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Crouzet, une émancipation contrôlée
Drôme # Électronique

Crouzet, une émancipation contrôlée

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Présente dans la "Boeing French Team", le club très fermé des 17 fournisseurs français stratégiques du constructeur américain, l'entreprise valentinoise Crouzet spécialisée dans les composants d'automatisme connaît une seconde jeunesse depuis 2015, après une histoire capitalistique mouvementée.

L'entreprise Crouzet a vu son chiffre d'affaires passer de 135 à 150 millions d'euros en trois ans. Avec deux nouvelles acquisitions réalisées cette année, son chiffre d'affaires consolidé s'établira à 165 M€ — Photo : Crouzet

Et de deux ! L’entreprise Crouzet spécialisée dans la conception et la fabrication de capteurs et pièces de mesures mécatroniques a bouclé, fin novembre, sa deuxième acquisition de l’année. Elle fait ainsi tomber dans son escarcelle le fabricant suisse de composants électromécaniques de précision, Microprecision Electronics (CA 2018 : 5 M€ / 50 salariés). « Nous partageons la même technologie sur de petits capteurs électromécaniques dédiés, par exemple, à la mesure d’usure des freins sur les moteurs électriques d’ascenseurs, de tapis roulant ou de palans. Leur savoir-faire, très spécifique, dispose d’une précision de détection beaucoup plus fine que la nôtre et cela nous permet de faire un pas en avant sur un nouveau marché technique », détaille David Arragon, PDG de l’entreprise de Valence (Drôme) qui y voit une opportunité de « répondre à des applications très critiques ».

Le rachat de la PME suisse suit de quelques mois, une autre acquisition réalisée en février 2019 avec l’entreprise nantaise Garos (CA 2018 : 10 M€ / 50 salariés). « Garos s’adresse aux mêmes marchés finaux que nous à savoir l’aérospatial, l’industrie et l’automobile », note David Arragon. Et de résumer : « Notre stratégie est simple : ou la croissance externe nous permet d’élargir notre présence sur des marchés que l’on connaît, ou elle nous permet d’acquérir une nouvelle technologie pour améliorer notre offre ».

Une logique que le dirigeant compte poursuivre en 2020. Ces deux rachats préfigurent d’ailleurs de nouvelles opportunités prévues l’an prochain. « Quatre dossiers sont à l’étude ». Les cibles ? Des entreprises familiales ou détenues par leur fondateur, réalisant entre 10 et 15 millions de chiffres d’affaires et orientées sur des marchés de niche.

Spécialiste aéronautique

En passant de 135 millions de chiffres d’affaires en 2015 à 150 millions d’euros en 2018, Crouzet décolle. Une fois les comptes des deux sociétés rachetées consolidés, la société revendiquera un CA de 165 M€. Son moteur ? Des marchés de niches et des clients exigeants gagnés grâce à un savoir-faire technique de haut niveau que l’entreprise redéploie depuis quelques années. « On allie à la fois des compétences sur l’électronique, l’électromécanique et autour de la programmation logicielle. Ces trois compétences dans le monde des composants nous permettent de viser tous les marchés exigeants difficilement accessibles », précise David Arragon.

Première source de revenus de l’entreprise drômoise, l’aéronautique concentre un tiers de l’activité (50 M€ de revenus) et se décline autour de trois applications majeures : la distribution électrique avec des disjoncteurs et des capteurs d’analyse de spectres électriques pour éviter la surchauffe des composants d’avion ; les réacteurs avec des capteurs positionnés sur les inverseurs de poussée ; et des capteurs autour du train d’atterrissage et des soutes. « Sur ces produits, nous sommes les deuxièmes mondiaux derrière Sensata Technologies », se félicite le dirigeant, qui note que Crouzet fournit 60 % des disjoncteurs présents dans les avions d’Airbus.

L’expertise valentinoise tape même dans l’œil de Boeing qui l’intègre, en 2018, dans la « Boeing French Team », le club très fermé des 17 fournisseurs français stratégiques du constructeur au même titre que Michelin, Safran, Thales ou encore Zodiac.

La société Crouzet emploie 1 550 salariés dans le monde dont 500 en France — Photo : Crouzet

Une assise internationale

Crouzet s’illustre aussi dans le nucléaire avec des capteurs de vannes pour le refroidissement des réacteurs, l’automobile de luxe (Rolls Royce, Lamborghini, Porsche, Mercedes, BMW), mais aussi le ferroviaire et le contrôle d’accès. Plus de la moitié du chiffre d’affaires (80 M€) provient de l’activité capteurs et disjoncteurs quand l’électronique de pilotage et les micromoteurs apportent plus de 35 M€ de revenus annuels. Le solde est issu de produits électroniques divers.

Avec 1 550 salariés, dont 500 en France (350 personnes à Valence, 100 à Alès, 50 à Nantes), l’ETI dispose d’une forte assise à l’international. Elle emploie 800 personnes au Maroc dans son plus grand site de production, dispose de 250 collaborateurs en Chine et détient des équipes commerciales aux États-Unis, en Espagne ou encore en Italie. Une internationalisation qui explique que l’essentiel des ventes est réalisé hors de France.

Héritage capitalistique

Pourtant, la réussite actuelle de l’entreprise valentinoise masque une histoire capitalistique mouvementée. Créée à Valence en 1921, l’entreprise décolle au sortir de la guerre. « Dès les années 1950, Crouzet devient une entreprise imposante et incarne un concurrent direct de Sagem dans les années 1980 ».

Photo : Gilles Bertrand

Elle compte alors 6 000 salariés et s’illustre dans le secteur aérospatial grâce son savoir-faire en électronique. « Ce sont des calculateurs Crouzet qui composaient l’électronique de vol du Concorde », atteste David Arragon. En 1989, le fleuron industriel est choisi par l’État français pour former Sextant Avionique, le champion de l’aéronautique hexagonal, composé des sociétés EAS, la SFENA et de la division aéronautique de Thomson-CSF. « Le gouvernement de l’époque a remodelé tout le paysage aéronautique français, créant le Thalès d’aujourd’hui », énonce-t-il.

Mais au sein de Sextant Avionique, une des divisions de Crouzet, spécialisée sur les composants d’automatisme, fait bande à part et connaît une période chahutée. Elle est alors revendue à Schneider Electric en 2001, puis reprise en 2014 par Custom Sensors et Technologies (CST). En 2014, elle passe dans le giron de deux fonds d’investissement de private equity, puis est rachetée, en 2015, par Sensata technologies. En février 2018, elle est finalement reprise par le fonds d’investissement français LBO France.

Ballotté de groupe en groupe, Crouzet finit par s’émanciper. « Que ce soit chez Thales ou Schneider, nous avons été considérés comme un actif non stratégique. Avec LBO France, c’est la première fois que l’entreprise est rachetée pour ce que nous sommes vraiment », explique le dirigeant. Et de conclure : « C’est le réveil de la belle endormie ».

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