Loïg Chesnais-Girard (Région Bretagne) : « La Bretagne saura traverser cette crise »
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Loïg Chesnais-Girard président du Conseil régional de Bretagne Loïg Chesnais-Girard (Région Bretagne) : « La Bretagne saura traverser cette crise »

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Le président de la Région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, ne ménage pas ses efforts pour aider les entreprises à faire face à la pandémie de coronavirus. Multipliant les déplacements dans les territoires, interpellant l’État ou l’Europe sur leurs devoirs et responsabilités (Brittany Ferries, Nokia...). Dans cette période économique compliquée, Loïg Chesnais-Girard veut préserver les emplois et se place en « capitaine » du bateau Bretagne pour épauler les entrepreneurs.

Candidat du PS aux élections régionales 2021, le président de la Région Bretagne Loïg Chesnais-Girard s'attèle pour le moment à épauler les entrepreneurs et à sauver les emplois sur les sites menacés. — Photo : © Virginie Monvoisin

Début septembre, lors du premier Forum économique breton, vous avez dit à l’adresse des patrons : « Soyons enthousiastes ». C’est de la méthode Coué, vu le contexte, ou un vrai message d’espoir que vous êtes venu faire passer ?

Loïg Chesnais-Girard : La Bretagne doit cultiver l’enthousiasme, ce qui n’empêche pas d’être inquiet sur la mort silencieuse de petites entreprises ou sur des dossiers compliqués. Nous en avons beaucoup dans le Nord-Bretagne. Mais il faut rester enthousiastes car ce Covid-19 est aussi, au-delà des drames pour les hommes et les entreprises, un accélérateur de transition. La Bretagne saura traverser cette crise. Nous avons des fondamentaux puissants, une identité forte qui nous permettent de dessiner un chemin.

Le coronavirus a tout bousculé sur son passage, ébranlant fortement certains secteurs. Quelles filières vous inquiètent le plus ?

Loïg Chesnais-Girard : Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les entreprises dépendant de grands groupes sur lesquels on n’a pas la main. Quand une entreprise ne va pas bien mais que les entrepreneurs sont Bretons et les centres de décision ici, on peut explorer toutes les voies, travailler toutes les pistes. Mais quand vous êtes face à un Nokia ou un Air France, vous avez en face de vous un conseil d’administration qui a d’autres contingences à gérer que les sujets bretons. Et ça, pour un élu, c’est rageant… Sur les filières, le secteur qui nous préoccupe est celui de la restauration, qui vit des moments compliqués. Ça a été un peu masqué parce que l’été a été bon en Bretagne mais, là, nous sommes dans la période où l’on redécouvre le réel… La situation des discothèques aussi est inquiétante.

« Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les entreprises dépendant de grands groupes sur lesquels on n’a pas la main. »

Faut-il craindre pour l’avenir ?

Loïg Chesnais-Girard : J’ai deux grosses inquiétudes. Premièrement, que les entrepreneurs y laissent leur patrimoine. Ensuite, c’est le sort des hommes et des femmes dans les entreprises, les salariés qui se retrouvent dans une précarité importante. Il n’y a rien de pire que de vivre dans une société où la pauvreté et la précarité s’accentuent. Mais on a une économie résiliente, une population qui continue de manger, qui veut des produits sains, tracés, de qualité. Or, en Bretagne, nous avons ce qu’il faut en magasin, avec la pêche, l’agriculture et la transformation alimentaire.

Photo : © Virginie Monvoisin

À quel genre d’année faut-il s’attendre en 2021 ?

Loïg Chesnais-Girard : 2021 sera sans doute une année secouée par des vents contraires. Des dynamiques fortes vont se poursuivre dans les secteurs d’activité où nous avons des fondamentaux et une vision, comme pour l’alimentation ou la navale, qui vont bien. Celui de l’automobile, aussi, parce que les investissements faits par PSA, par la Région, vont permettre de transformer cette industrie avec les enjeux des transitions écologiques. Ce sont des secteurs qui poussent. Mais dans le même temps nous allons connaître des chocs, avec des entreprises qui disparaîtront et donc une partie de la population qui se retrouvera sans emploi, avec des enjeux de reformation, de requalification et de réorientation.

