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En région Sud, le crowdfunding ne connaît pas la crise
Enquête Région Sud # Capital

En région Sud, le crowdfunding ne connaît pas la crise

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En 2020, le financement participatif (ou "crowdfunding") a dépassé la barre du milliard d’euros collectés. Rencontre avec des PME du Sud qui ont recours à cette nouvelle forme de financement à l’écart des acteurs officiels et qui ont ainsi pu, au-delà des sommes levées, tester un produit et acquérir de la notoriété.

Pour Charlie Rousset et Guillaume Barathon, les deux cofondateurs de la start-up aixoise Morphée, le financement participatif "donne une idée de l'attrait du public pour votre produit et permet de savoir à quel niveau lancer la production" — Photo : Morphée

Pourquoi ne pas faire financer ses projets par les particuliers ? Depuis quelques années, un nouveau mode de financement est en effet disponible pour les entreprises, quand les banques rechignent à prêter et quand les fonds ont encore besoin de preuves de concept : le financement participatif (ou "crowdfunding"). Ce mode de financement, à l’écart des acteurs traditionnels du secteur, fait tout simplement appel à l’épargne des particuliers. Démocratisées par l’industrie musicale (le chanteur Grégoire réunit, en 2008, 70 000 euros pour produire son premier album grâce à la plateforme My Major Company), les plateformes de crowdfunding ont fleuri et occupent désormais une place non négligeable dans la chaîne du financement.

La crise sanitaire liée au coronavirus, qui a ralenti l’économie mondiale et plongé des secteurs entiers dans l'atonie, n’a pas réussi à gripper la croissance du financement participatif. Au contraire. Pour la première fois de son histoire, le crowdfunding a dépassé en France la barre symbolique du milliard d’euros en 2020, avec une collecte de 1,02 milliard, en croissance annuelle de 62 %, selon les résultats d’une étude réalisée par l’association Financement Participatif France et le groupe d’audit Mazars.

En 2015, le crowdfunding ne pesait que 167 millions d’euros. Quel autre secteur d’activité peut se vanter d’avoir vu son activité multipliée par six en cinq années ? En 2021, 31 plateformes de financement participatif existent en France, dont certaines sont généralistes et d’autres spécialisées sur des secteurs précis (projets agricoles et viticoles et financement participatif à visée sociale, comme Tudigo qui finance des projets dits "responsables") ou plus axées sur l’international, comme Kickstarter. Petit à petit, les opérateurs créent d’ailleurs des filiales spécialisées, à l’instar de Wiseed, la plateforme de financement participatif toulousaine (25 salariés, 4,9 M€ de CA en 2019), qui vient de lancer une structure, baptisée Wiseed Transitions, dédiée à la transition énergétique et qui vise la collecte de 100 millions d’euros d’ici à 2024.

14 000 PME ont fait appel au crowdfunding

Encore largement utilisée par les particuliers (à l’origine de 54 000 projets en 2020) et les acteurs de l’économie sociale et solidaire (43 000), le crowdfunding gagne chaque année davantage de terrain dans les start-up et plus largement dans les entreprises. En 2020, 3 000 start-up françaises ont fait appel au crowdfunding et plus de 14 000 TPE, PME et ETI sont également allées chercher du cash sur ces plateformes, que cela soit sous forme de prêts, de dons, de royalties ou de capital.

"Il existe en effet quatre grandes familles de financement participatif, chacune adaptée aux objectifs de financement de l’entreprise et à son niveau de maturité", détaille Gaëtan Ferrante, chargé de mission accompagnement et financement chez TVT innovation, la structure d'accompagnement de l'innovation du Var. "Il existe le don sans contrepartie et le don contre don, dont le format le plus connu est la prévente. Il existe aussi le crowdlending ou crédit communautaire, qui permet à des particuliers de prêter de l’argent aux entreprises. Il y a enfin le crowdequity, qui s’adresse aux entreprises souhaitant lever des fonds grâce au financement participatif. Les deux premières formes de financement participatif sont particulièrement adaptées aux projets grand public, qui proposent un produit." Ce système de prévente est aujourd’hui largement utilisé pour financer un lancement de production.

