Auvergne Rhône-Alpes
Les équipementiers mis au défi de la diversification
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # Industrie # Conjoncture

Les équipementiers mis au défi de la diversification

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Premier territoire de France en termes d’emploi dans la sous-traitance automobile, la région Auvergne-Rhône-Alpes est touchée de plein fouet par la transition énergétique de la filière. Pourtant, confrontés à des difficultés conjoncturelles depuis plusieurs années, les équipementiers de la région n’ont pas attendu l’annonce de la fin des moteurs thermiques par le Parlement européen pour réfléchir à leur stratégie de diversification.

L’équipementier Akwel est sous-traitant pour une douzaine de constructeurs mondiaux dont PSA, Ford, Renault-Nissan et GM — Photo : Akwel

Il y a moins d’un an encore, plus d’une centaine de salariés fabriquaient coussinets de bielles et vilebrequins pour moteurs thermiques sur ce site de Chavanod, en Haute-Savoie. Mais face à la baisse de la demande en véhicule thermique, l’équipementier Mahle en a décidé autrement. Mi-2022, la maison mère allemande a préféré fermer sa filiale française (15,10 M€ de CA en 2021, 110 salariés). Quelques mois plus tard, c’est le groupe lavallois Walor international et son site ligérien (67 salariés) qui ont échappé de peu au même sort, en se tournant, faute d’autre issue, vers le fonds de retournement allemand Mutares.

Plus de 3 000 emplois menacés en Auvergne-Rhône-Alpes

Si aucun grand constructeur automobile n’est implanté en Auvergne-Rhône-Alpes, les équipementiers – du grand groupe à la TPE — y sont légion. Avec ses 1 100 entreprises spécialisées dans le secteur automobile, c’est même la première région de France en termes d’emplois dans la sous-traitance automobile (environ 30 000, soit 22 %). Des équipementiers qui sont aussi les premiers menacés par la baisse des ventes de voitures neuves (-7,8 % entre 2021 et 2022, -30,94 % entre 2019 et 2022), et surtout par la transition énergétique des véhicules, sur laquelle le Parlement européen a mis un coup d’accélérateur en 2022, en interdisant la vente de voitures thermiques neuves à l’horizon 2035.

D’après une étude commandée par la Plateforme automobile (PFA) — qui rassemble les acteurs de la filière — au cabinet de conseil AlixPartners, la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui concentre des acteurs de filières considérées comme "à risque", telles que l’emboutissage, la fonderie, et surtout le décolletage, dans la Vallée de l’Arve, devrait être, de loin, la plus impactée par cette transition, en termes de destruction d’emplois (potentiellement 3 260 emplois détruits entre 2020 et 2030).

Des degrés de maturité divers dans les projets de diversification

Face à ces prévisions funestes, les équipementiers, dont l’activité dépend encore majoritairement de la production de moteurs thermiques, ont entamé une diversification à marche forcée. Diversification dans les véhicules électriques, ou à hydrogène. Vers d’autres formes de mobilités, comme le cycle. Ou bien encore dans des secteurs tout autres, comme le médical, le luxe, l’aéronautique… " Globalement, les dirigeants sont déjà très sensibilisés sur cette question, explique Patrick Thollin, président de conseil de surveillance d’Efi Automobile (201,5 millions d’euros de CA en 2021, 1 800 salariés), qui a mené durant un an, pour le compte de la PFA, une mission de sensibilisation à la transition énergétique auprès des équipementiers. Toutefois, certaines entreprises ont une position assez attentiste alors que d’autres ont déjà bien avancé dans leur plan de transformation."

