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Lacroix met un stop aux produits non-RSE
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Lacroix met un stop aux produits non-RSE

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Après la vente de son activité historique de fabrication de panneaux de signalisation, l’ETI nantaise Lacroix se focalisera entièrement sur la fabrication d’objets électroniques et connectés. Sur un marché en pleine ébullition, elle veut adresser des secteurs qu’elle juge "utile" ou à "impact", et en bannit d’autres comme l’exploitation pétrolière.

Vincent Bedouin, directeur général de Lacroix, veut orienter ces équipements électroniques vers des marchés en lien avec l'environnement — Photo : Lacroix

L’électronique et la data sont aujourd’hui partout. Dans la santé, l’industrie, les services publics… Pour un groupe tel que Lacroix (5 300 salariés), qui fabrique des composants électroniques et des objets connectés, les opportunités de développement sont gigantesques. La diversité des axes de croissance envisageables presque sans limites… À l’inverse des ressources planétaires, comme le silicium et les métaux rares, présents en quantité limitée sur Terre. Et en même temps indispensables aux équipements électroniques. "Parmi toutes les opportunités, nous devons sélectionner des cas d’application qui représentent une solution que nous jugeons utile ou avec un impact positif", rapporte Vincent Bedouin, PDG du groupe Lacroix. Ce dernier voit cette démarche comme un devoir éthique. Des secteurs ont ainsi totalement été exclus, comme l’exploration pétrolière, la drogue, le tabac, les jeux vidéo, ainsi que le trafic d’armes illégal. "Nous n’arrêterons pas de travailler avec nos clients existants. Mais ils savent que nous serons à terme amenés à bifurquer", détaille le PDG.

Une réflexion rationalisée

Pour aller vers des marchés vertueux, encore faut-il pouvoir classer de manière rationnelle les différents secteurs et produits. "Nous avons mis au point un impact score. Ce dernier est déterminé avec des références qui prennent en compte la taxonomie européenne (classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement, NDLR), les différentes analyses du GIEC, ainsi que les scénarios Ademe sur la neutralité carbone en 2050", précise Vincent Bedouin. Actuellement, parmi les 90 millions de produits vendus à l’année par Lacroix, 61 % se trouvent avoir un impact positif selon ce score. "L’objectif est de monter à 80 % d’ici 2030", appuie Vincent Bedouin. Des produits catégorisés comme neutres continueront aussi d’être fabriqués. Cette catégorie comprend des équipements notamment pour le secteur de l’aéronautique, de l’automobile, ou encore pour le pilotage de chaudières ou de pompes à chaleur.

Au-delà de cette sélection, les clients veulent aussi des garanties du bien-fondé des dispositifs électroniques achetés. "Nous devons être capables de mesurer les économies d’énergie, d’eau ou de carbone que notre dispositif apporte. Il faut aussi s’assurer que le coût environnemental de notre technologie soit bien moindre par rapport aux économies permises", analyse le PDG. Selon lui, le marché de l’électronique fait partie de la solution face aux défis environnementaux, mais il prend garde à ne pas tomber dans le technosolutionnisme. "Il faut une densité de technologie proportionnée. L’exemple de l’éclairage public est criant. Dans une zone piétonne ou un parc, il peut être intéressant d’installer des dispositifs de détection de mouvement à chaque poteau afin de limiter l’éclairage seulement lorsque c’est nécessaire. À l’inverse, dans des zones industrielles où les voitures circulent, il suffit d’installer un dispositif dans une armoire électrique par exemple, pour contrôler la lumière dans l’ensemble du quartier".

Une croissance externe avant fin 2025

Ce nouveau positionnement ne devrait pas ralentir les activités de l’ETI nantaise. Après un chiffre d’affaires de 708 millions d’euros en 2022, Lacroix a clôturé l’exercice 2023 avec une croissance un peu inférieure à 15 %. Les États-Unis représentent entre 20 et 25 % du chiffre d’affaires, avec une croissance relativement similaire des deux côtés de l’Atlantique. La branche électronique pèse pour 70 % du chiffre d’affaires total. "Dans nos deux autres branches d’activité, City et Environnement, les activités sont semblables avec des objets connectés dédiés à la gestion des transports, des infrastructures liées à l’eau, ou encore des réseaux de chaleur", poursuit le PDG.

