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Vincent Bedouin (Groupe Lacroix), l'homme pressé
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Vincent Bedouin (Groupe Lacroix), l'homme pressé

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À la tête du Groupe Lacroix depuis 2015, Vincent Bedouin a transformé le groupe électronique familial nantais coté en bourse en passant des panneaux routiers à la smart city. Portrait d’un homme pressé qui vient de donner le feu vert pour une nouvelle usine électronique en Anjou.

C’est un événement en soi sur ce marché. Cela faisait 20 ans qu’il n’y avait pas eu de construction d’usine électronique en France. Le groupe Lacroix a confirmé, en octobre 2019, qu’il allait construire une usine électronique en plein cœur des Mauges, en 2021. Il y investit, conjointement avec la SPI géré par Bpifrance 25 millions d'euros. Dotée d’outils de production automatisés, tous connectés en 5G, la nouvelle usine, vitrine de l’industrie 4.0 qui se prépare en partenariat avec Orange, Microsoft, certains des plus grands fournisseurs mondiaux de machines spécialisées et Schneider Electric, n’aura plus rien à voir avec le site centenaire de Montrevault de l’ETI familiale, dont le siège social est basé à Saint-Herblain (482 M€ de CA, 4 000 salariés).

Le groupe Lacroix emploie actuellement 460 personnes dans son usine de Montrevault-sur-Evre — Photo : Groupe Lacroix

« Il y a encore trois ans, le projet n’était même pas imaginable », confie la responsable de l’usine, Emmanuelle Landru. « C’est grâce à Vincent, qui a changé la culture du groupe », poursuit-elle. Après avoir redéfini la mission de l’entreprise et fixé un niveau d’ambition en rupture, Vincent Bedouin a initié ce projet, l’un des premiers qu’il a mis en place quand il a repris la direction de l’entreprise cotée en Bourse, dont le capital est toujours contrôlé à 70 % par la famille. Son objectif : doubler, en 5 ans, pour le faire passer à 100 millions d’euros, le chiffre d’affaires du site français de l’équipementier électronique en se diversifiant sur les marchés de l’industriel mais aussi de plus grands volumes en plus de l’aéronautique déjà bien présent sur le site actuel. Ce projet audacieux qui nécessite 25 M€ d’investissements, monté en un temps record est à l’image de l’ambition de Vincent Bedouin.

« Je suis fan »

à gauche Vincent Bedouin, le PDG, entouré des directeurs du groupe Lacroix. — Photo : Groupe Lacroix

Il va vite, très vite. Depuis qu’il est devenu président du directoire fin 2015, puis PDG en 2018, Vincent Bedouin a transformé le groupe créé par son grand-père puis géré par son père Jean Bedouin, décédé il y a un an. L’aîné de la fratrie a repris le flambeau à peine âgé de 40 ans. « Je lui dis régulièrement de faire attention à sa santé », confie Muriel Barnéoud, directrice de l’engagement sociétal du groupe La Poste, qui fait partie de son conseil d’administration. Elle ne tarit pas d’éloge sur ce jeune PDG qu’elle ne connaissait pas avant qu’il la sollicite pour entrer au conseil d’administration. « Au départ, je ne voulais pas, j’allais au rendez-vous pour lui dire non, que je n’avais pas le temps. Mais quand je l’ai rencontré, je n’ai pas pu faire autrement que de lui dire oui. Je suis fan. J’ai rarement vu un mélange d’agilité intellectuelle, de capacité à se remettre en cause, de lucidité ». Ce qui la convainc alors, c’est la vision assurée du chef d’entreprise. Il veut faire de l’entreprise qui faisait initialement des panneaux de signalisation un groupe au service des smart cities, leader des objets connectés industriels, et embarquer avec lui toute la filière de l’électronique française. Muriel Barnéoud rejoint au conseil d’administration Nicolas Bedouin, frère de Vincent et DG délégué du groupe, Ariane Malbat (DRH du groupe Seris), Hubert de Boisredon (président du groupe Armor), Marie-Reine Bedouin, Hugues Meili (président de Niji) et Pierre Tiers (président de Novaplus).

