Gironde
Comment les entreprises de Nouvelle-Aquitaine donnent un coup de jeune à la silver économie
Enquête Gironde # Santé

Comment les entreprises de Nouvelle-Aquitaine donnent un coup de jeune à la silver économie

S'abonner

Un vent de fraîcheur souffle sur la silver économie. La filière des « cheveux argentés » enthousiasme désormais les entrepreneurs les plus jeunes et les plus innovants. Santé, habitat, communication… des pans entiers de la vie des aînés sont repensés par les trentenaires. En Nouvelle-Aquitaine, région la plus âgée de France, les start-up girondines remportent leurs premiers succès et accélèrent à la faveur des besoins nés de la crise sanitaire.

Créée en 2019 au sein de la technopole Montesquieu à Martillac, Marguerite diagnostique les besoins d'interventions de professionnels liés au maintien à domicile des personnes âgées. Les associés de la start-up, dont Marion Favre Laurin, directrice générale, ambitionnent de recruter cinquante collaborateurs et d'atteindre la rentabilité en 2021. Une levée de trois millions d'euros participe à cette accélération. — Photo : JDE

Alors que tous les regards étaient braqués sur les établissements pour personnes âgées, que les portes des Ehpad se fermaient, une à une, les startupers girondins de la silver économie se retroussaient les manches. Au plus fort du confinement, Sunday, Marguerite, Alogia, Linestie, Ernesti… les jeunes pousses répondaient présent à l’urgence du moment convoquant l’agilité et la réactivité de leurs équipes, dans le plus bel esprit start-up. Tous annoncent des recrutements aujourd’hui.

Le sens et l’action

« Malgré les difficultés et ces moments qui demeurent tellement chaotiques, cette période nous a permis de prouver l’intérêt social de nos actions ». À l’image de Nelly Meunier, dirigeante de Sunday (10 salariés), les acteurs de l’écosystème de la silver économie semblent plus que jamais convaincus de leur engagement. Leur parcours personnel leur a fait croiser très tôt les lacunes sociétales en matière de respect des personnes âgées. Des expériences sensibles, voire douloureuses, les ont amenés à questionner leur capacité à « faire changer le modèle », à « donner du sens à leur activité ».

Pour Nelly Meunier, il s’est agi d’équiper le téléviseur de sa grand-mère d’un boîtier lui permettant de recevoir des photos de ses petits-enfants disséminés aux quatre coins du monde et de rompre un peu de son isolement. Pour sa part, Alexandre Petit, président d’Alogia Groupe, fait remonter son intérêt pour le bien-être des aînés à sa plus tendre enfance. Il se souvient des fêtes de Noël passées auprès de sa mère gériatre dans des structures d’accueil de personnes âgées. Yoann Ebrard, associé de Nelly Meunier est également fils de gériatre. Quant à Thomas Chargé, directeur associé d’Alogia « c’est la question du handicap qui l’a personnellement conduit à investir le champ de la silver économie ». « Nos valeurs sont celles de la famille, des liens fondamentaux, pas celles du business pour faire du business, nous sommes une start-up émotionnelle », insiste Nelly Meunier. Des propos qui résonnent avec ceux de Marion Favre Laurin, directrice générale de Marguerite, plateforme de diagnostics de besoins d’interventions de professionnels au domicile des personnes âgées créée en 2019 et basée à Martillac (10 salariés, 500 000 euros de CA en 2020) : « On ne se lance pas dans cette activité pour faire du business, mais pour se réjouir chaque jour d’avoir apporté notre aide ».

Levées et rachats

Supplantant la stupeur et les doutes des premières semaines de pandémie, les nouveaux marchés, levées et opérations de croissance externe venaient encourager les jeunes entrepreneurs. Alogia Groupe, spécialisé dans le conseil en prévention des risques dans l’habitat des personnes âgées, créé en 2014 à Bordeaux (30 salariés, CA non communiqué), réalisait ainsi un tour de table de 3 millions d’euros. Dans la foulée, l’entreprise annonçait le rachat d’un concurrent historique, le parisien Vivalib, intégrant un portefeuille de clients belges, hollandais et allemands. En ligne de mire : un autre rachat et la signature d’un partenariat d’ampleur avec un acteur du CAC40 pour la diffusion des offres d’Alogia Groupe. « Nous serons alors prêts à nous lancer dans une deuxième phase de croissance, pour aller sur des ambitions nationales », annonce Alexandre Petit, d’Alogia Groupe, évoquant un objectif de 30 millions d’euros de chiffre d’affaires dès 2022, le recrutement dès 2021 de cinquante collaborateurs, développeurs, ingénieurs en analyse de datas, en IA et des profils marketing.