C’est le cas de Magnin Mécanique de Précision (2,10 M€ de CA en 2022, 14 salariés). Dès la reprise de la société annécienne par ses actuels dirigeants, en 2013, le déclin du moteur thermique a été anticipé. “À l’époque, l’entreprise réalisait près de 60 % de son chiffre d’affaires avec l’équipementier automobile NTN-SNR. Aujourd’hui, il représente moins de 20 % de nos ventes”, détaille Eddy Magnin, codirigeant de MMP. Entre-temps, le sous-traitant s’est lancé sur quatre nouveaux marchés, moyennant un investissement de 1,4 million d’euros : les machines spéciales, dont des machines spécialisées pour l’industrie du vide, l’aéronautique, le luxe et le vélo. “Heureusement que nous avions anticipé, sinon la violente cassure d’après Covid (NTN-SNR a réduit de moitié ses commandes, NDLR) nous aurait laissés sur le carreau, avec au moins des licenciements, voire une liquidation”.

Une stratégie de diversification complexe à bâtir

Chez Faiveley Tech Bourgoin (17 M€ de CA, 80 salariés), plasturgiste basé à Bourgoin-Jallieu (Isère), la diversification, entamée il y a près de cinq ans, devrait bientôt passer à la vitesse supérieure, grâce à un renforcement des équipes commerciales sur les nouveaux marchés (nouvelles mobilités, énergie, internet des objets, hygiène industrielle). La société, qui réalise aujourd’hui encore 80 % de son activité dans l’automobile a revu sa feuille de route stratégique fin 2022. "La business unit industrie dont fait partie FaiveleyTech Bourgoin a repensé sa stratégie pour identifier et développer les marchés porteurs. Nous allons renforcer notre diversification", explique le directeur des activités industrie du Groupe, Vincent Douillet. Prospection auprès des clients et études de marché ont permis d’affiner ce plan de transformation. Cette stratégie nouvelle n’est pas toujours simple à construire. "Nous avons passé beaucoup de temps à nous interroger, non pas sur ce que nous voulions faire mais sur la raison pour laquelle nous voulions le faire", expliquait pour sa part en juillet 2022, Grégory Challamel, directeur de Bosch Marignier, site spécialisé dans l’assemblage de systèmes de direction assistée, qui a lancé, en 2021, une offre de sous-traitance d’assemblage et d’accompagnement pour start-up. Pour choisir la bonne orientation, l’équipementier a conduit une trentaine d’entretiens avec des banques, des entreprises voisines, des fournisseurs, des prescripteurs, etc., afin d’évaluer leur situation et leurs besoins.

Pour beaucoup, c’est le recours aux consultants, qui est plébiscité. C’est notamment le choix qu’a fait Efi Automotive, qui a sollicité, en 2022, le cabinet Roland Berger, pour étudier sa stratégie à 5 à 10 ans. "Nous voulions nous assurer d’avoir les bonnes plateformes et de nous concentrer sur les bons sujets", souligne Patrick Thollin, le président du conseil de surveillance. Mais, "pour les sous-traitants, qui font déjà face à des préoccupations à court terme, plus terre à terre, comme les difficultés d’approvisionnement ou la hausse des coûts de l’énergie, il est parfois difficile de se mobiliser sur ces sujets, rappelle Guillaume Penuela, chargé de mission innovation au sein du cluster Cara. En particulier pour les plus petits."

R & D et financement

Pour le chargé de mission, la R & D a également une place centrale. "Elle permet aux entreprises de se différencier, de prendre de l’avance. "L’entreprise familiale EFS (7,65 M€ de CA, 65 salariés), initialement spécialisée dans les tests d’injecteurs pour moteurs thermiques, basée à Montagny (Rhône) l’a bien compris. 50 % de ses effectifs ont un profil R & D. Des ingénieurs, des techniciens… C’est ce qui lui a permis, à partir des années 2000, de développer une activité dans les machines de contrôle qualité (40 % de son chiffre d’affaires aujourd’hui). "Du travail à façon qui nécessite une grande agilité", affirme Alexandre Huchon, directeur commercial. C’est aussi grâce à cela qu’elle entend conquérir le marché de l’eau. La société commercialisera fin 2023 une sonde, nommée I-Cense, permettant de réaliser des mesures de la qualité de l’eau directement sur les réseaux. Un projet innovant, dans lequel la PME a investi trois millions d’euros.