Des fleurons de l’économie bretonne sont touchés de plein fouet par les conséquences du Covid-19, à l’instar de Brittany Ferries. Les Régions Bretagne et Normandie prévoient d’apporter 85 millions d’euros dans un plan de sauvetage complet. L’État, 15 millions. Cela sera-t-il suffisant ?

Loïg Chesnais-Girard : Nous avons besoin d’un pavillon France ! Brittany Ferries est cet emblème. C’est le plus gros armateur, celui qui embauche le plus de marins en mer, une entreprise à capitaux français et avec des Régions (la Bretagne et la Normandie, NDLR) propriétaires des bateaux. Si Brittany Ferries coule, nous aurons des bateaux Transmanche sous pavillon offshore. Et cela signera la fin de la filière France. Ce serait impardonnable ! On perdrait des compétences, un savoir-faire et une exposition au monde, de par notre façade maritime, qui est extraordinaire. C’est un sujet de souveraineté que je défends.

« Notre intérêt à agir sur Brittany Ferries, c’est le maintien d’un pavillon France. »

Nokia a annoncé un plan social qui pourrait se traduire par la suppression de 400 emplois sur le site de Lannion. Avez-vous des moyens de pression pour éviter ces licenciements massifs ?

Loïg Chesnais-Girard : Je représente une Région, pas un État. J’ai la capacité de m’exprimer, d’interpeller le gouvernement et de mettre de l’argent si l’entreprise veut développer le site de Lannion. Mais si le seul prisme de Nokia, c’est le coût du travail et l’augmentation de l’Ebitda, là, on ne peut plus lutter ! On a applaudi quand Alcatel a été racheté par Nokia, parce qu’on nous a dit que ce serait stratégique pour l’Europe, que Lannion allait être au cœur de cette puissance de feu, que c’était la renaissance du Phénix. On se sent floué. Combien d’argent, payé par nos entrepreneurs, a été mis dans Nokia avec le crédit impôt recherche, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, les aides à l’investissement et à l’innovation ? On a tous mis de l’argent. L’État, la Région, l’Europe. Et maintenant, on s’en va ? Quel est le message que l’on passe aux générations futures ? Nous refusons le plan et voulons l’annuler.

Depuis le début de la crise, la Région Bretagne a mis en place de nombreuses mesures de soutien aux entreprises. Quelle somme, au global, avez-vous mobilisée ?

Loïg Chesnais-Girard : L’engagement total de la Région dépasse les 300 millions d’euros, dans lesquels il y a beaucoup de choses différentes. Des achats pour nos services, du soutien aux territoires (matériel sanitaire, tests…), mais aussi deux engagements forts. Le fait d’avoir payé les sociétés de transport (autocars…) sans regarder à l’équilibre financier. Et l’accompagnement des outils de l’État. On a mis plusieurs dizaines de millions d’euros sur les fonds de solidarité et les aides d’accompagnement pour les entreprises.

Quelles relocalisations ou localisations d’activités nouvelles pourraient être profitables à la Bretagne ?

