Crise Russie-Ukraine : ces entreprises françaises qui retiennent leur souffle
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Crise Russie-Ukraine : ces entreprises françaises qui retiennent leur souffle

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Les entreprises doivent-elles trembler face à l’aggravation de la crise avec la Russie, au sujet des frontières de l’Ukraine ? Pour l’instant, les autorités françaises relativisent l’impact économique de ces tensions. Mais les PME liées à l’un ou l’autre de ces deux États commencent à en ressentir les effets. Et les ramifications de ce conflit restent incertaines, notamment pour l’agroalimentaire et les prix de l’énergie.

Les sanctions occidentales prises contre Moscou, dans la crise ukrainienne, pourraient fragiliser le demi-millier d'entreprises françaises qui ont des filiales en Russie, mais aussi pénaliser les exportations tricolores vers ce pays — Photo : Helen Filatova

Circulez, il n’y a rien à voir. Officiellement, l’économie française est à l’abri de la crise géopolitique entre la Russie et l’Ukraine. C’est en tout cas le message que fait passer Bercy depuis le 22 février.

La délicate question du prix de l’énergie

Moins de 24 heures après la décision de Moscou de reconnaître l’indépendance des territoires séparatistes de Donetsk et Lougansk, Bruno Le Maire indiquait ainsi aux journalistes que les conséquences seraient "contenues" pour l’Hexagone. Même discours, le lendemain matin, au micro de BFMTV : "La Russie n’est pas un État économique majeur pour la France", a martelé le ministre de l’Économie. Et d’insister sur la relative faiblesse des échanges bilatéraux : 5,15 milliards d’euros d’exportations en 2020 (plutôt stable depuis plusieurs années), essentiellement dans les transports (à 24 %) et la chimie-cosmétiques (21 %), contre 5,71 milliards d’importations (en baisse depuis 2018), avec une place prépondérante des produits pétroliers (45 % de ce total) et des hydrocarbures naturels (32 %).

De fait, ces montants ne représentent qu’1 à 2 % de l’ensemble de nos échanges extérieurs. Pour autant, le commerce entre la France et la Russie pèse quasiment 11 fois plus que celui réalisé avec l’Ukraine. Et sur la délicate question de l’énergie, 20 % du gaz utilisé dans l’Hexagone provient de Russie. Contre 40 %, en moyenne, au niveau européen, a relativisé Bruno Le Maire. "La France n’est pas en première ligne sur ces questions d’approvisionnement… Sur le prix, en revanche, effectivement, il peut y avoir une augmentation", a-t-il concédé. Avant de promettre que le "gel des prix du gaz", activé par le gouvernement, pourrait être prolongé si besoin et "[serait] respecté… pour les particuliers". Quid des professionnels alors ? Mystère. Et pourtant, c’est bien l’un des (nombreux) sujets qui inquiète aujourd’hui le monde agricole.

