Drôme
Coronavirus - Crouzet : « Le risque se déporte de nos fournisseurs vers nos clients »
Interview Drôme # Électronique

David Arragon PDG de l’entreprise Crouzet Coronavirus - Crouzet : « Le risque se déporte de nos fournisseurs vers nos clients »

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À la tête de l’entreprise Crouzet, spécialisée dans les composants d’automatismes pour l’industrie à Valence, dans la Drôme, David Arragon dépeint une situation tendue en raison de la crise liée au coronavirus. Les difficultés tendent notamment à se déporter de ses fournisseurs vers ses clients.

L'entreprise Crouzet, spécialisée sur les composants d'automatiques pour l'industrie, a perdu 2,5 millions d'euros de chiffre d'affaires au mois de mars en raison de la crise liée à l'épidémie de coronavirus — Photo : Gilles Bertrand

Le Journal des Entreprises : Vous dirigez la société Crouzet (CA 2019 : 165 M€ / 1 550 salariés) qui fabrique et distribue des composants d’automatismes pour l’industrie (moteur, disjoncteurs par exemple). Quelle est la situation de l’entreprise en pleine crise liée au coronavirus ?

David Arragon : La période est compliquée. Trois dangers menacent la continuité d’exploitation : la rupture d’approvisionnement, la menace sanitaire vis-à-vis de nos salariés et le risque que nos clients annulent leurs commandes. Jusqu’à maintenant, l’inquiétude était davantage du côté de nos fournisseurs puisque de nombreuses sociétés étaient fermées. La semaine dernière, 60 de nos 250 fournisseurs étaient fermés soit seulement 70 % de retours positifs sur nos commandes. Les dysfonctionnements de la supply-chain ont été limités au maximum par nos stocks. Aujourd’hui, nous observons une réouverture progressive de certains fournisseurs. Ils ne sont plus que 55 à être fermé cette semaine et on prévoit de passer sous la barre des 50 d’ici le début de la semaine prochaine.

Quid du risque client ?

David Arragon : Celui-ci est un peu plus pernicieux. À l’instar de ce que nous avons fait pour augmenter nos stocks, nos clients aussi ont augmenté leurs commandes. Sur la première quinzaine de mars, l’afflux a été important. Depuis la mi-mars, on ressent un ralentissement lié à la fermeture des entreprises industrielles. L’aéronautique et l’automobile fonctionnent à vitesse réduite.

Comment cela traduit-il sur vos carnets de commandes ?

David Arragon : Nous remarquons une augmentation des annulations de commandes et des entrées de commandes très faibles. Nous avons eu une journée cinq fois plus faible qu’habituellement. Quand on rentrait entre 600 000 à 700 000 euros par jour, on oscille aujourd’hui à des commandes de l’ordre de 140 000 à 300 000 euros.

« À 8 millions d'euros de revenus mensuels, la rentabilité de Crouzet n’est pas avérée. »

Quelles sont les conséquences concrètes du risque client pour Crouzet ?

David Arragon : Le risque fournisseur est en train de s’amenuiser mais se déplace vers le client. En temps normal, nous réalisons 12,5 M€ de chiffre d'affaires par mois. En mars, nous avons bouclé à 10 M€. Avec les annonces de fermetures qui se prolongent, on anticipe une continuité de la baisse autour de 9 M€ en avril. Ensuite, nous n’avons pas de visibilité.

La société Crouzet emploie 1 550 salariés dans le monde dont 500 en France — Photo : Crouzet

La trésorerie est-elle une source d’inquiétude aujourd’hui ?

David Arragon : Nous avons une activité de carnet pour laquelle nous avons livré en mars, les commandes entrées depuis octobre. La maturité de notre carnet se situe entre 45 jours et 6 mois. De fait, le ralentissement actuel ne nous impact pas significativement sur la trésorerie. Reste que nous nous préparons à faire face à une baisse de notre activité en dessous des 9 M€ de revenus mensuels.

Où se situe à la limite critique ?

David Arragon : À 8 millions d'euros de revenus mensuels, la rentabilité de Crouzet n’est pas avérée. Il faudra prendre des mesures très sévères comme le chômage partiel. Si nous commençons à accumuler quelques pertes et que nous avons un rebond très fort qui vient retirer l’activité alors que nos stocks sont pleins, la trésorerie pourrait être tendue. Nous avons déjà bloqué les embauches, gelé les investissements. Tout est mis en œuvre pour passer la tempête alors que nous la subissons avec un effet retard. Si on cumule la baisse de chiffre d’affaires et le tirage de notre besoin en fonds de roulement, lié à une reprise, la situation peut être tendue.

La bonne organisation de la supply-chain semble être un élément indispensable ?

David Arragon : Un élément ne nous a pas aidés sur la supply-chain : quand tous les gros comptes comme Dassault, PSA, Renault ou Airbus ont annoncé leur fermeture, même temporaire, ça a créé un sentiment similaire chez nos sous-traitants qui nous ont fait savoir qu’il n’y avait aucune raison que nous restions ouverts et ont donc fermé leurs portes. Ça a été un prétexte qui a déstabilisé notre supply-chain.

L’expédition de vos commandes est-elle assurée ?

David Arragon : Notre logistique est gérée entièrement par notre partenaire local, Skipper, avec qui ça se passe très bien. Ils continuent d’expédier nos produits partout dans le monde. Sur la partie transport, tous ont réduit leur prestation tant sur la fréquence que sur le colisage. Au niveau des sites de Valence et du Maroc, nous ne sommes pas impactés même si ce n’est pas aussi fluide qu’avant. Cependant, notre filiale Garos, à Nantes, acquise en janvier 2019, a de sérieuses difficultés sur la partie transport alors qu’ils sont beaucoup moins impactés par leurs fournisseurs, dans la mesure où ils ont moins de pièces.

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