Pas-de-Calais
Coronavirus - Creatique Technologie : « On est dans la nuit noire, sans lunettes infrarouges »
Interview Pas-de-Calais # Industrie # Social

François Salamone président de Creatique Technologie Coronavirus - Creatique Technologie : « On est dans la nuit noire, sans lunettes infrarouges »

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Face à la crise du coronavirus, la PME industrielle Creatique Technologie, qui partage son activité entre Lyon et Lens et fournit notamment l'industrie automobile, s'organise pour maintenir son activité le plus longtemps possible. Mais il n'exclut pas de devoir recourir au chômage partiel faute de commandes ou de stock.

— Photo : Creatique Technologie

Le Journal des Entreprises : Chez Creatique Technologie (80 salariés, CA 2019 : 7 M€), vous avez pour clients les industriels de l’automobile, aujourd’hui à l’arrêt. Comment cela se ressent-il sur votre activité ?

François Salamone : Nous ne sommes pas fournisseurs de produits de première monte, mais de produits de bord de ligne. Nous fournissons en effet des connecteurs et des dispositifs de test des fonctions électriques des véhicules, qui demandent une conception sur mesure, avec un décalage de 8 à 24 semaines entre la commande et l’installation. Nous sommes donc moins immédiatement concernés par l’arrêt des usines automobiles que des équipementiers, par exemple. Et d’autre part, comme nous sommes très actifs à l’international, où nous réalisons 70 % de notre chiffre, nous avons encore des commandes entrantes. À titre de comparaison, nous avons enregistré plus de commandes en mars qu’en janvier. Mais le rythme va désormais ralentir, évidemment.

Comment vous organisez-vous en cette période de crise ?

François Salamone : Pour le moment, toute la partie bureau d’études reste active et est en télétravail, jusqu’au 15 avril au moins. Nous avons un VPN et nos propres serveurs, que nous utilisons tout au long de l’année puisque, ayant plusieurs sites, nous avons l’habitude de travailler de manière éclatée. Le siège est à Caluire-et-Cuire près de Lyon, nous avons des locaux à Lens et à Dinard, des filiales au Brésil, en Chine et en Allemagne… Et certains collaborateurs travaillaient déjà plusieurs jours par semaine de chez eux. En tant normal, je partage mon temps entre ces différents sites. Les équipes sont donc habituées à ne pas me voir tous les jours dans l’entreprise, et ça fonctionne très bien comme ça. 50 % des salariés, soit une quarantaine de personnes, sont donc désormais en télétravail. Pour la production, j’ai pour le moment fait passer les équipes en chômage partiel, avec une rotation, pour diviser par deux le nombre de personnes présentes dans l’entreprise en même temps, et bien isoler les postes de travail. C’est une organisation inédite pour nous, qui fonctionne pour le moment, mais il faudra voir à terme s’il n’y a pas d’incidence sur la production.

Vous allez pouvoir maintenir l’activité longtemps comme ça ?

François Salamone : Nous allons vite nous heurter à deux écueils. En aval, une fois les études faites, et le montage réalisé sur nos sites, nous n’allons sans doute pas pouvoir livrer les commandes à nos clients, qui seront fermés. Et en amont, nous risquons de nous retrouver rapidement en rupture de stock de matières premières, et sans approvisionnement, parce que nos fournisseurs ont cessé leur activité pour le moment. J’ai prévu alors de lancer des plans de formation en e-learning, pour les personnels pour qui ce sera possible. Ce sera le dernier recours pour occuper les équipes, avant de devoir suspendre notre activité à notre tour. Je veux tenir le plus longtemps possible, pour continuer à verser des salaires pleins à mes salariés, et peser le moins possible sur la collectivité. En revanche si les pouvoirs publics décident que nous devons cesser l’activité, nous le ferons immédiatement, bien sûr.

Du point de vue de la trésorerie, quelle visibilité avez-vous ?

François Salamone : Les commandes en cours ne sont bien sûr pas réglées, en revanche, des paiements continuent de nous parvenir, puisque, à l’international, la norme est le paiement à 90 jours. Cela nous permet d’anticiper la suite, avec mon expert-comptable. Nous allons regarder ce qu’il est possible de faire au niveau du report des crédits, si besoin, et également, s’il est possible d’obtenir des fonds, pourquoi pas auprès de Bpifrance que nous connaissons bien. Mais pour le moment, nous faisons des hypothèses sur des hypothèses, et on navigue à vue. Tout change en permanence et c’est difficile de savoir à quoi se fier : j’ai passé mon week-end à éplucher un superbe document de 84 pages édité par l’UIMM, sur les différentes démarches possibles, pour me rendre compte le lundi que la moitié avait été rendue caduque par de nouvelles annonces, et qu’il fallait tout reprendre. Je suis sur les réseaux sociaux, dans un groupe Whatsapp avec 150 dirigeants, et ça n’arrête pas ! Tout le monde s’inquiète et s’interroge. Mais c’est compliqué de partager des réponses, toutes les PME sont organisées de façon tellement différente ! On est pire que dans le brouillard, dans le brouillard on avance quand même… on est dans la nuit noire, sans lunettes infrarouges !

Vous avez traversé la crise de 2008, dresseriez-vous un parallèle avec la situation actuelle ?

François Salamone : En 2008, on ne comprenait pas ce qui se passait, les choses évoluaient très vite aussi. Mais la grande différence, c’est qu’aujourd’hui les gens ont peur, voire, paniquent. Et ce n’est pas galvaudé que de dire que la situation est inédite. Quantité de problèmes apparaissent, qui n’avaient jamais été soulevés : par exemple, quelle assurance pour les gens qui ont été mis au télétravail d’office mi-mars ? Si un de mes salariés loupe une marche chez lui, est-il couvert comme pour un accident du travail ? Est-ce que je dois faire des avenants à tous mes contrats ? Des questions comme ça, on s’en pose à longueur de journée en ce moment, ça me prend un temps fou. Les assureurs n’ont pas de réponse, ça doit remonter au siège, ça prend du temps… Il y a beaucoup d’inertie.

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