Un jour, Sébastien Crépieux, un ingénieur diplômé d’AgroParisTech, prend conscience qu’on pêche des poissons pour nourrir… les poissons. Une situation absurde, dupliquée dans un grand nombre de filières de l’élevage d’animaux, qui alourdit le bilan carbone de la planète. D’où l’idée d’introduire dans la chaîne alimentaire, des petits invertébrés, nourriture naturelle des oiseaux et des poules.
En 2018, avec deux associés, il lance Invers (22 salariés), une entreprise spécialisée dans l’élevage du ténébrion (ver de farine) à Saint-Ignat (Puy-de-Dôme). "Parmi les sept variétés d’insectes que l’on peut élever industriellement en Europe, le ténébrion est un bon convertisseur de fibres en protéines, procurant un taux de 65 % sur matière sèche", affirme le dirigeant d’Invers. Mais ce n’est pas tout, l’idée est de créer une chaîne vertueuse de valorisation autour de l’insecte, en y associant des agriculteurs locaux.
Revenu de complément pour les agriculteurs
Invers gère l’amont (R & D et couvoirs) et l’aval (la transformation des vers). Au centre de la chaîne, les agriculteurs élèvent les vers, dans le cadre de contrat de production sur 10 ans. Pour cela, ils utilisent des co-produits agricoles non valorisés en alimentation humaine, comme le son de blé, et récupèrent les déjections des insectes pour enrichir leurs sols. Au sein d’un bâtiment d’environ 1 000 m², l’activité prend peu de place au sol grâce à une culture étagée qui représente 15 fois la surface au sol et génère sa propre chaleur (26 degrés). Pour un temps de travail équivalent à un 3/5e, elle apporte un revenu de complément de l’ordre de 1 500 à 2 000 euros par mois.
En 2022, 80 % du chiffre d’affaires d’Invers (gardé secret, NDLR) provient de la vente auprès du grand public de vers déshydratés pour poules et oiseaux. Les 20 % restants sont générés par la vente de croquettes pour chiens et chats.
Nouveaux moyens industriels
"Depuis 2018, le chiffre d’affaires triple chaque année", confie Sébastien Crépieux, qui ne compte pas se cantonner au marché des particuliers. Cet automne, il a levé 15 millions d’euros pour adresser le marché des agriculteurs (poulet de chair et poules pondeuses). "La levée de capitaux a été très difficile parce que les fonds classiques ne sont pas familiers du monde agricole et se montrent excessivement gourmands en termes de rentabilité", explique-t-il. Il lui a fallu franchir une sorte de "vallée de la mort" pour passer de son concept validé par son marché local à son industrialisation. Du coup, il se rapproche de deux coopératives Eurea et Oxyane, et de deux fonds spécialisés, Idia Capital Investissement et Agri Impact, aux côtés de ses actionnaires historiques Limagrain, Crédit Agricole Centre France et UI Investissement, qui réinvestissent à cette occasion. Désormais non majoritaire, le dirigeant reste actionnaire principal.
Les capitaux levés lui permettent d’investir 8 millions d’euros pour créer un outil industriel sur 6 000 m² implanté à Saint-Ignat, capable de multiplier par dix la production de larves pour "alimenter" 25 agriculteurs-éleveurs en Auvergne-Rhône-Alpes. Mi 2023, 4 000 m² seront déjà en service. La deuxième tranche des couvoirs sur 2 000 m² sera opérationnelle mi-2024, en même temps qu’une unité de transformation des insectes en farine (3 millions d’euros d’investissement), qui sera vendue aux usines de nutrition animale d’Eurea et d’Oxyane.