À contre-courant du reste des ventes, la branche City possède encore une activité proche de la métallurgie, avec la fabrication de panneaux de signalisation routière. Une activité historique pour Lacroix, qui souhaite s’en séparer par manque de synergie avec les autres branches (lire par ailleurs). Amenuisée par cette vente, l’ensemble City et Environnement devrait bien se remplumer par la suite grâce à une nouvelle acquisition de Lacroix, prévue dans son plan à horizon 2025. Il faut dire que l’ETI n’en est pas à son coup d’essai dans ce domaine. L’entreprise est déjà présente en Allemagne, notamment suite à l’acquisition de SAE IT-Systems en 2019. Cet achat lui a procuré le statut de leader en Allemagne sur les solutions IoT permettant de raccorder les installations d’énergie renouvelable aux réseaux électriques. Deux ans plus tard, en 2021, c’est avec l’acquisition de Firstronic, un sous-traitant électronique, que Lacroix franchit l’Atlantique et met un pied aux États-Unis. "La future acquisition externe se fera aussi hors de France. Nous avons une priorité pour les États-Unis, mais cela pourrait également se faire en Allemagne", confie Vincent Bedouin. Les autres zones du globe ne rentrent pas encore dans les plans de l’entreprise. "Les marchés asiatiques, surtout la Chine, auront tendance à privilégier des solutions locales. De plus, nous avons encore beaucoup à faire sur les territoires où nous sommes pour l’instant", poursuit le directeur.

Le défi de la RSE outre-Atlantique

Suivant le lieu de cette future acquisition, la politique RSE qui y sera accolée va forcément varier. Car sur ce point, Lacroix n’avance pas au même rythme des deux côtés de l’Atlantique. "La RSE doit avant tout être comprise et acceptée par les équipes sur place. Or, si en Europe il y a une réelle prise de conscience des enjeux environnementaux par tous les acteurs, ce n’est pas le cas aux États-Unis. La notion de vivre dans un monde aux limites finies est peu prise en compte", remarque le directeur général. Aujourd’hui, une grosse partie des activités électroniques de Lacroix aux États-Unis concerne l’automobile. "Nous nous dirigerons vers d’autres segments de marché mais cela se fera doucement. Nous devons démontrer qu’au-delà des questions écologiques, ces choix sont aussi et surtout les plus intéressants", conclut Vincent Bedouin. Car au-delà de l’aspect éthique, le directeur voit dans les équipements dédiés aux infrastructures environnementales une perspective économique saine et porteuse.

Des difficultés de recrutement

En France en tout cas, les engagements environnementaux sont ancrés. "Nos équipes et nos futurs salariés ont également des attentes vis-à-vis des marchés ciblés". Ce virage RSE constitue donc aussi un argument supplémentaire pour attirer les salariés de demain au sein de ses usines, comme Symbiose, inaugurée dans le Maine-et-Loire en 2022. "Nous avons clairement du mal à recruter sur le territoire. Nous avons par exemple dû faire venir des opératrices de Pologne pour nos lignes de production", témoigne le PDG. Il faut dire que les besoins sont massifs : avec un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros en 2022, et une croissance de 25 % au premier semestre 2023, Symbiose tourne au-delà des prévisions, et devrait atteindre les 100 millions d’euros avant l’objectif prévu de 2027. De quoi conforter Lacroix dans sa stratégie de sélectionner les secteurs adressés comme bon lui semble.

Encadré : Lacroix cède son activité de signalisation à une holding américaine

C’est son activité historique. Depuis presque un an, le groupe Lacroix, fondé en 1936, était à la recherche d’un repreneur pour son activité de fabrication de panneaux de signalisation routière. Ce segment représentait en 2022 un chiffre d’affaires de 55 millions d’euros (8 % du total) et concerne 315 salariés à travers le site industriel de Saint-Herblain, et trois filiales de distribution. Le nom de l’élu est tombé le mois dernier : il s’agit de la société d’investissement industriel American Industrial Acquisition Corportation (AIAC). Cette dernière comprend 80 sites industriels, avec des activités très variées, dans 24 pays d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie.

Responsabiliser le management

Le groupe nantais justifiait cette vente notamment par le manque de synergie entre cette activité de transformation du métal, et les équipements électroniques, devenus aujourd’hui le centre de gravité du groupe. "Le repreneur est un groupe américain, mais les équipes et leurs interfaces sont européennes", veut-il rassurer suite à l’annonce de l’investisseur. "Il s’agit d’une holding industrielle et non d’un fonds de fusion-acquisition qui rachète à court terme avec une logique de revente. Ils ont une moyenne de plus de 10 ans dans leur participation", poursuit le directeur. Le deal entre les deux groupes, entrés en négociation exclusive, devrait se conclure durant ce premier trimestre. Au total, Lacroix a reçu un peu moins d’une dizaine d’offres et marques d’intérêt. "L’unité signalisation a obtenu de bons résultats 2023 (encore non publié). Cela a permis d’entretenir une belle dynamique et d’avoir un choix plus large de repreneurs". De son côté, AIAC revendique une expérience dans la reprise de filiales de grands groupes. "Il vise à terme à rendre les unités au maximum autonome. Leur politique tend donc à responsabiliser le management, ce qui est intéressant pour les équipes sur place", appuie Vincent Bedouin.

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