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Banque de France : « Il ne faut pas lâcher maintenant ! »
Interview Finistère # Conjoncture

Denis Kervella directeur départemental de la Banque de France Banque de France : « Il ne faut pas lâcher maintenant ! »

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Prévisions de croissance, Brexit, agroalimentaire, problèmes de recrutement… Denis Kervella, directeur départemental de la Banque de France, nous livre son analyse de la conjoncture économique actuelle, et invite notamment les dirigeants à ne pas attendre davantage pour investir.

— Photo : © Jean-Marc Le Droff / Le Journal des entreprises

Le Journal des Entreprises : Quelle est votre analyse de la situation économique actuelle ?

Denis Kervella : Les chiffres s'améliorent. Au second semestre 2017, le gouvernement prévoyait 1,7 % de croissance : on a fini à 2,3 %, soit autant que les États-Unis. La croissance mondiale est forte, à 3,8 %, mais sur le plan national aussi les indicateurs sont bons : investissements, ménages, construction… Tout va bien. On peut d'ailleurs lancer un cocorico sur les conditions de financement du crédit aux entreprises, qui sont particulièrement favorables en France, par rapport au reste de la zone Euro.

L'année dernière dans le Finistère, les chiffres d'affaires avaient augmenté : +5,7 % dans l'industrie, +4,9 % dans les services et +5 % dans la construction. On a aussi assisté à un recul des défaillances d'entreprises : -8,4 % dans le Finistère et -5,6 % en Bretagne. Le début d'année a été plus morose, mais ce phénomène est à tempérer car on se compare à une année précédente qui a été assez exceptionnelle en termes de croissance.

Le contexte actuel vous inquiète-t-il ?

D.K. : Les prévisions de croissance ne sont que de 0,4 % par trimestre, soit 1,8 % pour l'année 2018. C'est dû à des aléas négatifs comme la remontée des cours du pétrole, mais aussi aux mesures protectionnistes de Donald Trump dont l'impact est, il me semble, encore sous-estimé. C'est déjà arrivé avec le Brexit : la montée de l'incertitude agit forcément sur les marchés. Au final, rien ne s'est encore passé qu'on a déjà perdu. On peut par exemple se poser la question du commerce de gros de produits métalliques. À l'heure actuelle on ne sait pas où l'on va, mais on sait que si le commerce est impacté, l'investissement suit et, in fine, l'activité dans son ensemble.

D'une façon plus globale, on assiste à une montée de l'instabilité et à un accroissement considérable de l'endettement mondial qui atteint 240 % du PIB. La France n'est pas épargnée, tout comme les pays émergents. En Chine, par exemple, la dette privée ne représentait que 14 % du PIB en 2001 : elle est aujourd'hui à 55 %. C'est une tendance inquiétante à un moment où l'économie américaine tourne à plein et remonte ses taux d'intérêt, alors même que d'autres pays s'endettent en dollars.

Qu'est-ce qui freine la croissance française, selon vous ?

D.K. : Ce repli d'activité est en partie dû à des facteurs d'offres et à des problèmes de recrutement. On bute sur notre croissance potentielle, qui est estimée en France à 1,25 %, quand l'Allemagne est à 1,9 %. On a aussi un problème de compétitivité-coût, malgré des mesures comme le CICE. Mais le coût n'est pas le seul facteur. Nos voisins se sont par exemple positionnés sur le haut de gamme… C'est aux entreprises de se positionner sur la recherche, de chercher à monter en gamme, et d'investir sans attendre en permanence la prochaine réforme ! Et ce d'autant plus que les taux d'intérêt actuels ne seront jamais plus aussi bas…

« C'est aux entreprises de se positionner sur la recherche, chercher à monter en gamme et investir, sans attendre en permanence la prochaine réforme. »

Le recrutement est, lui aussi, un sujet de préoccupation, quand on voit notre niveau de chômage structurel. L'Allemagne compte par exemple 20 000 prestataires de formation, quand la France en compte 60 000 : nos prestataires ne sont manifestement pas au niveau.

Il y a aussi l'énorme sujet de la dépense publique, qui atteint 56 % du PIB, quand la moyenne dans la zone Euro se situe à 45 %. Ces 11 points de différence représentent tout de même près de 240 milliards d'euros, d'où les prélèvements obligatoires qui s'ensuivent. Je ne parle pas du tout de brader le modèle social, mais des pays comme la Suède nous prouvent qu'on peut avoir une dette publique à 50 % du PIB et une économie ultra-performante. Et puis il faut voir les choses en face : l'Europe fiscale et réglementaire n'existe pas. Pire, quand des directives européennes arrivent, il n'est pas rare que la France en rajoute une nouvelle pincée… La simplification est au cœur des réformes à engager.

Quels sujets de préoccupation identifiez-vous chez les dirigeants finistériens ?

D.K. : Dans le secteur agroalimentaire comme dans la construction, la question de la volatilité des prix et la difficulté à répercuter les hausses quand elles surviennent. Là encore, c'est dû à la concurrence mondiale. Même chose dans le bâtiment, qui est par ailleurs impacté par la baisse globale des aides au logement et à la rénovation. Mais le sujet le plus gênant reste l'incertitude sur la fiscalité et la réglementation : ça bouge trop souvent et c'est trop complexe.

À ce propos, les réformes actuelles vous semblent-elles pertinentes ?

D.K. : On est engagé dans un cycle de réformes extrêmement ambitieuses et qui, selon moi, vont dans le bon sens. Ce flot de réformes peut paraître flou, mais il a le mérite d'être global. Il faut persévérer et amplifier cette dynamique, car une période de croissance est un bon moment pour engager des réformes. Il faudra du temps pour en voir les bénéfices, - au minimum deux ou trois ans, mais selon moi on ne patine pas à cause des réformes, mais bien parce que l'on bute sur notre croissance potentielle. Mon message de fond, c'est que ce n'est certainement pas maintenant qu'il faut lâcher et qu'il faut investir dès aujourd'hui.

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