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Les sous-traitants aéronautiques de Loire-Atlantique préparent leur stratégie de rebond
Enquête Loire-Atlantique # Aéronautique # Ressources humaines

Les sous-traitants aéronautiques de Loire-Atlantique préparent leur stratégie de rebond

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Ils subissent de plein fouet la brutale chute des cadences de production d’Airbus. La rentrée s’annonce houleuse pour les sous-traitants de l’aéronautique de Loire-Atlantique confrontés, comme leur donneur d’ordre, à une baisse charge de plus de 30 %. En même temps que les défaillances et restructurations, les plus de 140 PME de la région concernées se mettent en quête de nouveaux marchés.

— Photo : CC BY SA 2.0

La rentrée promet d’être rude pour les sous-traitants de l’aéronautique. « Traditionnellement, c’est à la rentrée, en octobre, que l’on voit les défaillances de ceux qui ont souffert de la fermeture des usines en août », confie François Dallet, président du cluster Aéronautique au sein de Neopolia. Sur les 140 PME sous-traitantes du secteur en Pays de la Loire qui font travailler plus de 10 000 salariés, combien cette année passeront à la barre du tribunal de commerce ? Impossible de le dire à l’heure où nous écrivons ces lignes mais déjà, les mauvaises nouvelles s’accumulaient cet été.

Impactés directement par la baisse d’activité de plus de 30 % d’Airbus, plus de 700 postes étaient menacés chez les sous-traitants de Loire-Atlantique en juillet : 200 chez Stelia à Saint-Nazaire, 340 sur les 5 sites de Daher en Loire-Atlantique, 89 chez Halgand à Saint-Brévin, 74 chez Mecachrome à Sainte-Luce. Et ce n’est pas fini, prédit François Dallet. La rentrée aura un goût amer pour les plus petits sous-traitants, de rang 2 ou 3, qui venaient déjà, en janvier de digérer la révision des contrats passés avec Airbus. La période s’avérera encore plus douloureuse pour les PME qui ont déjà souffert de l’arrêt brutal en début d’année du programme 737 max de Boeing.

Des fusions et restructurations inévitables

Certaines subissent des baisses d’activité de plus de 85 %. « Plus un fournisseur est éloigné dans la supply chain, plus la reprise sera lointaine. Quand Airbus baisse d’un tiers sa production et qu’il commande moins parce qu’il a des stocks, cela se répercute sur les sous-traitants de rang 1 qui eux-mêmes freinent leurs commandes sur les plus petits sous-traitants », explique François Dallet.

Manifestation devant le site AIrbus de Saint-Nazaire le 8 juillet. — Photo : JDE

Dans ce contexte, les restructurations et les fusions seront, selon lui, inévitables d’ici la fin de l’année 2020. « Les grandes manœuvres ont déjà commencé. Nous allons affronter des situations très difficiles avec des dirigeants actionnaires de leurs entreprises qui vont devoir brader leur entreprise, qui représente pour eux le fruit d’un long travail. Il y aura des situations humainement éprouvantes », prévoit François Dallet, PDG de la PME Sérigraphie de l’ouest (SIO) spécialisée dans le marquage industriel, à Beaucouzé (Maine-et-Loire).

La crise liée à l’épidémie de Covid-19 ne ferait alors qu’accélérer une tendance qui était déjà latente pour les sous-traitants, de grossir pour moins subir la baisse des prix imposée par les avionneurs. ETI, PME, TPE, tout le monde pourrait être concerné par des restructurations. À quelle ampleur ? Le prolongement du dispositif de chômage partiel annoncé par le Premier ministre le 26 août pourraient peut-être permettre à quelques entreprises de se maintenir à flot. Pour celles qui n’auront pas coulé, il faudra revoir le cap, se diversifier pour ne plus dépendre uniquement de l’activité d’Airbus alors qu’un redécollage de la filière n’est pas envisagé avant au moins 2023. « Il y a aujourd’hui deux typologies de dirigeants du futur : ceux qui vont travailler seuls et augmenter leurs prix. Ceux-là vont mourir. Et puis il y a l’autre famille de dirigeants, ceux qui auront une stratégie de rebond avec une prise de conscience écologique », estimait Nicolas Orance en mai dernier, alors dirigeant de Daher Aerospace.

Pivoter vers les éoliennes

« Chez Europe Technologies, nous commençons par exemple à travailler pour l’e-commerce avec la société LivingPackets. Je ne connaissais rien au e-commerce mais j’y vais. Il va falloir oser, quitte à prendre des risques incroyables », explique Patrick Cheppe, PDG d’Europe Technologies (370 salariés, 65 M€ de CA). Des marchés de rebond abordables dès maintenant, le réseau Neopolia en a identifié trois. Il y a d’abord celui de l’aérospatial "mais il n’y aura pas de places

Photo : Hans Hillewaert

pour tout le monde", prédit François Dallet. Puis le marché des énergies marines renouvelables, actuellement en pleine structuration avec le démarrage du chantier du champ éolien offshore au large de Guérande. « Un sous-traitant qui fait d’habitude du composite pour l’aéronautique pourrait se mettre à fabriquer des pâles d’éoliennes en matériaux composites par exemple », propose le pilote du cluster Aerospace qui discute actuellement avec son homologue du cluster Energies Marines Renouvelables au sein de Neopolia. Enfin, troisième marché porteur : celui du médical, en lien avec les acteurs locaux de l’électronique comme le groupe Lacroix à Nantes, Selva à Nantes, Eolane à Angers, Cofidur en Mayenne. « Ces derniers peuvent être intéressés par les compétences en tôlerie fine, en usinage de précision de certains sous-traitants », explique François Dallet.

