Coronavirus : comment le gouvernement compte redonner de l'air aux entreprises en difficulté
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Coronavirus : comment le gouvernement compte redonner de l'air aux entreprises en difficulté

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Pour la deuxième fois en moins d'un mois, le gouvernement est contraint de réviser son budget pour s'adapter à la persistance de l'épidémie de Covid-19 et à l'allongement du confinement qui l'accompagne. Au coeur de son nouveau projet de loi de finances rectificative, le renforcement des dispositifs existants (prêts garantis, chômage partiel, fonds de solidarité), mais aussi l'ouverture de nouvelles sources de financement pour les entreprises les plus fragiles. Le tout dans le cadre d'un plan d'urgence réévalué à 111 milliards d'euros.

L'accès au financement des entreprises les plus fragilisées par la crise du coronavirus, à l'image d'Air France, est au coeur du deuxième projet de loi de finances rectificative du gouvernement. — Photo : CC0

Nouvelle perfusion d’argent public en perspective pour l’économie, toujours asphyxiée par le coronavirus. Cette fois, le gouvernement fait plus que doubler la dose de son injection : son plan d’urgence prévoit plus de 111 milliards d’euros d’aides, contre 45 milliards il y a un mois, et 100 milliards la semaine passée.

La durée de l’épidémie, la prolongation du confinement et le recours massif aux dispositifs mis en place en mars contraignent Bercy à desserrer encore plus les cordons de la bourse. Un état de fait acté, le 15 avril, dans un nouveau projet de loi de finances rectificative, le deuxième en moins d’un mois.

Le premier avait posé les fondations des trois principaux piliers de la stratégie anti-crise du gouvernement - garantie des prêts bancaires, activité partielle et fonds de solidarité. Le second consolide ces fondamentaux. Mais y ajoute aussi un nouveau volet d’actions en matière d'accès au financement, en particulier pour les entreprises les plus fragiles. Et corrige, au passage, quelques dysfonctionnements, notamment pour offrir des alternatives aux entreprises qui peinent à obtenir de leurs banques un prêt garanti par l’État (PGE).

Nouvelles sources de financement pour les entreprises

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait reconnu, le 14 avril, « quelques trous dans la raquette » des mesures jusque-là mises en place. Il semblerait que la plupart de ces failles concernent les entreprises en difficulté et leur accès au financement. Le gouvernement se dote en effet de trois nouveaux leviers d’action pour leur apporter la trésorerie, voire les fonds propres, que les banques rechignent à leur accorder.

• Des prises de participations avec le CAS

De quoi s’agit-il ? De débloquer 20 milliards d’euros « pour le renforcement des fonds propres, quasi-fonds propres et titres de créances [des acteurs économiques stratégiques pour la France] ».

Depuis le début de la crise, Bercy ne s’en cache pas : en cas de nécessité, l’État est prêt à intervenir pour protéger certaines entreprises d’une faillite imminente ou de raids hostiles. Dont acte avec cette enveloppe « exceptionnelle ». Le moment venu, elle alimentera le Compte d’affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l’État », choisi par le gouvernement pour mener à bien ces opérations financières.

Qui est concerné ? Seront ciblées les « entreprises présentant un caractère stratégique, jugées vulnérables et dont la situation pourrait s’avérer critique en raison des conséquences économiques de la crise sanitaire ». Une liste d’une vingtaine d’entre elles est déjà entre les mains du Président de la République et du Premier ministre, indique Bruno Le Maire.

Cette mesure n’est, en outre, pas exclusive : l’État sera libre de porter secours à une entreprise ayant, par ailleurs, déjà bénéficié d’autres dispositifs publics (prêt garanti, activité partielle, etc.).

• Des prêts directs aux ETI avec le FDES

De quoi s’agit-il ? De la réactivation du Fonds de développement économique et social (FDES). Il va être doté d’1 milliard d’euros (soit 975 millions de plus qu’aujourd’hui !) pour « accompagner, en appui d’investisseurs privés, la restructuration financière et commerciale des entreprises dont les perspectives de redressement sont avérées ».

