Auvergne Rhône-Alpes
"Recruter, c'est la guerre" : de l'artisanat au numérique, la galère des employeurs
Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # Ressources humaines

"Recruter, c'est la guerre" : de l'artisanat au numérique, la galère des employeurs

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La reprise de l’activité est vive, tellement qu’elle prend de court les entreprises qui doivent, dans l’urgence, trouver des bras et des cerveaux pour satisfaire la demande et suivre la cadence au risque de perdre des marchés. Témoignages d’un artisan, d’un industriel et d’un entrepreneur du digital pour qui recruter, " c’est la guerre ".

Selon la dernière enquête Besoins de Main d'Oeuvre de Pôle emploi, 47% des entreprises d'AURA jugent que leurs projets de recrutement vont être difficiles — Photo : Archives JDE

Il y a ceux qui, sur LinkedIn, parodient une chanson de Joe Dassin pour séduire de jeunes développeurs web fans des années 70. Ceux qui promettent un week-end de rêve dans un hôtel de luxe pour qui les mettra en relation avec un data scientist. Dans le secteur artisanal, la tâche est moins loufoque. "Dans nos métiers, il n’est pas facile de rentrer en contact avec des candidats", soupire Raphaël Théry, dirigeant entrepreneur de Raquin-Duchon, à Roanne (Loire). Cette entreprise de 13 salariés cherche activement deux plombiers chauffagistes et au moins deux couvreurs zingueurs depuis des semaines. "Alors que je recevais une quinzaine de candidatures d’apprentis les années précédentes, j’en compte à peine trois cette année", déplore-t-il. Chambre des métiers, fédération du bâtiment, CFA... ce membre du Centre des jeunes dirigeants d'entreprise a tout essayé. "Si je ne trouve pas de personnel pour remplacer des départs en retraite, et qu’on ne peut pas réaliser notre carnet de commandes, c’est l’équilibre économique de l’entreprise qui sera remis en question", craint-il.

L'usine pousse les murs

Selon la dernière enquête de Pôle Emploi sur les besoins en main-d’œuvre en Auvergne Rhône-Alpes, plus d’un quart des entreprises de la région envisagent de recruter. Et 47 % des entreprises jugent que leurs projets de recrutement vont être difficiles.

Ce n’est pas seulement le cas pour de petites structures. À Feyzin, dans l’est de Lyon, l’ETI familiale Vie & Véranda dirigée par Lucas Pinoncély, qui compte 162 salariés (hors franchises) dont 62 au siège, connaît une croissance ininterrompue depuis plusieurs années (45 millions d’euros de chiffre d'affaires en 2020, avec un plan stratégique visant 70 millions d’euros en 2026), accélérée par la crise du Covid et le boom de la décoration et des aménagements domestiques. Une extension de l'usine, qui fabrique des vérandas sur-mesure, est en cours de construction pour faciliter ses opérations de production et de logistique. De la main-d’œuvre doit être recrutée pour tenir la cadence. "Nous cherchons une dizaine de technico-commerciaux", souffle Vrège Jeloyan, le directeur opérationnel. Le turn-over dans ce métier est soutenu car les profils polyvalents sont très demandés.

Profils "couteau suisse"

Ces professionnels sont non seulement des vendeurs mais aussi des techniciens capables de dessiner un plan, transposer les idées des clients, manipuler un logiciel 3D, effectuer les déclarations administratives. À saisir aussi, trois postes de métreurs, des professionnels précis qui prennent le relais des premiers pour saisir les cotes, les transmettre à l’usine. Ici, on recrute à partir du BEP, 2 400 euros brut par mois. Vie & Véranda recherche également en permanence une dizaine de poseurs, car il faut transformer la phase importante de développement en cours. Dans le groupe, un poste de comptable vient d’être pourvu mais il faut déjà se mettre à la recherche d’un chef de produit. Enfin un poste de responsable méthode est attendu les bras ouverts. Sa mission sera vaste puisqu’il s’agit de restructurer les flux de l’atelier de l'usine de Feyzin, d’optimiser les processus de production et d’investir dans de nouvelles machines pour améliorer la productivité.

