Coronavirus : dans la tempête, la filière pêche bretonne essaye de résister
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Coronavirus : dans la tempête, la filière pêche bretonne essaye de résister

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Les acteurs bretons de la pêche rencontrent de grandes difficultés. Les sorties en mer sont contrariées et les débouchés se raréfient, en raison notamment de la fermeture des restaurants. Les régulateurs du marché cherchent cependant à limiter les dégâts. Grâce à une plateforme digitale qui connecte les poissonniers, les restaurateurs et les grandes surfaces, le rennais Procsea veut également apparaître comme une nouvelle solution d'approvisionnement.

Les professionnels de la pêche bretonne souffrent de la crise du coronavirus. Des aides, des solidarités et de nouvelles opportunités de débouchés permettent cependant à la filière de résister — Photo : © Ready Prod

La filière pêche en Bretagne, première région productrice de pêche française (91 000 tonnes par an) grâce à ses 1 200 navires et ses 5 000 marins pêcheurs, cherche à sortir la tête de l’eau. La crise du coronavirus frappe en effet de plein fouet le marché des produits de la mer frais. La fermeture de la restauration hors foyer, l’évolution de la consommation vers des produits non périssables en GMS, et toutes les incertitudes des protagonistes de la chaîne, ont entraîné une chute brutale des ventes ces dernières semaines. Les grandes criées de Lorient et Roscoff souffrent (c’est un peu moins vrai ces derniers jours avec des volumes qui se sont adaptés à la demande), tout comme celle de Saint-Malo, beaucoup plus modeste avec sa flotte de petits bateaux côtiers mais qui pâtit de ses débouchés traditionnels à l’export en Espagne et en Italie.

« La crise est forte »

« La crise est forte. Fin mars et début avril ont été catastrophiques », lance Alexandre Lebrun, directeur d’exploitation des ports de Saint-Malo et Cancale. Difficile en effet pour les entreprises de pêche de prendre la mer, toute à la difficulté d’appliquer les mesures barrière et sans garantie de pouvoir écouler leur marchandise. Pas simple non plus pour les mareyeurs (acheteurs en gros de produits de la mer, NDLR) de savoir si la pêche sera au rendez-vous et s’ils pourront vendre à d’autres grossistes ou grandes surfaces dans la situation du moment.

Photo : © Procsea

Avec la crise sanitaire, la moitié de l’activité de la filière, d’amont en aval, est à l’arrêt. Et certaines pratiques de marins pêcheurs qui actionnent de nouveaux leviers de vente pour leur survie, ajoutent aux difficultés. « Le mareyage, tout comme celui des halles à marée est impacté par le développement de la vente directe qui s’accroît depuis un mois, observe ainsi le service pêche de la Région. Or ce segment sera essentiel dans la reprise d’une activité progressive de la filière, à la sortie du confinement ».

Appel à la solidarité des distributeurs

Dans ce contexte, les garants de la bonne régulation du marché ont un rôle à jouer. C’est le cas à Saint-Malo où les équipes d’Edeis, gestionnaire du port, essayent de jouer les facilitateurs. En apportant aux pêcheurs des informations précises sur les besoins des acheteurs. Et aux acheteurs, sur la prévision des apports. De quoi éviter les pertes sèches sous criée. Ces équipes ont dans le même temps lancé, fin mars, un appel à l’aide aux supermarchés et hypermarchés de la région pour les approvisionner en circuit court. Appel entendu. Systeme U, Intermarché, Cora et Carrefour ont répondu favorablement. « On a trouvé de nouveaux clients pour des mareyeurs et d’autres ont été enregistrés en criée. En dix jours, nous avons eu sept nouveaux acheteurs. La filière reste fortement impactée mais le soutien à notre criée nous offre une embellie. La chaîne logistique se renforce », se réjouit Alexandre Lebrun.

La Région cherche aussi a aider. Elle a favorisé, fin mars, le déblocage d’un crédit de 10 millions d’euros en faveur de l’Association bretonne des acheteurs des produits de la pêche, qui gère les transactions financières entre les acheteurs et les producteurs. Cela permet à ses adhérents de poursuivre leurs achats. Dans le même temps, les collectivités se tiennent prêtes à prendre les mesures qui s’imposent pour soutenir la filière, pendant ou après le confinement. Si une exonération des taxes et redevances portuaires n’est pas à l’ordre du jour, toute autre aide utile, tel le report du paiement des redevances du domaine public, apparaît possible. Le groupement interportuaire Pêche de Bretagne approuve enfin l’activation récente par l’Union européenne de l’aide à l’arrêt temporaire d’activité.

Nouvel axe de développement commercial

Présente en France, mais aussi en Angleterre et Suisse, la start-up rennaise Procsea (70 salariés, CA : NC), spécialisée dans la commercialisation de produits de la mer, veut aussi apporter son aide. Sa « market place », lancée en 2016, se veut une criée internationale en ligne qui rassemble toute la chaîne de valeur. Elle compte quelque 1 000 clients, dont une centaine de mareyeurs. Parmi eux, de nombreux acteurs bretons, à l’instar d’Arpège Marée et Les Viviers Quiberonnais à Lorient (Morbihan) ou Louis et Georges à Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d’Armor).

Photo : Procsea

« Si la plus grande partie de notre activité se fait avec les restaurateurs, on alimente aussi la grande distribution et les poissonneries restées ouvertes. Tous les jours, grâce à notre plateforme, des professionnels trouvent de nouveaux clients. Dans la situation du moment où la demande se raréfie, ça leur ouvre de nouveaux débouchés. On leur offre un nouvel axe de développement commercial », explique Renaud Enjalbert, cofondateur et PDG de Procsea.

Rendre plus fluide le circuit d’approvisionnement

Procsea régule plusieurs centaines de commandes chaque jour. En ces temps de crise, elle tente d’améliorer son outil pour venir en aide à la filière. L’entreprise a ainsi lancé un fil d’actualités afin d’informer quotidiennement ses clients (un millier en temps normal, une centaine de clients actifs aujourd’hui) des tendances du marché : les bateaux en activité, l’ouverture des criées, le volume des débarques… Elle a aussi développé de nouvelles fonctionnalités de précommande ou de prévente, qui permettent par exemple d’écouler un stock qui n’a pas été débarqué sur le port. De quoi rendre plus fluide le circuit d’approvisionnement, faciliter les transactions et permettre aux pêcheurs utilisateurs de la plateforme de s’assurer que leurs sorties en mer ne seront pas vaines…

Vers un « produits-locaux.bzh » des professionnels ?

Renaud Enjalbert a jeté un regard attentif au lancement, le 9 avril, par la Région, du site produits-locaux.bzh, dont l’objectif est de rapprocher producteurs et consommateurs bretons. En une semaine, il rassemble déjà plus de 100 professionnels de la mer et de l’aquaculture. « C’est une bonne initiative. Ce qui pourrait être intéressant c’est de regarder comment dans cette période les professionnels pourraient eux aussi travailler ensemble pour réduire l’impact de la crise. Nous mêmes, nous sommes l’équivalent de ce modèle-là en B to B. Si on peut faire quelque chose qui peut aider dans cette démarche, notamment en direction des mareyeurs, on le fera », conclut le dirigeant.

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