En d’autres termes, le FDES doit servir à répondre aux besoins de liquidités d’entreprises mises en difficulté par la crise. Elles pourront solliciter un prêt directement auprès de l’État, à défaut d’en avoir obtenu un garanti par lui. Mais il y aura de sérieuses contreparties. Cette aide devra « être évidemment accompagnée de l’amélioration de la situation de l’entreprise et, le cas échéant, de restructuration, pour [lui] redonner sa compétitivité », a souligné Bruno Le Maire.

Qui est concerné ? Le projet de loi de finances rectificative est avare en détail. Mais, en conférence de presse, le ministre de l’Économie a donné un profil-type du bénéficiaire : une ETI de 250 à 400 salariés, « au cœur de notre tissu industriel, qui a un impact direct aussi sur les activités de services », et qui se retrouve « en situation de fragilité », au point d’avoir des difficultés, par exemple, à obtenir le fameux prêt garanti par l’État.

• Des avances remboursables pour les PME

De quoi s’agit-il ? De 500 millions d’euros mis à disposition des entreprises sous forme d’avances remboursables, « pour les aider à redémarrer », a expliqué le ministre de l’Économie. L’idée est de leur permettre de reconstituer leurs stocks et d’acheter les matières premières nécessaires à la relance de leur activité, a-t-il encore détaillé, à propos de ce nouveau dispositif absent du projet de budget. Il ne sera soumis au Parlement que vendredi, sous la forme d’un amendement.

En attendant, Bercy indique que ces avances seront à demander auprès des Comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi). Par la suite, les bénéficiaires de cette nouvelle mesure de trésorerie « rembourseront quand ils recommenceront à faire du chiffre d’affaires et que leur trésorerie se portera mieux », a également expliqué Bruno Le Maire sur RTL.

Qui est concerné ? Les PME de 50 à 250 salariés, a affirmé le ministre à l’Assemblée nationale. Il avait auparavant évoqué « toutes [celles] qui n’ont pas réussi à trouver de prêt garanti par l’État et ont besoin impérativement de trésorerie » pour repartir. Et de citer, plus particulièrement, les secteurs de l’industrie, la restauration et l’hébergement.

Renforcement des dispositifs précédents

Sous contrainte de la crise sanitaire, le gouvernement doit revoir sa copie sur plusieurs de ses dispositifs phares, victimes à la fois de leur succès mais aussi de quelques défaillances. D’où des ajustements sur les garanties publiques déjà mises en place, mais aussi des rallonges budgétaires, voire des éligibilités étendues, sur des mesures qui pèsent directement sur les finances de l’État.

• Prêt garanti par l’État : de nouvelles entreprises éligibles

De quoi s’agit-il ? Principalement d’élargir le champ des entreprises éligibles au prêt garanti par l’État.

Qui est concerné ? Le texte apporte des changements pour trois catégories de sociétés.

Il ouvre d’abord la voie du PGE aux entreprises en difficulté. Ou, plus précisément, celles qui n’étaient pas sous le coup d’une procédure collective au 31 décembre 2019 mais « le seraient devenues depuis lors ». Le gouvernement pense en particulier à celles placées en sauvegarde en 2020. Mais il renvoie les détails de cet assouplissement à une modification du cahier des charges du PGE, après le vote du projet de loi de finances rectificative.

Autres entreprises bientôt éligibles au prêt garanti par l’État : celles du secteur financier, à l’exclusion des établissements de crédits et des sociétés de financement, dans la mesure où ils ne peuvent et octroyer le PGE et en bénéficier pour eux-mêmes.

Enfin, le gouvernement resserre son contrôle sur les grandes entreprises : la garantie de l’État leur est accordée par un arrêté du ministre de l’Économie lui-même. Jusqu’à présent, n’étaient concernées que celles qui cumulaient les deux conditions d’effectifs (plus de 5 000 salariés) et de chiffre d’affaires (supérieur à 1,5 milliard d’euros). Désormais, l’une des deux suffit pour donner à Bercy un droit de regard.