Lucas Pinoncély, PDG de Vie & Véranda — Photo : Vie & Véranda

Manque de visibilité

Pourquoi autant d’offres chez un même employeur ne trouvent-elles pas facilement preneurs ? Vrège Jeloyan a plusieurs explications. D’abord, le manque de visibilité. Même si l’enseigne est nationale, elle n’a pas la notoriété du leader français Akena par exemple. Et les postes ne sont pas ceux qui séduisent le plus les jeunes diplômés. "Certains de nos métiers sont très digitalisés mais nous restons dans le secteur industriel, lequel subit une connotation peu flatteuse. Dans l’imaginaire de la génération Y ou Z, l'industrie c’est de la chaleur, de la poussière, du bruit…", déplore le manager.

Autre frein qui bloque les recrutements, la situation géographique. "Nous sommes à Feyzin, Lyon n’est pas accessible facilement en transport en commun. J’ai déjà vu des candidats très intéressés mais qui refusaient pour cette raison". Et à en croire ce baroudeur de l’industrie, passé par l’UIMM, l’incontournable table de ping-pong ou l’éventuel espace lounge bar n’y changeraient rien, ou si peu. "Une fois le recrutement finalisé, l’enjeu est de ne pas perdre les nouveaux arrivants. On s’attache à prendre soin des nouveaux collaborateurs, en se préoccupant de leur intégration dans le groupe, de leur compréhension du poste, de leur rôle, de nos attentes. Qu’ils soient installés confortablement dans leur job est pour moi un bon moyen de fidéliser". Car après des mois de recherche des candidats, le pire serait de les voir partir chez la concurrence.

Jusqu'à 10 développeurs par mois

Dans le numérique, la partie n’est pas plus facile. Le Permis Libre, l’entreprise lyonnaise qui digitalise le passage du code et du permis de conduire appuie sur l’accélérateur. Cofondée par Roman Durand, la jeune pousse basée à Vaise (Rhône) passe d’un plateau de 250 m² à un nouveau de plus de 800 mètres carrés pour suivre la cadence des embauches en cours. De 11 salariés en janvier 2020, elle en compte 45 salariés aujourd’hui et atteindra 70 d’ici la fin de l’année, "probablement 150 fin 2022". Le Permis Libre recrute jusqu’à 10 développeurs par mois, mais aussi des spécialistes du marketing digital, du service client, de la data… Pour recruter, la société passe par tous les canaux possibles avec des annonces sur les plateformes en ligne mais aussi en créant des liens avec les écoles, et surtout en accueillant des alternants et stagiaires à tour de bras.

"Recruter, c’est la guerre", déplore le cofondateur. En sept ans, il n’a jamais eu autant de mal à trouver de nouveaux talents. "Il faut savoir être sexy, on fait exploser les salaires, on propose des conditions de télétravail pour permettre à ceux qui le souhaitent de rester vivre à Toulouse ou Annecy, mais la partie n’est pas facile", dépeint Roman Durand. Côté opérationnel, l’auto-école en ligne, forte de 620 enseignants autoentrepreneurs, cherche à attirer 300 nouveaux profs d’ici la fin de l’année, pour atteindre 1 500 à 2 000 moniteurs fin 2022 dans les 350 villes où l’auto-école est présente. "Sur ce point, on lutte contre les idées reçues concernant la rémunération. Sur notre site nous proposons un simulateur de revenus montrant que pour 40 heures de cours délivrées par semaine, le revenu peut atteindre 2 800 à 3 000 euros nets par mois", assure Romain Durand. Le marché se fluidifie pour ces indépendants qui peuvent désormais, en Paca dès maintenant et bientôt dans toute la France, réserver des places d’examen en leur nom. Jusqu’à présent, les embouteillages pour le passage du permis rigidifiaient toute la chaîne.

Un plan de recrutement pour la saison de ski

Transport, hôtellerie-restauration… d’autres secteurs sont à la peine. Le président de la Région Auvergne Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a dit vouloir lancer un plan d’urgence pour former les gens en direction des emplois non pourvus avant octobre. Des annonces devraient être faites dans ce sens concernant le secteur de l’hôtellerie-restauration pour former au moins 1 000 personnes avant le début de la saison de ski.

Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # Organismes de formation # Restauration # Hôtellerie # Informatique # Ressources humaines