Aller plus vite que la concurrence

Le groupe Lacroix est un équipementier technologique qui travaille pour les grands donneurs d’ordres tels que Véolia, Engie, Dalkia, EDF, Safran ou Somfy. « Nous sommes un petit Siemens : périmètre aussi large, techno et industriel, mais beaucoup plus agile et pertinent dans nos niches métiers », explique Vincent Bedouin. Ses concurrents sont des PME locales sur certains créneaux précis. « Mais aucune n’a la même portance ni les opportunités de développement ». « On a un plan de développement potentiel incroyable ». Via ses 10 sites industriels, dont une majorité à l’étranger (Allemagne, Pologne, Tunisie, Espagne, Italie, Belgique et Singapour), le groupe fournit des équipements connectés pour la gestion des infrastructures de la voirie intelligente (éclairage public, gestion et régulation du trafic, etc.), et pour la gestion des infrastructures d’eau et d’énergie. « Ces deux domaines vont exploser dans les cinq prochaines années. On va devoir être bon mais le groupe Lacroix peut jouer le leadership mondial », selon Vincent Bedouin.

L’ETI produit aussi des équipements électroniques pour les secteurs de l’automobile, de la

A gauche : Joachim Schuster, DG de SAE IT-systems, accompagné de Vincent Bedouin, président du groupe Lacroix — Photo : Groupe Lacroix

domotique, de l’aéronautique, de l’industrie ou de la santé. L’entreprise cotée en Bourse depuis 1992 réalise près de 70 % de son activité hors de France. Après quatre opérations de croissance externe en quatre ans, elle a, en ligne de mire, les États-Unis où elle a de grandes ambitions sur le marché de l’environnement et des véhicules autonomes, mais aussi de l’électronique. « Tout l’enjeu est d’aller vite. Si nous y pensons, cela signifie que d’autres y pensent aussi, en même temps, quelque part dans le monde », estime le PDG.

Casser les silos

Pour aller encore plus vite, il a remis en question les silos de l’entreprise, transformant le holding financier, qui contrôlait 3 activités distinctes sans réelle synergie, en une seule ETI. « Cela change tout. « Auparavant, certains employés ne se côtoyaient jamais. J’ai assisté à des réunions où trois employés qui ne s’étaient jamais rencontrés, ont compris qu’ils travaillaient tous sur le même sujet », se souvient Landry Chiron, en charge de la communication pour le groupe Lacroix. Pour faire adopter cette nouvelle culture d’entreprise, Vincent Bedouin a d’abord dû convaincre son père qu’il avait les épaules pour le faire. C’était en 2006, deux ans après être entré dans l’entreprise. « Je suis allé le voir à la maison et je lui ai dit : Lacroix Electronics va dans le mur, la transformation et le repositionnement sont trop lents par rapport au marché et à la concurrence. Soit tu nommes un bon directeur général et je m’en vais car je prends déjà trop de place, soit je prends le poste, mais je constitue mon équipe avec certains cadres clés qui roulent pour moi, et je dois remplacer les autres. Je me suis fait rappeler à l’ordre parce qu’il pensait que je faisais du chantage », se souvient le chef d’entreprise. Jean Bedouin appelle alors les fameux cadres clés qui lui confirment que son fils voyait juste.

L’aîné de la famille fait donc ses preuves. En devenant directeur de l’activité Lacroix Electronics à 29 ans, il réussit à multiplier par quatre le chiffre d’affaires de l’activité, le faisant passer de 85 à 330 M€, tout en reprenant un concurrent allemand et en démarrant une activité « from scratch » en Tunisie. Le jeune homme d’alors est diplômé de l’École de Management Lyon et a débuté sa carrière chez Vivendi Universal Net en 2001, où il occupait les postes de chef de produit puis de responsable grands comptes jusqu’en 2003. Il rejoint Lacroix Electronics en 2004, en tant que responsable du marketing stratégique avant de s’en voir confier la direction générale en 2006.

