Apprentissage, arrêts maladie : comment l’État compte économiser 10 milliards d’euros aux dépens des entreprises
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Apprentissage, arrêts maladie : comment l’État compte économiser 10 milliards d’euros aux dépens des entreprises

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Cette fois, le "quoi qu’il en coûte" semble bien avoir vécu. Après avoir porté l’économie à bout de bras depuis la crise du coronavirus, le gouvernement veut inverser la tendance en 2024. Il promet 10 milliards d’euros d’économies dans son prochain budget. Une coupe qui ne sera pas sans conséquence pour les entreprises.

Dans sa grande remise à plat des dépenses de l’État, le gouvernement remet sur la table la question de la suppression de la niche fiscale sur le gazole non-routier (GNR). Mais il promet, désormais, sa suppression "progressive", doublée de mesures d’accompagnement pour les entreprises concernées — Photo : P. Fleury

Fini le "quoi qu’il en coûte", place au "tant que ça coûte moins". L’exécutif a exposé ses pistes, le 19 juin, pour remettre un peu d’ordre dans les comptes de l’État, après trois années de crises exceptionnelles et de dérapages des dépenses. Résultat : si Emmanuel Macron a paru distribuer encore des milliards d’euros la semaine dernière (à la pharmaceutique, la French Tech, puis l’aéronautique), l’ambiance était tout autre, aujourd’hui, dans les allées de Bercy, où étaient organisées les "Assises des finances publiques". Car l'heure est aux économies.

L’équation est tout à la fois simple et complexe pour le gouvernement : ramener le déficit public à 2,7 % en 2027 (contre 4,7 % l’an dernier) et réduire la dette "de 4 points de PIB" d'ici là (elle était à 111,6 % au dernier pointage), a martelé Bruno Le Maire.

Pour y parvenir, "ni austérité, ni angélisme", a promis le ministre de l’Économie. "Nous ne tomberons ni dans la facilité des hausses d’impôts, ni dans l’erreur du coup de rabot", a renchéri la chef du gouvernement Élisabeth Borne. Le tout "sans renoncer à aucune des priorités fixées par le président de la République". Un jeu d’équilibriste, qui risque pourtant bien de faire des perdants et des victimes, du côté des entreprises. Sur les 10 milliards d’euros d’économies envisagées dès la prochaine loi de finances 2024, au moins quatre mesures risquent de les impacter très directement.

Formation : coup de frein sur l’apprentissage et le CPF

Les aides à l’apprentissage vont-elles finir par faire les frais de la nouvelle bataille du gouvernement pour "désendetter" la France ? Leur coût astronomique avait notamment été critiqué par la Cour des comptes. Sans aller jusqu’à les remettre en cause pour l’instant, Bruno Le Maire semble amorcer un virage : "Nous ne sommes plus dans la situation d’il y a six ans", a-t-il prévenu, quand cette voie de formation peinait à attirer candidats et entreprises. Depuis, le nombre de contrats a battu des records d’année en année. Le ministre de l’Économie entend donc refermer un peu les vannes : il envisage "de réduire le prix des formations payées par l’État pour les apprentis, pour compenser certains abus sur les marges". Pour le CPF (compte personnel de formation), un "ticket modérateur" pourrait également voir le jour. "Quand le taux de chômage diminue, le coût des aides à l’emploi doit diminuer", estime en effet le patron de Bercy.

Transports : le robinet du GNR progressivement coupé

Si l’État resserre les politiques publiques en matière de formation en dépit des difficultés de recrutement, pas question, en revanche, de revenir sur la transition écologique. Bien au contraire : c’est au nom de la "cohérence" et de l'"efficacité" avec les dépenses environnementales déjà engagées que Bruno Le Maire s’attaque précisément aux avantages fiscaux sur les énergies fossiles.

Dans son collimateur, cette fois : les tarifs réduits sur les carburants en général, le gazole non-routier (GNR) en particulier, accordés aux transports routiers, au bâtiment, aux travaux publics et à l’agriculture. Leur disparition devra être "progressive, […] sur 4 ans, en nous donnant un calendrier d’ici 2030" (sic), le tout adossé à des mesures d’accompagnement "pour aider [ces entreprises] à opérer leur transition". Fini donc les échéances repoussées d’une année sur l’autre, même si l’objectif de suppression de ces niches fiscales, lui, demeure. "Ce n’est pas simple, ni facile à entendre, mais c’est un vrai choix politique pour la Nation", s’est justifié le ministre.

Santé : les arrêts maladie dans le viseur

On croyait la santé à l’abri des coupes budgétaires depuis le Covid-19. Il n’en sera rien. Ainsi, la progression fulgurante de l’absentéisme en entreprise n’a pas échappé au gouvernement. Bruno Le Maire a relevé les compteurs : 8,8 millions d’arrêts maladie l’an dernier, c’est 37 % de plus en dix ans et 16 milliards d’euros de dépenses au total.

L’exécutif va donc plancher avec les partenaires sociaux, entre autres, afin de trouver les "instruments les plus efficaces pour lutter contre ces dérives. Chacun doit être davantage responsabilisé, du salarié au chef d’entreprise, en passant par le médecin. L’absentéisme ne peut pas être une fatalité en France". Certes. Mais de là à n’en faire qu’une question de budget et de fraude, sans y voir aussi un enjeu de santé publique et le symptôme d’un mal-être au travail, il n’y a qu’un pas que le ministre de l’Économie semble allègrement franchir.

Logement : des économies, malgré la crise

De la même manière, crise du logement ou pas, Bruno Le Maire a adopté un discours uniquement comptable pour justifier la fin du dispositif Pinel et la restructuration du prêt à taux zéro, annoncée au début du mois. "Cela représente une économie globale de plus de 2 milliards d’euros à terme", s’est-il réjoui. Et tant pis si les professionnels de l’immobilier et du bâtiment dénoncent à cor et à cri les conséquences de ces mesures sur leur activité, déjà en chute libre.

Peu d’économies, beaucoup de perdants ?

"Il existe d’autres chemins que les politiques d’austérité ou les hausses d’impôts", a tenté de positiver Élisabeth Borne, en conclusion de ces Assises des finances publiques. Mais il n’y aura pas de miracle non plus.

Même si la Première ministre compte sur l’augmentation de la croissance économique et les réformes en cours (retraites, plein-emploi, lutte contre les fraudes…) pour "dégager des marges de manœuvre", le prochain budget risque quand même de déclencher une pluie de mécontentement, pour une goutte d’eau de désendettement. Les 10 milliards d’économies présentées aujourd’hui ne représentent, après tout, que 0,65 % des dépenses réalisées par les administrations publiques en 2022. Et 0,34 % des 2 950 milliards d’euros que représente leur dette.

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