« Il faut que ces projets soient résilients, on ne peut pas sortir des projets chargés en CO2 ou en énergie fossile »

Des solutions de rebond comme celles-ci, Olivier Croix, PDG de la PME industrielle Monroc en Vendée, en a identifié des dizaines. Un travail de prospective qu’il avait lancé il y a plusieurs mois avec le CDM, le collectif de chefs d’entreprises industrielles des Pays de la Loire qu’il préside. Il a affiné la copie pendant le confinement en collaboration avec trois autres dirigeants de PME industrielles également à la tête d’associations de dirigeants : Christophe Buchet, PDG de l’équipementier automobile Sarr au Mans et représentant régional de l’organisation professionnelle France Industrie, Yann Jaubert, PDG de Alfi Technologies (100 salariés, 30 M€ de CA) dans les Mauges et ambassadeur d’Alliance Industrie du Futur et de la Frenchfab49 et Marc Moreuil, directeur du site de La Rochelle du sous-traitant aéronautique Chatal (WeAre Aerospace).

Trouver des nouveaux marchés immédiats et résilients

Pour eux, le marché des énergies marines renouvelables est loin d’être le seul créneau porteur. « Nous avons, par exemple, listé 7 ou 8 projets autour de la mobilité vertueuse, des réflexions sur les matériaux avec, notamment, des pistes autour de la création de structures rigides ou d’hélices de bateaux en composite », explique Olivier Croix. Le collectif réfléchit également à lancer des « circuits industriels courts et locaux. Il faut faire le lien entre le fabricant d’aluminium, celui qui le recycle, et les moyens de le réutiliser », précise le président du CDM.

La liste complète des projets a été transmise au Conseil régional des Pays de la Loire en juin. « Il ne faudrait pas attendre », insiste Olivier Croix. « Il faut travailler sur des sujets nouveaux et immédiats car certains marchés historiques ne reviendront pas. Et il faut que ces projets soient résilients. On ne peut pas se permettre de sortir des projets chargés en CO2 ou en énergie fossile », poursuit-il.

à gauche Olivier Croix, PDG du fabricant d'essieux vendéen Monroc et président du CDM, accompagné de son frère entrepreneur Laurent. Tous deux se sont diversifiés en créant la marque de poêle à granulé Cocon. — Photo : Monroc

Ses propos font écho au manifeste signé à Nantes en juin par Airbus et 34 autres industriels du pôle EMC2 tels que Manitou, Chantiers de l’Atlantique, Cougnaud Construction, de s’engager désormais vers des projets écologiques et responsables. « Nous travaillons sur un plan de relance pour aller vers un avion « vert » et connecté. Nous allons donc travailler sur la production de biocarburant, l’avion électrique, l’électronique de puissance, toujours dans une logique de zéro émission. On compte aussi accélérer sur les technologies composites et sur l’automatisation qui rend possible ces technologies », précisait en mai 2020 Nicolas Orance, en tant que directeur du site Daher Aerospace.

À l’heure où la trésorerie reste la priorité numéro 1 des entreprises, le rebond des sous-traitants ne pourra se faire sans le soutien de la collectivité. « Il pourrait prendre la forme d’une assurance pour partager les risques », suggère Olivier Croix. « Il y a des marchés où les entreprises n’osent pas aller parce qu’il y a des risques commerciaux en plus des verrous technologiques », poursuit-il. La Région n’a pas encore répondu à cette proposition.

Le difficile pari de la relocalisation

Alain Leroy, président du réseau d'entreprises industrielles des Pays de la Loire Neopolia. — Photo : Neopolia

Autre sujet sur lequel les industriels tentent de mobiliser les pouvoirs publics et pas seulement au niveau régional, celui de la relocalisation d’activités sous-traitées à des entreprises étrangères. Alain Leroy, président de Neopolia, avait lancé un appel sur le sujet dès le mois de mai. Le Conseil régional a répondu par la mise en place du programme Résolutions qui vise à mettre en relation des grands groupes avec des PME. Mais la théorie semble bien difficile à mettre en pratique « Nous avons pour le moment deux PME membres qui jouent le jeu. Ainsi, le groupe ECA, basé à Couëron (Loire-Atlantique), va industrialiser un transporteur autonome, un petit chariot sans pilote avec un moteur hydrogène. Il faut qu’on intensifie la démarche », souligne Alain Leroy.

Le dirigeant espère notamment que le gouvernement lui-même montre l’exemple sur le chantier du parc éolien de Guérande, en incitant EDF Renouvelables, porteur du projet, à privilégier les sous-traitants locaux. « Il n’est pas audible de constater que EDF Renouvelables, où l’État est à plus de 85 % actionnaire, fasse appel à des sociétés étrangères et hors CEE pour des prestations où les entreprises locales ont remis des offres présentant des intérêts évidents », s’agace Alain Leroy. La mesure apporterait un véritable bol d’air à tous les sous-traitants de l’aéronautique qui cherchent justement à rebondir vers le marché de l’éolien marin.

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