• Cap Francexport : une garantie publique encore étendue

De quoi s’agit-il ? De relever le plafond de la garantie de l’État pour Cap Francexport, dispositif d’assurance-crédit export de court terme. Fin mars, l’encours réassurable avait déjà été doublé à 2 milliards d’euros. Ce montant passe à 5 milliards d’euros (soit cinq fois plus que ce qui avait été fait en 2009).

Qui est concerné ? Les entreprises exportatrices soumises à des risques d’impayés, dans un contexte international rendu encore plus instable par l’épidémie de coronavirus.

• Activité partielle : trois fois plus d’argent pour financer le dispositif

De quoi s’agit-il ? D’adapter les moyens de l’État à l’explosion du chômage partiel (8,7 millions de salariés potentiellement touchés au 14 avril, et depuis le 1er mars). Il y a un mois, le gouvernement en avait estimé le coût global à 8,5 milliards d’euros. Il prévoit désormais d’y consacrer 24 milliards. Quasiment trois fois plus. [EDIT : après vote de la loi, ce montant est passé à 25,8 Md€].

Et pour permettre à l’Unédic d’assumer sa part du financement de l’activité partielle (à hauteur de 8 milliards), l’État relève aussi le plafond de la garantie qu’il lui accorde pour 2020 (jusqu’à 7 milliards d’euros, contre 2 auparavant). [EDIT : ce montant a finalement été porté à 10 milliards par les parlementaires]

Qui est concerné ? Toute entreprise ayant demandé et obtenu de placer une partie ou l’ensemble de son personnel au chômage partiel.

• Fonds de solidarité : des exonérations et une refonte à venir

De quoi s’agit-il ? Là encore, de remettre de l’argent sur la table pour répondre à la demande des entreprises. Plus de 900 000 TPE et indépendants ont demandé à bénéficier de l’enveloppe de 1 500 euros (maximum) proposée par le gouvernement. Initialement doté d’1 milliard d’euros par mois, le fonds de solidarité va se monter à au moins 7 milliards d’euros. Mais cette fois, il n’y a pas que l’État qui paye - les Régions et les assureurs ont même récemment doublé leur contribution, pour la porter respectivement à 500 millions et 400 millions d’euros.

Autre mesure inscrite au projet de loi de finances rectificative : les sommes versées au titre du fonds de solidarité seront « exonérées d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur le revenu et de toutes les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle ». Elles ne rentreront pas non plus dans la détermination du régime d’imposition du bénéficiaire. [EDIT : cette mesure n'est entrée en vigueur qu'au 21 mai]

Qui est concerné ? Étrangement, le projet de loi ne revient pas sur les critères en vigueur - structures de moins de 10 salariés, avec chiffre d'affaires inférieur à 1 million d’euros et bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros, et concernées par une fermeture administrative ou une chute du chiffre d'affaires de 50 % entre mars 2019 et mars 2020 (ou avril 2019 et avril 2020).

Pourtant, en conférence de presse ou devant l'Assemblée, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a confirmé les aménagements du fonds de solidarité annoncés la veille : ouverture à de nouveaux bénéficiaires (dont les entreprises en redressement judiciaire ou procédure de sauvegarde) ; modification, à partir d'avril, de la règle de calcul concernant la perte de chiffre d’affaires (baisse de moitié du CA en avril 2020, soit par rapport à avril 2019, soit par rapport à la « moyenne mensuelle en 2019 ») ; rehaussement de l’aide complémentaire à 5 000 euros (au lieu de 2 000). [EDIT : Ces modifications ont finalement été apportées dans un décret, publié le 17 avril]

Autant de modifications qui n’ont pas été intégrées au texte présenté en conseil des ministres. Comme une preuve supplémentaire que le gouvernement travaille sur un fil, si ce n’est à tâtons. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il s’est réservé une « dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles » de 2,5 milliards d’euros. Une somme mobilisable pour renforcer, au besoin, les différents dispositifs de son plan d’urgence, sans en repasser par une nouvelle loi de finances rectificatives. Au moins à très court terme.

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