L’agriculture française ne veut pas revivre 2014

"Pour faire des engrais, il faut du gaz", a expliqué la présidente de la FNSEA, la principale fédération du secteur, sur BFM Business, le 22 février. Or, avant même la crise ukrainienne, ces intrants avaient déjà vu leurs prix flamber "de 90 % en un an - c’est énorme !", a lâché Christiane Lambert, partisane d’une répercussion de ces coûts sur les tarifs pratiqués par les producteurs. Autre marché, même conséquence : le conflit actuel pourrait perturber le blé et pénaliser l'agroalimentaire français, moins en termes d’approvisionnement, que de coût, avec un cours de cette céréale d'ores et déjà volatil. L’Ukraine (régions contestées incluses) représente en effet, à elle seule, 12 % des exportations mondiales, souligne encore la patronne de la FNSEA. Mais les tensions avec la Russie pourraient avoir encore d’autres effets en cascade sur la filière. "Les sanctions financières contre la Russie [décidées ces dernières heures] créent un risque énorme de rétorsion contre les produits européens, au premier rang desquels, encore, les produits agricoles". "Encore", car, déjà, en 2014, l’agroalimentaire avait été pris pour cible par Moscou, dans son bras de fer avec l’Occident autour de la Crimée. Un souvenir douloureux pour Christiane Lambert : à la suite de cet embargo, "nous n’avons jamais retrouvé les volumes que nous avons perdus à ce moment-là", puisque le président Vladimir Poutine "en a profité pour reconquérir sa souveraineté alimentaire". Wirquin : "Nous ne sommes pas à l'abri de contre-mesures liées à la crise" Du côté des entreprises françaises impliquées en Ukraine ou en Russie, l’heure est encore à la prudence, avec un impact jusqu’à présent très limité. À l’image du fabricant nantais d’équipements sanitaires et de plomberie Wirquin (1 300 salariés), dont l’une des six usines emploie 250 personnes à l’est de Moscou. "Les flux de transport entre cette filiale russe et le reste de l’entreprise demeurent continus. Pour le moment, nous n’avons aucune information sur d’éventuelles restrictions", note Grégory Le Coënt, vice-président du groupe. L’usine russe fabrique notamment des raccords sanitaires et commercialise l’essentiel de sa production en Russie et dans les pays de l’ancien bloc soviétique. "Le risque pour nous est plus important avec les produits semi-finis qui alimentent notre usine locale. Certains proviennent d’Asie et ne devraient donc pas poser de problèmes, mais d’autres arrivent de France et de Roumanie. Sur ceux-là, nous ne sommes pas à l’abri de contre-mesures liées à la crise", estime Grégory Le Coënt. Par précaution, Wirquin a donc lancé une augmentation de ses stocks. Soka : "Notre mot d'ordre est de continuer l'activité, de ne pas céder" Pour d’autres PME, ce sont les liens avec l’Ukraine qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur les affaires. En Bretagne, la Soka, une société minière spécialisée dans la valorisation du kaolin, compte 70 salariés en Ukraine, qui évoluent au sein de deux carrières et une usine, situées dans l’ouest et le sud-ouest du pays. "Notre mot d’ordre est de continuer l’activité, de ne pas céder. Les événements ne remettent pas en cause notre implantation", soutient Séverine Dudot, la directrice générale, qui a mis en place un plan d’urgence en cas d’arrêt de l’usine. En Mayenne, le dirigeant du fabricant de pieux Aedificantes (6 salariés) a, lui, connu les premières conséquences de l’amplification du conflit avec l’arrêt des livraisons de l’un de ses fournisseurs ukrainiens. Un recensement des entreprises françaises les plus exposées Face à ces inquiétudes, réelles ou supposées, pas question de rester les bras ballants à Bercy. Le ministère de l’Économie entend dresser "la liste des PME et TPE qui pourraient être indirectement touchées […] pour apporter le soutien dont elles pourraient avoir besoin". "Je suis prêt à recevoir Christiane Lambert de la FNSEA et à regarder les risques d’impact sur l’agriculture", a complété Bruno Le Maire, quelques heures plus tard. Même discours envers les sous-traitants ou les "quelques entreprises, notamment dans les domaines énergétiques, qui peuvent avoir des difficultés".

Dans cet effort pour relativiser la menace, le ministre a cherché aussi à décrédibiliser la Russie, un pays qui "a la force des États faibles. […] Les véritables pouvoirs de Vladimir Poutine sont des pouvoirs de nuisance", militaires et énergétiques, a jugé Bruno Le Maire. Nuisance cyber-technologique aussi, ainsi que l’a laissé entendre le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau : dans la foulée de la crise, les banques européennes ont en effet été appelées "à renforcer leur vigilance" en matière de sécurité informatique.

Des investissements en Russie de plus en plus nombreux

Plus globalement, le relativisme de Bruno Le Maire tranche avec l’assurance de la Direction générale du Trésor. "La France bénéficie d’une position économique ancienne et stratégique en Russie", peut-on lire sur sa page dédiée aux relations entre les deux États, datée de mars 2021. L’Hexagone en est ainsi le "sixième fournisseur" et le "premier employeur étranger" (160 000 salariés, à travers plus de 500 filiales implantées dans le pays, dont 35 entreprises du CAC40, parmi lesquelles Renault et la Société générale).

Il est, surtout, l’un des principaux investisseurs internationaux : son stock d’IDE s’élevait à 22,9 milliards d’euros en 2019 (+167 % par rapport à 2014, date de la précédente crise autour de l’annexion de la Crimée)… quand la Russie, elle, divisait par plus de deux ses investissements directs en France (636 M€, -56 % sur la même période), indiquait le ministère des Affaires étrangères, en avril 2021. Une autre époque.

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