

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Le fabricant de chaussures de sécurité Lemaitre (130 salariés dont 93 en France, 40 M€ de CA en 2022), basé à La Walck (Bas-Rhin), vient de lancer une première gamme de produits éco-conçus, prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des chaussures. Objectif pour l’industriel alsacien : se démarquer de ses concurrents européens en jouant sur la transparence de sa démarche.

Cyril Bucher, président de Lemaitre Sécurité, devant le carrousel d’injection de l’usine d’Uberach (Bas-Rhin) — Photo : Nathalie Stey

Comment vous êtes-vous engagé dans cette démarche d’écoconception ?

Il a avant tout fallu réaliser un sourcing précis des matières que nous employons et voir dans quelle mesure elles pouvaient être remplacées par des matières recyclées. Et comme il n’existe pas de filière de revalorisation ni d’écolabel pour la chaussure de travail, nous avons, pendant près d’un an, développé un label en interne (Lemaitre Safety Green) intégrant nos propres exigences. Nous nous sommes concentrés sur la semelle en polyuréthane qui, grâce à une innovation dans la technique d’injection, intègre dorénavant du polyol recyclé, et sur la tige, composée de polyester en PET recyclé et d’une doublure en fibre de bambou. Ainsi, 25 % au moins du poids de la chaussure est composé de matières recyclées ou récupérées. Le deuxième critère mis en avant est celui du circuit court : 80 % des composants des chaussures assemblées en Alsace proviennent d’Europe et du bassin méditerranéen. Pour cela, l’ensemble de notre politique d’achat a été remaillée, même s’il est clair, tant pour des raisons économiques que du fait de l’appartenance de Lemaitre au tanneur indien Rahman, que la majorité des cuirs ne viendra jamais d’Europe. De même, c’est une filiale asiatique de notre maison mère qui nous fournit en embouts.

Une première gamme de produits intégrant ces critères vient d’être mise sur le marché. Notre objectif est de concevoir un maximum de modèles répondant à ces caractéristiques. La démarche nous a également amenés à réfléchir sur le devenir des chaussures que nous produisons. La nouvelle gamme inclut ainsi un service de collecte des chaussures usagées, avec l’objectif d’en retirer les éléments récupérables et recyclables. Nous avons pour cela développé un laboratoire de désassemblage de nos chaussures.

Quels sont aujourd’hui les freins à votre démarche ?

Elle se heurte à de nombreux freins normatifs. Les normes régissant les équipements de protection individuelle ne prévoient pas de tests pour la réutilisation des embouts par exemple, ni même la possibilité de désassembler les chaussures. La solution pour ce faire pourrait être d’acheter un broyeur, mais à l’heure actuelle ce projet n’entre pas dans le cadre des programmes de soutien à l’économie circulaire, qui ne concernent pas la réutilisation de déchets de fabrication. Le classement entre recyclage et réemploi vient aussi complexifier les choses.

La démarche d’économie circulaire se heurte aussi à un problème de masse critique. À nous seuls, il ne sera pas possible de mettre en place une filière de traitement de nos déchets ; il faudrait pour cela fédérer l’ensemble du secteur au niveau européen. Une autre question qui se pose est celle de la mesure de l’avantage écologique généré par la démarche, sachant qu’il n’existe pas de label objectif en la matière.

En quoi l’écoconception a-t-elle modifié votre mode de production ?

Cette démarche d’écoconception nous a amenés à améliorer la gestion de nos déchets de production. Nous en générons environ 80 tonnes par an. Il s’agit essentiellement de polyuréthane résultant de défauts d’injection ou d’opérations de purge, quand nous passons d’une couleur de semelle à une autre. Il y a encore deux ans, tous ces déchets étaient enfouis. Aujourd’hui, 10 tonnes sont réintégrées dans le processus de fabrication sous forme de polyols. Ceux utilisés pour la fabrication du polyuréthane peuvent en effet contenir 20 % de matière recyclée, mais pour une question de caractéristiques mécaniques il n’est pas possible d’aller au-delà. Nous cherchons ainsi d’autres entreprises qui pourraient être intéressées par ce produit. Nous réfléchissons également à une utilisation des déchets de polyuréthane comme combustibles solides de récupération. Ils pourraient alimenter la nouvelle unité de valorisation énergétique alimentant l’usine Alsachimie de Chalampé, dans le Haut-Rhin.

Nous avons par ailleurs passé un accord avec un Esat pour récupérer les embouts des chaussures impropres à la vente, soit 10 000 à 15 000 paires par an. Cela complète les solutions déjà mises en place pour les chaussures présentant des défauts mineurs, qui sont revendues comme produit de deuxième choix dans notre magasin d’usine. Celles qui ne peuvent être commercialisés parce que leur date limite d’utilisation est dépassée sont donnés à des associations.

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