Un entrepreneur né

Son leadership s’est, en fait, naturellement imposé. « Il est entrepreneur depuis qu’il est né ! Quand on était petit, c’était lui le chef de la bande de copains. Il avait déjà envie d’être aux manettes et a toujours eu ce besoin d’impacter », se souvient son frère Nicolas Bedouin entré dans l’entreprise quelques mois avant lui. À la maison, les deux frères entendent en permanence parler de l’entreprise, passée de 10 salariés à leur naissance à quelques milliers de collaborateurs à leur majorité. « En 2000, notre père nous a réunis dans le salon pour nous dire : est-ce que cela vous intéresse de reprendre l’entreprise, parce que sinon je vends. Nous sentions bien qu’il avait envie qu’on se lance », se rappelle Nicolas Bedouin. Aujourd’hui, les deux frères travaillent ensemble, comme deux collaborateurs. « Je suis le pilote et Nicolas gère le carburant financier. Il est hyperpointu dans son domaine », explique Vincent Bedouin.

Vincent Bedouin - président de Lacroix Group — Photo : Olivier Hamard JDE

C’est lui qui valide les investissements de son frère, lui aussi qui gère les quatre reprises… Cette volonté d’aller très vite ferait presque penser à Elon Musk, le charismatique dirigeant de Tesla, connu pour ses prises de risques. Il est pourtant l’anti-modèle de Vincent Bedouin. « La starification, je trouve cela dangereux. Mon modèle c’est plutôt « Employee first, customer second », du nom du best-seller de l’entrepreneur indien Vineet Nayar. « Parce que le sourcing des talents, c’est vraiment le nerf de la guerre. Nous ne sommes pas les plus gros, il faut donc que l’on fonctionne en équipe. Pour cela, il faut donner du sens », argumente Vincent Bedouin.

Chef de file de l’électronique professionnelle

Cet esprit d’équipe, l’ancien joueur de football la met en pratique dans son conseil d’administration mais aussi au sein du réseau We Network dont il a repris la présidence en 2017 et qui réunit autour d’une même table les principales entreprises de l’électronique professionnelle pourtant concurrentes, tout comme des PME et usines clientes. Là encore, il change les méthodes, notamment lors des CA qui réunissent 35 personnes tous les trimestres. « Il est à la fois très à l’écoute, vigilant à ce que tout le monde ait la parole et il ne veut pas de conflit larvé. Il n’hésite donc pas à parler franchement, voire à taquiner certains qui peuvent être des concurrents. Il veut que l’on progresse tous ensemble. Et cela se ressent, crée la confiance. Dans une industrie de sous-traitance comme la nôtre, c’est important d’avoir un leader qui incarne », explique Sébastien Rospide, directeur général du réseau We Network.

"Chacun individuellement, on ne pourrait pas, il faut se transformer en filière"

Sous son impulsion, la filière électronique professionnelle française s’est dotée d’un cluster qui réunit tous les industriels, les chercheurs, les collectivités, mais aussi d’un technocampus qui permet aux industriels de tester des prototypes tout en intégrant la Cité de l’objet connecté donnant encore plus d’envergure à la filière. Objectif : garder la position de leader européen sur cette filière où la France est l’une des rares à devancer l’Allemagne. « Dans les cinq prochaines années, nous pouvons être une vraie force pour l’industrie française. Chacun individuellement, on ne pourrait pas, il faut se transformer en filière », explique Vincent Bedouin. Avec toutes ses responsabilités, le PDG également engagé au sein du Club des Trente, confie avoir peu de temps pour les loisirs. De toute façon, « ma passion c’est Lacroix », confie-t-il. Son peu de temps libre, le week-end et les vacances « sacralisées », Vincent Bedouin le consacre à sa femme et ses jeunes enfants de 5 et 7 ans « pour des moments de joie, d’affection et d’éducation ».

Et paradoxalement, cet homme pressé cultive aussi des moments clés d’introspection, de prise de recul et de « ré-energisation » dans son jardin au milieu d’une forêt et à travers sa passion pour l’art méticuleux et délicat des bonsaïs.

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