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Comment les studios d'Auvergne-Rhône-Alpes veulent profiter du boom du jeu vidéo
Enquête Lyon # Activités culturelles # Attractivité

Comment les studios d'Auvergne-Rhône-Alpes veulent profiter du boom du jeu vidéo

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Pour tirer parti d’un marché français du jeu vidéo en forte croissance, les 150 entreprises de la filière jeux vidéo d'Auvergne-Rhône-Alpes, qui a vu naître Infogrames il y a 40 ans, ont plusieurs enjeux à relever : attirer investisseurs et talents, se structurer mais aussi grimper dans la chaîne de valeur.

Le studio lyonnais Old Skull Games mise de plus en plus sur le développement de licences de jeux vidéo en propre, comme avec son jeu gratuit "Tiny Worlds" — Photo : Old Skull Games

Travailler dans le jeu vidéo, "beaucoup en rêvent quand ils sont enfants car ils s’imaginent qu’on passe nos journées à jouer", glisse, amusé, Stéphane Baudet, président de The Tiny Digital Factory (2 M€ de chiffre d'affaires, 20 salariés), un studio lyonnais qui s’est spécialisé dans les jeux de management dans l’univers de la course automobile. Des enfants qui veulent parfois poursuivre leur rêve une fois adultes.

Sur le Campus numérique de Charbonnières-les-Bains, près de Lyon, des dizaines de candidats se sont succédé cet été pour rencontrer la quinzaine de studios présents pour le "premier événement dédié à l’emploi dans la filière du jeu vidéo en Auvergne-Rhône-Alpes", organisé conjointement avec Pôle emploi. Au total, une centaine de postes à pourvoir. "Officieusement, ce sont même 300 emplois qui seront créés dans l’année", indique Mathilde Yagoubi, déléguée générale de l’association Game Only, qui fédère les entreprises du jeu vidéo en région Auvergne Rhône-Alpes. Un chiffre considérable quand on sait que la filière régionale compte actuellement 3 000 salariés répartis dans 150 entreprises qui génèrent un chiffre d’affaires de 850 millions d’euros par an.

Un savoir-faire régional né avec Infogrames

Les raisons de ce recrutement massif sont d’abord structurelles : jamais l'industrie du jeu vidéo n’a connu une telle croissance (+11,3 % en France en 2020 selon le Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs). "C’est devenu la première industrie culturelle en termes de chiffre d’affaires (5,31 milliards d'euros en France en 2020, NDLR) devant le cinéma, le livre et la musique cumulés", rappelle Samy Kéfi-Jérome, vice-président de la Région délégué aux politiques sociales et à la famille et chargé de la Mission jeu vidéo régionale. Les causes sont également historiques. Pour beaucoup, Lyon est considéré comme l’un des berceaux français du jeu vidéo. C’est ici que Bruno Bonnell (aujourd'hui député LREM du Rhône) et Christophe Sapet (ex-dirigeant de Navya) ont créé, il y a 40 ans, le studio Infogrames, devenu Atari quelques décennies plus tard. "Le secteur a commencé à rencontrer des difficultés à la fin des années 1990, mais le savoir-faire régional s’est accumulé et consolidé au fil des années, poursuit Samy Kéfi-Jérome. Aujourd’hui, c’est de l’or car le secteur est en plein boom."

Avec son pool de studios indépendants reconnus au niveau mondial, ses écoles dispensant des formations de qualité (Gaming campus, Emile Kohl, Bellecour Ecole...) et ses grosses locomotives comme les lyonnais Ivory Tower (8,7 M€ de chiffre d'affaires en 2020, 100 salariés, racheté par Ubisoft en 2015) et Arkane Studios (13,2 M€ de chiffre d'affaires en 2019, 150 salariés, détenu par Microsoft depuis 2021), Auvergne-Rhône-Alpes se positionne comme "la deuxième région la plus dynamique après l’Île-de-France, avec l'ambition de devenir la première", affirme le chargé de mission. Mathilde Yagoubi de Game Only va même plus loin : "D’ici cinq ans, nous voudrions être LA plateforme du jeu vidéo en Europe."

Structurer la filière

L’ambition est grande. Car d’autres régions, comme l'Occitanie et les Hauts-de-France, mènent également une politique volontariste. Pour être compétitives, les entreprises auralpines font face à plusieurs challenges : structurer la filière régionale, recruter les bons profils, attirer des fonds et grimper dans la chaîne de valeur de la production de jeu.

C'est pour se structurer que la profession a créé l'association Game Only en 2018, à la suite de la disparition du pôle de compétitivité Imaginove. L’association, qui rassemble 90 acteurs, accompagne les studios dans la recherche de financement, sur les volets RH, formation et attractivité, et à l’export. 2018 est également l’année où le président du conseil régional, Laurent Wauquiez, a lancé la Mission jeu vidéo dans le but d’accompagner la création et la diffusion des pratiques. En 2019, la collectivité a lancé le Game Summit, un événement annuel permettant "aux studios d’apprendre à mieux se connaître et de montrer au public des pépites régionales parfois peu connues". Et en 2020, elle a créé un fonds d'aide doté de 800 000 euros pour accompagner les studios régionaux dans la création de jeux originaux au stade du développement, de la préproduction et du prototypage (en 2020 : 75 000 € pour the Tiny digital factory, 79 000 € pour Artefact studio, 75 000 pour Mi-Clos studio...).