Loïg Chesnais-Girard :
Mon ambition politique, c’est une Bretagne du plein-emploi et une Bretagne décarbonée. C’est notre objectif commun, celui que nous partageons, je crois, avec les entrepreneurs. On peut travailler sur l’énergie en général. C’est un sujet sur lequel la Bretagne a exprimé des ambitions. Si je voulais être provocateur, je dirais que l’alimentation pourrait être relocalisée puisque 60 % des poulets que l’on mange viennent de la filière export. Je suis un développeur optimiste qui pense que cette Bretagne a des atouts, et nous pouvons démontrer, dans les domaines de l’énergie, de l’industrie de transformation ou de la navale, que nous avons une compétitivité globale largement supérieure à beaucoup d’endroits dans le monde…

« Nous avons une compétitivité globale qui est largement supérieure à beaucoup d’endroits dans le monde. »

Est-il possible selon vous de développer le territoire tout en répondant aux enjeux de la RSE ? « Je veux les usines et l’écologie », avez-vous dit…

Loïg Chesnais-Girard :
J’ai 42 ans. Nous sommes dans une situation mondiale dont on connaît maintenant les limites. Il faut les intégrer à l’équation économique. Cela ne veut pas dire qu’on doit abandonner nos ambitions de développement économique sûres pour la planète et pour les hommes et les femmes. Parce que, si on oublie ça, on va créer de la pauvreté et on peut se retrouver dans des situations de délitement de la société. Et de mon point de vue, l’enjeu social est tout aussi important que l’enjeu environnemental.

Le Covid-19 va-t-il bouleverser la donne sur la manne financière que consacre la Région aux grands travaux et infrastructures. Certains grands projets vont-ils être décalés ?

Loïg Chesnais-Girard : Je ne décalerai pas de projets de manière volontaire. Mon plan d’investissement est décalé de par la désorganisation des entreprises et des filières. Cette année, je ne vais pas mettre les 100 millions d’euros prévus dans les lycées. Non pas pour faire des économies mais parce que les entreprises n’ont pas pu produire pour 100 millions de travaux. Et je ne vais pas mettre autant d’argent dans la fibre cette année pour les mêmes raisons. Ce n’est pas un problème de choix politique mais de capacité de réponse de nos entreprises. Ensuite, il y aura des réorientations sur certains sujets. Ce sera vraisemblablement le cas dans les aéroports…

Photo : © Betermin

Quelle est votre feuille de route sur ce sujet, à l’heure du désengagement d’Air France dans les territoires (fermeture programmée du site Hop! de Morlaix entre autres) ?

Loïg Chesnais-Girard :
Les aéroports sont et resteront des actifs stratégiques à long terme. Nous sommes propriétaires de Rennes, Quimper et Brest. À l’avenir, nous trouverons des solutions de lignes aériennes sobres en carbone. Mais le changement de modèle économique génère des risques majeurs sur les sociétés qui exploitent ces aéroports et des chocs sur nos territoires parce que quand des lignes ferment, ça provoque de grandes difficultés pour nos entrepreneurs. Il faut trouver des solutions de sauvegarde pour nos outils et penser les modèles de demain.

Qu’en est-il de la place accordée à l’innovation ? À quoi répond la disparition prochaine de Bretagne Développement Innovation (BDI), l’agence économique de la Région ?

Loïg Chesnais-Girard : On supprime BDI mais on ne supprime pas la compétence. Nous allons mieux l’intégrer à la Région. J’ai souhaité reprendre les manettes car aujourd’hui, nous avons besoin d’un capitaine pour mener le bateau Bretagne. J’assume ce rôle devant les patrons. J’assume d’avoir une vision stratégique, une ambition d’accompagner les innovations. J’ai aussi l’ambition de porter une mission économique, qui consiste aussi à accompagner les crises ou les tensions qui peuvent exister sur le territoire.

Les élections régionales approchent. Comment vous préparez-vous à cette échéance ?

Loïg Chesnais-Girard : Je suis à ma tâche à 100 % pour le moment (il a toutefois été désigné, le 8 octobre, chef de file PS pour les élections régionales de mars 2021, NDLR) et je pense que les Bretons ont autre chose en tête que les élections. Ils veulent savoir ce que font les élus pour eux. Je veux faire passer le message que nous sommes matin, midi et soir avec les entrepreneurs, et avec les syndicats de salariés, pour trouver des solutions !

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