Nicolas Roux et Antoine Franz, fondateurs de Zimple3D, ont présenté leur produit au CES de Las Vegas en 2020 — Photo : Zimple 3D

Nicolas Roux, l'un des fondateurs de Zimple3D, start-up dont l'ambition est de sécuriser et simplifier l'utilisation d'imprimantes 3D par les particuliers et les professionnels, se souvient : "En 2017, nous étions étudiants. Nous n’avions donc pas de financements. La mise en production de notre premier produit aurait été inimaginable sans financement participatif. La plateforme Kickstarter s’est imposée à nous comme une évidence, permettant de réaliser un test grandeur nature et réel du marché avec de vraies commandes". Basée à Solliès-Pont, dans le Var, l’entreprise a, depuis 2017, réuni près de 100 000 euros au travers de trois campagnes.

De même, Norah Luttway, fondatrice et dirigeante de la société niçoise Noliju, créée en 2016 et positionnée dans la création d’une gamme complète de vêtements de sport pour femmes, a eu recours au crowdfunding deux fois en 2020 pour lancer la production de nouveaux produits. "Depuis le début du premier confinement de mars 2020, j’ai lancé deux opérations. La première pour le lancement d’un modèle de maillot de bain, fabriqué au Portugal, entièrement conçu à partir de polyester recyclé italien haut de gamme, aux nombreuses propriétés techniques, et la seconde, en novembre, concernait une parka 100 % made in France, avec du tissu conçu dans des usines françaises et fabriquée dans une usine niçoise", rappelle la dirigeante, qui avait déjà eu recours à cette méthode en 2019 pour la vente d’un pantalon sur la plateforme à vocation internationale Kickstarter. "L’avantage est de produire ainsi sur-mesure ou presque. Nous fabriquons simplement la quantité précommandée, cela permet d’éviter la surproduction et les surstocks", ajoute-t-elle.

"Le financement participatif permet de mesurer l’engagement de sa communauté."

Même son de cloche au sein de la société aixoise Morphée (12 salariés – CA : 6 M€), créée en 2017 par Charlie Rousset et Guillaume Barathon, qui propose deux objets innovants pour "déconnecter", des boîtiers dédiés à l’endormissement et au sommeil. "Nous avons réalisé deux opérations de crowdfunding, en octobre 2017 et en mai 2020, chaque fois sur le principe de la prévente", précise le dirigeant, dont l’entreprise a ainsi levé 300 000 euros et s’est positionnée comme le 24e plus gros dossier traité par la plateforme Ulule. "Ce système permet de mesurer l’engagement de sa communauté. Cela donne une idée de l’attrait du public pour votre produit et cela permet de savoir à quel niveau on doit lancer la production", poursuit-il.

Une prévente, au juste prix

Si Nicolas Gambini, fondateur de l’entreprise Notilo Plus (25 salariés – CA : 1 M€) basée à Marseille et à Lyon et spécialisée dans la fabrication de drones sous-marins dédiés à la plongée, confirme cette idée "d’étude de marché en grandeur réelle", il attire toutefois l’attention sur un risque de la prévente. "En 2016, date de notre opération sur la plateforme américaine Indiegogo, au cours de laquelle nous avons récolté 200 000 dollars, nous ne disposions pas vraiment de prototype. Notre produit est très complexe et nécessitait encore beaucoup de R & D. La prévente a proposé un tarif préférentiel très bas, mais la mise au point du produit a pris beaucoup plus de temps que prévu. Il ne faut pas se laisser piéger et intégrer ce paramètre, sans oublier, bien sûr, que le tarif proposé doit rester attractif pour inciter le grand public à investir".

Soigner sa communication

Rien n’est toutefois gagné par avance : le système des préventes est en effet contraint par un objectif précis à atteindre au risque de perdre ce qui est déjà acquis. "C’est un peu tout ou rien. Cela demande une visibilité maximale et une très grande organisation. Il faut prévoir au moins deux mois de préparation, mener la communication en amont, créer le contenu qui va avec le produit… Il s’agit d’acquérir de nouveaux clients. Ce n’est pas anodin. Il faut bien travailler ses objectifs", recommande par ailleurs Norah Luttway.