Mais être innovant ne suffit pas. Car l’industrialisation demande des fonds importants. Pour financer la mise en production de sa sonde, EFS avait misé sur une enveloppe de 900 000 euros de la part de Bpifrance. Or la banque d'Etat conditionne l'octroi de 250 000 euros à un financement complémentaire de 650 000 euros que la PME doit trouver par ses propres moyens. Au point qu'elle envisage de demander à ses clients de préfinancer la production de ses sondes, afin de constituer un stock de 150 unités via promesse d’achat.

Des aides publiques salvatrices

Pour beaucoup, les aides publiques se sont néanmoins avérées salvatrices. Vincent Douillet, le directeur de Faiveley Tech Bourgoin, qui a investi 1,5 million d’euros dans la modernisation de son parc de machines le confirme: "Sans les 800 000 euros de France Relance 2030, nous n'aurions pas pu réaliser de tels niveaux d'investissements. Cela nous a permis de développer nos parts de marché dans de nouveaux secteurs grâce à un outil industriel adapté et à la pointe de la technologie".

Même son de cloche chez l’équipementier NTN-SNR (702 M€ de CA en 2022, 2 464 salariés). La filiale du groupe japonais, spécialisée dans la fabrication de roulements, a lancé le projet Corfu afin d’adresser le marché du véhicule électrique, grâce à un investissement de 5,8 millions d’euros, financé à hauteur de 25 % par les pouvoirs publics. "Si nous n’avions pas été ainsi soutenus, nous n’aurions pas pu engager ces montants, pose clairement Christophe Nicot, vice-président recherche, innovation et développement. Au moment de la crise du Covid, nous aurions dû arrêter les programmes de recherche qui nous permettent aujourd’hui d’envisager une croissance pour l’entreprise."

"L’une des difficultés majeures est de financer une diversification avec de l’argent qui n’est plus apporté par l’activité traditionnelle ", corrobore Patrick Thollin d’Efi Automotive. Dans le cadre de sa feuille de route, l’entreprise familiale a identifié quatre pôles d’activités distincts. "Mais pour les développer, il nous faut des dizaines de millions d’euros que nous n’avons pas. L’une des solutions que nous envisageons, est le rapprochement avec d’autres entreprises", glisse l’ancien PDG. Un rapprochement qui pourrait concerner un pôle d’activité seulement, via la création d’une joint-venture, par exemple. "Cela permettrait de mutualiser le risque financier. "

Une collaboration accrue des acteurs

La collaboration accrue entre équipementiers est une tendance de fond de la transformation de la filière automobile. D’abord car les nombreux appels à projets publics encouragent ce travail collaboratif. Mais aussi car l’électrification des véhicules pose de nouvelles problématiques. "De plus en plus, nous allons chercher des partenaires qui disposent de ces nouvelles compétences pour nous aider à développer nos produits”, indique Christophe Nicot de NTN-SNR. Aujourd’hui, l’open innovation n’est plus un choix", affirme-t-il.

Pour la filiale française du groupe japonais, cette transformation induit également une évolution dans la hiérarchie de ses clients. "Certains de nos clients sont des early adopters (primo client) des nouvelles technologies liées à l’électrification, d’autres, moins." C’est d’autant plus vrai que NTN-SNR est en train de faire fortement évoluer ses produits. À Annecy, une nouvelle business unit dédiée aux capteurs et systèmes embarqués a été créée. Depuis peu, elle propose aussi à ses clients un nouveau type de moteur pour voiture électrique. Sans cuivre et sans terre rare. "Nous sommes dans la phase de drague avec nos clients, s’amuse Christophe Nicot. Car dans ce monde nouveau de l’automobile, tout reste à construire.

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