Rêve de leadership

À la faveur de cette levée de fonds de trois millions d’euros, Olivier Delouis et Stéphane de Laforcade, fondateurs de Gekko group, spécialisé dans la réservation hôtelière en BtoB (vendu en 2018 au groupe Accor pour plus de 100 millions d’euros, NDLR) entrent à hauteur de 49 % au capital d’Alogia Groupe et en deviennent vice-présidents. Dès juin, ce même duo d’investisseurs posait un pied dans la silver économie girondine en prenant près de 30 % du capital, pour un montant non précisé, de Marguerite. « Nous allons activement accompagner cette jeune entreprise pour laquelle nous avons de grandes ambitions et qui va connaître une forte croissance et un impact social bien au-delà de nos frontières », indiquait Olivier Delouis. « Ces serial entrepreneurs, familiers de l’hyper croissance nous apportent une contribution significative en termes de ressources et de réseau. Il s’agit bien de se donner les moyens humains et financiers de devenir leader de l’accompagnement des personnes en France », se félicite Marion Favre Laurin, directrice générale de Marguerite.

Olivier Delouis et Stéphane de Laforcade, fondateurs de Gekko group, encadrent Marion Favre Laurin, directrice générale de Marguerite. A droite : Jean-Paul Di Cristo, président de Marguerite. — Photo : ken-wong-youk-hong

Pour Nelly Meunier, à la tête de Sunday, le confinement a permis de tester sa solution de partage de photos auprès d’une cinquantaine d’Ehpad et de finaliser une version dédiée aux tablettes. « Cette fonctionnalité était une demande des établissements et des grands-parents. Nous avons pu y répondre dans un timing parfait », se félicite Nelly Meunier, qui annonce par ailleurs une accélération en direction de la Belgique. La start-up, qui a recruté dix collaborateurs et se sentait à l’étroit au sein de l’accélérateur du Village By CA, a emménagé non loin de la Place de la Bourse, dans son premier "Sunday store". Les objectifs sont également ambitieux pour la jeune pousse en ordre de marche pour Noël ; la start-up aux 80 000 utilisateurs en convoite en effet 40 000 nouveaux après les fêtes. La rentabilité de la structure est, quant à elle, attendue en avril 2021, dans le cadre d’une émission d’obligations convertibles.

Autre succès, fin mai, Ernesti, plateforme de mise en relation des étudiants en santé et des personnes âgées pour une présence à domicile la nuit, remportait quant à elle le troisième prix de la 17e Bourse Charles Foix. Avec cette distinction, qui récompense les projets permettant d’améliorer la qualité de vie et l’autonomie des seniors et des aidants, la start-up bordelaise créée en 2017 par Séverine et Quentin Zakoian bénéficie d’un hébergement de six mois dans la pépinière parisienne Silver Innov.

« Le moment de se fédérer »

« Le confinement a poussé l’axe de communication relatif au bien-être des personnes âgées », reconnaît Aurélie Thevenet, fondatrice de Linestie, qui développe depuis 2017 une application de mise en relation entre une quarantaine de structures d’accueil, les résidents et les familles (2 salariés, 45 000 euros de CA en 2019). Une bonne chose dans un secteur qui, selon la jeune femme de 28 ans, souffre d’un manque de visibilité. « Nous devons trouver les moyens de nous fédérer. Mais la difficulté réside notamment dans le fait que nos activités, nos sujets, touchent tous les secteurs de l’économie, depuis la construction immobilière jusqu’à la conception de vélo adaptés ! La création d’un lieu institutionnalisé qui nous permette, à la manière d’un cluster de mieux nous connaître, de nous conseiller, c’est compliqué sur un secteur aussi vaste, mais c’est le bon moment », insiste Aurélie Thevenet, qui annonce un recrutement pour accompagner le développement commercial de son activité auprès d’établissements recevant des personnes handicapées, une offre de services actuellement testée au Pays basque.

Production de data

Il semblerait que ce vœu soit en passe d’être exaucé, notamment dans le cadre de la création du gérontopôle régional (lire ci-dessous), structure historiquement limougeaude qui se déploie à partir de ce mois de novembre sur l’ensemble du territoire néoaquitain. Une antenne bordelaise doit en outre ouvrir rapidement ses portes. Il semblerait aussi que des liens soient d’ores et déjà noués entre les structures. Ainsi, Alexandre Petit, d’Alogia Groupe, présent à 10 % au capital de Marguerite, est à l’origine du lancement de l’observatoire Ergocall, aux côtés de la start-up de Martillac.

Lancé pendant le confinement, en partenariat avec l’organisme de protection sociale AG2R La Mondiale, cet observatoire qui publie ses résultats deux fois par mois ambitionne de proposer « une stratégie post-Covid-19 dédiée aux 12,5 millions de seniors français et aux 11 millions d’aidants. » Domofrance, premier bailleur social en Nouvelle-Aquitaine, la foncière médico-sociale Logévie (devenue Enéal) et le groupe mutualiste de santé VYV ont ainsi fait appel à la plateforme téléphonique du dispositif, référencé outil numérique Covid-19 par le ministère des Solidarités et de la Santé, pour assurer un suivi auprès de 4 000 personnes. Selon Marion Favre Laurin, ces partenariats permettront en outre « de disposer de volumes suffisants pour produire de la data et se positionner en experts afin de prendre la parole sur ces sujets ». Un positionnement national ; les startuppers girondins regardant bien au-delà des frontières régionales. Alexandre Petit le martèle : « En 2050, la France comptera 24 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, un immense marché à adresser ».

Gironde # Santé