Nicolas El Robrini, fondateur de Pharm’Aging — Photo : PROSPeRFUN - Nicolas Prosperini

Un avis partagé par Nicolas El Robrini, président et fondateur de la société Pharm’Aging (3 salariés), créée en 2018 et basée au sein de l’hôtel Technoptic de la pépinière Marseille Innovation. L’entreprise a lancé sa marque de produits cosmétique en septembre 2019 sur Ulule et a réalisé 200 préventes, soit 8 000 euros, en cinq semaines. "La communication est souvent sous-estimée dans une opération de crowdfunding. Pourtant, une opération de financement participatif est une vraie campagne de communication. Cela permet de mesurer si des gens sont prêts à acheter vos produits", souligne le dirigeant. Pour y parvenir l’entreprise doit ainsi créer la communauté la plus large possible et parler de son projet bien en amont.

"Pour le cas d’Evoluflor par exemple (logiciel métier qui répond aux besoins des fleuristes et vient de lever 450 000 €, NDLR) qui a été hébergé au sein du Village by CA Provence Côte d’Azur à Sophia Antipolis, sa dirigeante Béatrice Caula a d’abord fait entrer des fleuristes dans son capital", détaille Jean-François Richardoz, responsable du Village by CA. "C’est elle qui est allée les chercher et les a ramenés sur la plateforme Tudigo afin de se constituer un premier cercle d'investisseurs. Ensuite, elle a ouvert le financement au grand public. Là, l’histoire racontée est capitale. Elle doit faire vibrer la fibre émotionnelle des gens, potentiels investisseurs. Par définition, dans le financement participatif, on essaye d’atteindre la foule. Il faut donc déjà avoir une communauté bien établie, c’est notamment cette visibilité que nous travaillons pour faire briller la marque".

"L’histoire racontée est capitale. Elle doit faire vibrer la fibre émotionnelle des gens, potentiels investisseurs."

"C’est un travail très chronophage que j’avais sous-estimé", regrette de son côté Fabien Marie-Luce, créateur de la société aubagnaise PapyZouk (CA : 700 000 euros – 4 salariés) qui commercialise une série de neuf planteurs (cocktail à base de rhum de la cuisine antillaise) et qui, en 2017, a réalisé une opération de crowdfunding sur Bulb in Town. "Cela prend du temps de construire et fédérer une communauté. Et cela a un coût. Il n’est pas possible de tout faire quand on a la tête dans le guidon. Il ne faut se lancer qu’après avoir constitué un important réseau. Plus la boule de neige est grosse, plus elle entraîne…"

Près d’1 million d’euros levés sur Wiseed

C’est le cas de Solar Cloth System (CA 2019 : 156 000 euros - 6 salariés), basée à Mandelieu, près de Cannes. L’entreprise, créée en 2014 par Alain Janet qui conçoit et fabrique des textiles photovoltaïques fins et flexibles offrant une autonomie énergétique, vient de boucler la troisième plus grosse levée de fonds jamais réalisée par la plateforme Wiseed, afin de pouvoir passer en phase d’industrialisation. "Nous avons levé près d’un million d’euros sur la plateforme de financement participatif alors que nous visions initialement 700 000 euros, puis les 900 000 euros. Nous n’avons pas eu de preuves à faire au niveau du concept car nous avions déjà été financés sur Wiseed en 2016."

Si le jeu en vaut en effet très souvent la chandelle, il peut arriver que l’opération n’entraîne que des déconvenues. C’est le cas d’un start-upper du sud de la France, spécialisé dans les énergies renouvelables, démarché par la plateforme Ayomi, qui se présente comme la première intelligence artificielle permettant d’obtenir un financement de 30 000 euros à 2,5 millions d’euros. "J’ai été laissé à moi-même pendant toute la campagne. Puis Ayomi a oublié de clôturer l’opération, n’a pas fait les démarches juridiques pour créer la holding et n’a pas fourni les papiers permettant aux investisseurs de bénéficier de mesures de défiscalisation. Ils n’ont toujours pas débloqué les fonds et j’ai donc décidé d’engager un avocat", confie le dirigeant, qui précise : "Les objectifs que je m’étais fixés n’ont pas été atteints et j’ai perdu de potentiels investisseurs par un manque de rigueur d’Ayomi. J’ai perdu beaucoup d’énergie, de temps. Cette campagne a aussi terni mon image et j’espère ne pas perdre la confiance d’investisseurs. Pour renforcer mes fonds propres, j’ai finalement choisi de me tourner vers des prêts d’honneur", conclut-il.

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