"L’accès au financement privé est également crucial car le secteur connaît une pression croissante de la part d’acteurs américains et chinois qui cherchent à racheter des studios", explique Mathilde Yagoubi. "Nous sommes fortement démarchés par des fonds étrangers, notamment via LinkedIn, rapporte Guillaume Magnies, directeur financier de Old Skull Games (2,8 M€ de chiffre d'affaires en 2020, 50 salariés), studio de jeux mobiles créé en 2012 à Lyon. Les entreprises de jeu vidéo sont des structures qui se valorisent de mieux en mieux et les investisseurs l’ont compris."

Pour preuve, le studio lyonnais Revolt Games, éditeur du jeu Neopolis, a levé en septembre 2021 2,5 millions d'euros auprès du fonds d’investissement spécialisé Level-up, de Bpifrance et de business angels. L’année précédente, c’est le studio lyonnais 8sec qui avait levé 1,5 million d'euros auprès du fonds d’investissement parisien Serena.

Attirer les talents

Mais attirer les fonds ne suffit pas. Il faut également faire venir les talents. Dans cette jeune industrie, certains profils, en particulier senior, sont rares. "Notre secteur manque de visibilité. Les Bac + 3 en informatique ne pensent même pas à se tourner vers le jeu vidéo alors que la filière a de gros besoins de développeurs", étaye Mathilde Yagoubi. Pour attirer les meilleurs, il faut se montrer attractif. Le cadre de vie lyonnais pourrait être un levier. "Lyon est une grande ville, agréable, proche de la mer et de la montagne, facilement accessible. C’est un bon argument pour attirer les talents étrangers", plaide Arnaud Muller, directeur général Europe de Bandai Namco Entertainment Europe (293 M€ de chiffre d'affaires en 2021, 200 salariés), qui rassemble plus de 20 nationalités et vient de déménager dans un nouveau bâtiment de 4 000 mètres carrés à Vaise, près de Lyon, afin d’accroître de 50 % ses effectifs pour se consolider dans la création de contenus et non plus uniquement la distribution.

Progresser dans la chaîne de valeur

Mais pour qu'Auvergne Rhône-Alpes atteigne son ambition de devenir la première région de France du jeu vidéo, il faut aussi que les studios réussissent à progresser dans la chaîne de valeur de la production de jeu, afin d’accroître leur rentabilité. "Le segment des jeux AA (productions au budget plafonné, avec un niveau d'ambition technique moindre, qui se vendent aux alentours de 30 euros, NDLR) sont par exemple très porteurs, indique Mathilde Yagoubi. Notamment car la concurrence est sept fois moins importante que parmi les jeux indépendants, qui se vendent à 15 euros environ. L’un de nos objectifs est d’accompagner les studios indépendants vers le AA. Il y a en trois ou quatre qui devraient franchir cette étape prochainement."

Pour grimper dans la chaîne de valeur, chaque studio a sa stratégie. Pour Old Skull Games, cela passe par l’accroissement de la part des licences propres. "Actuellement, 60 % à 80 % de notre activité consistent à produire du contenu sous licence", explique Guillaume Magnies. Old Skull Games a par exemple conçu le jeu "Bob l’éponge : Patty Pursuit", en partenariat avec Nickelodeon. L’an dernier, le studio a sorti son premier jeu en autoédition, "Raid Heroes". En avril, il en sortait un deuxième, "Tiny Worlds". "Notre objectif est d’en lancer deux autres d’ici l’an prochain. Travailler sur nos propres licences nous permet de conserver la création de valeur et les revenus associés", confie Guillaume Magnies.

Accroître la création de jeux en propre

Le studio The Tiny Digital Factory aussi a commencé par développer des jeux en répondant à des appels d’offres, avant de se lancer dans le développement de ses propres titres. La société a récemment sorti "GT Manager", dans lequel le joueur incarne un manager d’équipe de course automobile. Désormais, la société essaie de diversifier la source de ses revenus et de prolonger l’engagement des joueurs pour accroître la rentabilité de ses jeux. Pour cela, elle élargit le nombre de pays dans lesquels le jeu est diffusé. GT Manager devrait prochainement sortir au Japon et en Corée. Globalement, "il a un fort potentiel de développement en Asie", estime Stéphane Baudet, le président du studio. "Nous rafraîchissons régulièrement notre contenu pour réengager les joueurs", explique le dirigeant. L’entreprise a également pour projet d’investir dans l’e-sport et d’organiser des compétitions automobiles virtuelles autour de GT Manager. Une autre façon de garantir la durabilité du produit et de ses revenus. "Nous misons sur un cycle de vie de cinq ans, ce qui est très élevé pour le secteur."

Chez Bandai Namco Entertainment Europe, l’objectif est assez similaire. L’éditeur qui distribue aujourd’hui les produits de sa maison mère japonaise Bandai Namco, ceux d’autres studios français et internationaux ainsi que les jeux qu’il produit en interne souhaite lui aussi développer son propre portefeuille de titres. "Notre objectif, à terme, est de créer 80 % du contenu que nous distribuons en Europe", explique Arnaud Muller. Pour ce faire, la société prévoit de faire grimper ces effectifs de 200 à 250, voire 300 personnes à l’horizon 2025.

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